Cour administrative d'appel de Douai

Arrêt du 28 mars 2023 n° 22DA00315

28/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt du 19 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai, saisie par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, a annulé l'ordonnance du tribunal administratif de Lille du 30 octobre 2018 et a renvoyé l'affaire au tribunal pour qu'il soit statué sur la requête présentée par le SDIS du Nord. Cette affaire a été enregistrée sous le n° 1910984.

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 octobre 2018, 24 décembre 2019, 24 janvier 2020 et 25 février 2021, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a demandé au tribunal administratif de Lille, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Cambrai à lui verser la somme de 42 904 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des interventions réalisées, pour le compte de ce centre hospitalier, au cours du mois de mai 2018, à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer le montant de ses préjudices et, enfin, de mettre à la charge du centre hospitalier de Cambrai la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1910984 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête présentée par le SDIS du Nord.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 février 2022, le SDIS du Nord, représenté par la SCP Manuel Gros Héloïse Hicter et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Cambrai à lui verser la somme de 42 904 euros en réparation du préjudice qu'il a subi, assortie des intérêts de droit ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner, au titre des mesures d'instruction, un expert afin d'établir le coût moyen réel d'une intervention du SDIS dans le cadre du service public hospitalier, ou la fraction de la dotation de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) dont a bénéficié le centre hospitalier de Cambrai pour l'aide médicale d'urgence et les transports qu'il n'a pas effectués en mobilisant les moyens du SDIS ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cambrai la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- lorsque le SDIS est sollicité par une structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) pour assurer les transports de jonction médicalisés grâce à son véhicule de secours et d'assistance aux victimes (VSAV), il intervient en dehors de ses missions propres prévues par l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, en particulier lorsqu'un médecin de la SMUR est présent dans son VSAV ;

- ces interventions doivent dès lors donner lieu à indemnisation de la part du centre hospitalier de Cambrai, sur le fondement du régime du collaborateur occasionnel du service public ou de l'enrichissement sans cause ;

- l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, à titre principal dans sa version issue de la loi n° 96-369 du 3 mai 1996 ou, à titre subsidiaire dans sa version issue de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, méconnaît l'article 72 de la Constitution relatif au principe de libre administration des collectivités territoriales et l'article 72-2 de la Constitution relatif au principe de compensation de tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales.

La requête a été communiquée au centre hospitalier de Cambrai, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,

- et les observations de Me Manuel Gros, représentant le SDIS du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 27 juin 2017, le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a approuvé la tarification de chaque transfert médicalisé réalisé par le moyen d'un véhicule de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) suite à la demande de la structure médicale d'urgence et de réanimation (SMUR) sur place et/ou du centre de réception et de régulation des appels (" centre 15 ") du service d'aide médicale urgente (SAMU), vers un établissement de santé. Sur le fondement de cette délibération, le SDIS du Nord demande que le coût unitaire des interventions litigieuses soit calculé conformément à la délibération du 27 juin 2017 de son conseil d'administration, soit 346 euros, et demande la condamnation du centre hospitalier de Cambrai à lui verser la somme de 42 904 euros au titre du préjudice subi en raison des interventions réalisées au cours du mois de mai 2018 à la demande du " centre 15 " du SAMU rattaché au centre hospitalier de Cambrai.

2. Le SDIS du Nord fait appel du jugement du 22 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article R.*771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". L'article R.*771-4 du même code dispose : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ". Le SDIS du Nord n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales portent atteinte à certains droits et libertés garantis par la Constitution. Ce moyen n'est, par suite, pas recevable et doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours () concourent, avec les autres services et professionnels concernés, () aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : () / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ". L'article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure prévoit que : " Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales sont prises en charge par le service départemental d'incendie et de secours. () ". L'article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Le service départemental d'incendie et de secours n'est tenu de procéder qu'aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-2. / S'il a procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de ses missions, il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration. / Les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, et qui ne relèvent pas de l'article L. 1424-2, font l'objet d'une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d'aide médicale d'urgence. / Les conditions de cette prise en charge sont fixées par une convention entre le service départemental d'incendie et de secours et l'hôpital siège du service d'aide médicale d'urgence, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale () ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état " et l'article L. 6311-2 du même code prévoit que : " () Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente () ". L'article R. 6311-1 de ce code précise que : " Les services d'aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. / Lorsqu'une situation d'urgence nécessite la mise en œuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d'aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en œuvre par les services d'incendie et de secours " et l'article R. 6311-2 que : " Pour l'application de l'article R. 6311-1, les services d'aide médicale urgente : / () 2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ; / () 4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires () ". L'article D. 6124-12 de ce code permet aux SDIS de mettre des équipages et véhicules à disposition d'une SMUR dans le cadre, qui régit alors cette mise à disposition, d'une convention avec l'établissement de santé autorisé à disposer d'une telle structure. Il résulte aussi de l'article R. 6312-15 du même code que ces services, indépendamment de la conclusion d'une telle convention, peuvent être amenés à intervenir pour effectuer des transports sanitaires d'urgence faute de moyens de transport sanitaire.

6. Enfin, le paragraphe II.B.1 du titre I du référentiel commun du 25 juin 2008 relatif à l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente, annexé à l'arrêté de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et de la ministre de la santé et des sports du 24 avril 2009, prévoit, pour renforcer la coordination des services publics de façon à apporter la réponse la plus adaptée aux situations d'urgence, d'une part, que tous les appels pour secours et soins d'urgence font l'objet de la régulation médicale par le SAMU et, d'autre part, que dans les situations de " départ réflexe ", correspondant notamment à l'urgence vitale identifiée à l'appel et aux interventions sur la voie publique ou dans les lieux publics, l'engagement des moyens des SDIS en vue de secours d'urgence précède la régulation médicale, laquelle se fait alors dans les meilleurs délais. En vertu de la circulaire interministérielle du 5 juin 2015 relative à l'application de l'arrêté du 24 avril 2009 relatif à la mise en œuvre du référentiel portant sur l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente : " En cas de départ réflexe des moyens du SIS, la régulation médicale par le SAMU intervient dans les meilleurs délais après le déclenchement des moyens du SIS afin de s'assurer de la pertinence des moyens déjà engagés (compétence mobilisée et vecteur utilisé) et de les compléter le cas échéant ".

7. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les SDIS ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales. Figurent au nombre de ces missions celles qui relèvent des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l'évacuation de ces personnes vers un établissement de santé.

8. Il ressort des termes mêmes du deuxième alinéa de l'article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales que ces dispositions ne concernent pas les interventions des SDIS à la demande du " centre 15 " et régissent exclusivement les interventions des SDIS à la demande de particuliers, en dehors des situations de secours d'urgence aux personnes relevant du 4° de l'article L. 1424-2 du même code. De même, les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 1424-42 s'appliquent lorsque le SDIS intervient en dehors de situation de secours d'urgence aux personnes, à la demande du " centre 15 " de régulation médicale qui souhaite envoyer un moyen de transport pour répondre à une situation médicalement justifiée tout en constatant le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés. Dans un tel cas, les interventions effectuées par le SDIS font l'objet d'une prise en charge financière par les établissements publics de santé, siège des SAMU, par voie conventionnelle. Les troisième et quatrième alinéas de cet article régissent ainsi l'ensemble des conditions de prise en charge financière, par les établissements de santé, des interventions du SDIS à la demande du " centre 15 ", lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du même code. Cette prise en charge financière par voie conventionnelle est, par définition, différente de celle visée par l'article D. 6124-12 du code de la santé publique qui prévoit que le SDIS peut mettre à la disposition de la SMUR rattachée à un établissement de santé disposant d'un SAMU, certains de ses moyens, par voie de convention. Il suit de là qu'aucune disposition de l'article L.1424-42 du code général des collectivités territoriales n'autorise un SDIS à facturer unilatéralement une prise en charge financière à un établissement public de santé abritant un SAMU.

9. Par ailleurs, lorsque le SDIS, après avoir engagé ses moyens dans une situation de " départ réflexe ", laquelle relève de ses missions de service public au titre du 4° de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, procède à l'évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, il lui incombe d'assumer la charge financière de ce transport qui doit être regardé, en vertu des mêmes dispositions, quelle que soit la gravité de l'état de la personne secourue, comme le prolongement des missions de secours d'urgence aux accidentés ou blessés qui lui sont dévolues. La circonstance que la SMUR soit également intervenue sur décision du médecin coordonnateur du " centre 15 " pour assurer, au titre de ses missions propres, la prise en charge médicale urgente de la personne, est sans incidence sur les obligations légales du SDIS, parmi lesquelles figure celle d'assurer l'évacuation de la personne qu'il a secourue vers un établissement de santé.

10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le conseil d'administration du SDIS du Nord ne pouvait légalement, par sa délibération du 27 juin 2017, facturer unilatéralement aux centres hospitaliers abritant un SAMU, sur la base d'un forfait de 346 euros, les transports " de jonction " médicalisés à la demande de la SMUR sur place et/ou de la coordination médicale, réalisés au moyen de son VSAV vers l'établissement de santé désigné par le médecin coordinateur du " centre 15 " et qu'il lui incombe d'assumer la charge financière de ces interventions. Dès lors, le SDIS du Nord ne peut se prévaloir d'aucun préjudice financier résultant de la prise en charge de ces transports médicalisés au moyen de son VSAV.

11. De même, les évacuations réalisées par le SDIS du Nord relevant des missions qui lui sont imparties par le 4° de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, la charge financière qu'il supporte du fait de ces interventions résulte d'une obligation légale et ne saurait donc donner lieu à indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Pour les mêmes raisons ne peut-il être regardé, à l'occasion de ces évacuations, comme un collaborateur occasionnel du service public dès lors qu'il ne fait qu'exercer les missions qui lui sont légalement dévolues par la loi.

12. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande d'expertise, que le SDIS du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Cambrai, qui n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance, verse au SDIS du Nord la somme que celui-ci réclame à ce titre.

 

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du service départemental d'incendie et de secours du Nord est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours du Nord et au centre hospitalier de Cambrai.

Copie sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.

Le président-assesseur,

Signé : M. ALa présidente de chambre

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention et au préfet du Nord en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

N°22DA00315

Code publication

C