Tribunal administratif de Versailles

Jugement du 23 mars 2023 n° 2109228

23/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 25 octobre 2021, la société civile immobilière (SCI) Ampère, représentée par Me Erard, doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) de prononcer la décharge de la cotisation de taxe sur les friches commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 à raison d'un local commercial sis 29, boulevard Robespierre à Poissy dont elle est propriétaire ;

2°) de condamner l'Etat aux entiers dépens ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la taxe sur les friches commerciales mise à sa charge au titre de l'année 2018 n'est pas due, dès lors que l'absence d'exploitation de son bien immobilier est indépendante de sa volonté ; elle se prévaut sur ce point du paragraphe n°80 de l'instruction publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts le 25 juin 2014 sous la référence BOI-IF-AUT-110 ;

- la taxe sur les friches commerciales prévue par les dispositions de l'article 1530 du code général des impôts, est inconstitutionnelle dès lors qu'elle porte atteinte au droit de propriété, à la liberté du commerce et que l'absence de sécurité juridique qu'elle induit conduit à une rupture d'égalité devant les charges publiques.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 avril 2022, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la taxe sur les friches commerciales prévue par les dispositions de l'article 1530 du code général des impôts est irrecevable, faute d'avoir été soulevé à l'appui d'un mémoire distinct et motivé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ", en application des dispositions de l'article R. 771-3 du code de justice administrative ;

- les autres moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Mathé en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mathé, rapporteure,

- et les conclusions de M. Armand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Ampère a été imposée à la taxe sur les friches commerciales, au titre de l'année 2018, à raison d'un local commercial sis 29, boulevard Robespierre à Poissy (Yvelines), dont elle est propriétaire. Le 31 octobre 2018, la somme de 10 312 euros a été mise en recouvrement. Par une décision du 20 août 2021, le service a rejeté sa réclamation d'assiette présentée le 26 décembre 2018. Par sa requête, la SCI Ampère doit être regardée comme demandant au tribunal de prononcer la décharge de cette imposition.

Sur les conclusions à fin de décharge :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. ". Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ".

3. Le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1530 du code général des impôts, qui instaure la taxe sur les friches commerciales à laquelle a été assujettie la SCI Ampère au titre de l'année 2018, ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé dans un mémoire distinct et motivé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ", ce moyen est irrecevable, comme le fait d'ailleurs valoir l'administration fiscale.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1530 du code général des impôts : " I. - Les communes peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues au I de l'article 1639 A bis, instituer une taxe annuelle sur les friches commerciales situées sur leur territoire. / Toutefois, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant une compétence d'aménagement des zones d'activités commerciales peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues au I de l'article 1639 A bis, instituer cette taxe en lieu et place de la commune. / II. - La taxe est due pour les biens évalués en application de l'article 1498, à l'exception de ceux visés à l'article 1500, qui ne sont plus affectés à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises défini à l'article 1447 depuis au moins deux ans au 1er janvier de l'année d'imposition et qui sont restés inoccupés au cours de la même période. / Pour l'établissement des impositions, le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale communique chaque année à l'administration des impôts, avant le 1er octobre de l'année qui précède l'année d'imposition, la liste des adresses des biens susceptibles d'être concernés par la taxe. / III. - La taxe est acquittée par le redevable de la taxe foncière au sens de l'article 1400. / () VI. - La taxe n'est pas due lorsque l'absence d'exploitation des biens est indépendante de la volonté du contribuable. / VII. - Le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties. / () "

5. Il est constant que le local commercial dont la SCI Ampère est propriétaire, n'est plus affecté, au moins depuis 2009, à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises et est resté inoccupé depuis lors. Si la société requérante soutient qu'elle a participé, jusqu'en 2013, à plusieurs projets en lien avec la commune de Poissy et la société d'économie mixte pour l'attractivité de Poissy, visant à contribuer à divers aménagements de la zone où était implanté son bien immobilier qui devait faire l'objet d'une réaffectation après une reconstruction ou une réhabilitation, qui n'ont finalement pas abouti, cette seule circonstance ne peut, en toute hypothèse, justifier que l'absence d'exploitation de ce bien pendant au moins deux ans au 1er janvier 2018, année d'imposition en litige, est indépendante de la volonté de la SCI Ampère. En outre, si la société requérante fait valoir qu'elle a ensuite effectué des démarches afin de mettre en vente ou en location son bien, sur lequel elle a également entrepris des travaux de rénovation des façades et de la toiture, sans succès, et produit à cet égard une convention de mandat signée le 1er juillet 2015 avec la société BNP Paribas real estate transaction France afin de donner celui-ci en vente ou en location, ainsi qu'une convention de mandat simple de location signée le même jour avec la société Nexity conseil et transaction, ces mandats n'ont été donnés que pour une durée initiale de trois mois, et à supposer même que cette durée ait été tacitement reconduite, ils ont pris fin au plus tard le 30 juin 2016, ainsi qu'ils le prévoient. De plus, la société requérante ne produit aucun élément relatif à la diffusion des offres de vente et de location, et elle n'établit pas que le prix de vente du local commercial, d'une surface d'environ 1 080 m2, fixé à 2 250 000 euros hors taxes, et du loyer annuel, fixé à 150 000 euros hors taxes, correspondrait au prix du marché immobilier dans le secteur au regard du type de bien immobilier. En tout état de cause, elle ne justifie pas avoir utilisé d'autres vecteurs pour faciliter la vente ou la location de son bien afin que celui-ci puisse être exploité. Par ailleurs, si elle soutient avoir finalement décidé d'initier un projet de réaménagement du bien en cause afin de l'exploiter elle-même, ce qui a donné lieu au dépôt, le 9 octobre 2017, d'un dossier de déclaration préalable de travaux, qui ont, selon elle, été autorisés par la commune de Poissy le 11 juillet 2018, cette circonstance n'est pas non plus de nature à établir que l'exploitation de celui-ci pendant au moins deux ans au 1er janvier 2018, était impossible. Dans ces conditions, le bien immobilier en cause n'étant plus affecté à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises depuis au moins deux ans au 1er janvier 2018 et étant resté inoccupé au cours de la même période, sans que la société requérante ne démontre que cette absence d'exploitation était indépendante de sa volonté au sens et pour l'application des dispositions du VI de l'article 1530 du code général des impôts, c'est à bon droit que la SCI Ampère a été assujettie à la taxe sur les friches commerciales à raison de ce même bien, au titre de l'année 2018.

6. En dernier lieu, la société requérante se prévaut des énonciations du paragraphe n°80 de l'instruction publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts le 25 juin 2014 sous la référence BOI-IF-AUT-110 , qui prévoient que la taxe sur les friches commerciales " n'est pas due lorsque l'absence d'exploitation est indépendante de la volonté du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties et est imputable à une cause étrangère à sa volonté faisant obstacle à l'exploitation du local dans des conditions normales. / L'appréciation du caractère volontaire ou non de l'absence d'exploitation relève essentiellement de circonstances de fait. Il appartient au redevable d'établir de manière précise qu'une circonstance indépendante de sa volonté a fait obstacle de manière inéluctable à la poursuite de l'exploitation ou qu'il a effectué toutes les démarches pour vendre ou louer son bien. / Il en résulte que sont notamment exclus du champ d'application de la taxe : / - les biens ayant vocation, dans un délai proche, à disparaitre ou à faire l'objet de travaux dans le cadre d'opérations d'urbanisme ou de réhabilitation. A ce titre, un délai d'un an peut être retenu ; / - les biens mis en location ou en vente à un prix n'excédant pas celui du marché et ne trouvant pas preneur ou acquéreur. " La SCI Ampère, qui d'ailleurs n'invoque pas les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de cette doctrine qui ne donne pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application au point 5 du présent jugement.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Ampère n'est pas fondée à demander la décharge de la cotisation de taxe sur les friches commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 à raison d'un local commercial sis 29, boulevard Robespierre à Poissy dont elle est propriétaire.

Sur les frais du litige :

8. En premier lieu, la présente instance n'a occasionné aucun dépens. Par suite, les conclusions de la SCI Ampère présentées sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

9. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société requérante à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Ampère est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Ampère, et au directeur départemental des finances publiques des Yvelines.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023.

La magistrate désignée,

C. MathéLa greffière,

C. Benoit-Lamaitrie

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.