Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 22 mars 2023 n° 2206120

22/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 31 janvier 2023, l'association Sentiers d'Avenir, M. A K, Mme F H, M. G J, M. et Mme I et E D et M. B C de Nomazy, représentés par la SCP Waquet, Farge, Hazan, demandent au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation l'arrêté PA 056 013 22 T 0005 du 10 août 2022 par lequel le préfet du Morbihan a accordé un permis d'aménager à la direction départementale des territoires et de la mer du Morbihan pour des aménagements légers en espace remarquable du littoral pour la mise en place de la servitude de passage des piétons sur le littoral sur le tronçon de Pen Mané Braz à Pont Lorois sur le territoire de la commune de Belz, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 121-31 et L. 121-32 du code de l'urbanisme.

Ils soutiennent que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas été déclarées conformes à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel ;

- la question posée présente un caractère sérieux : la préservation de l'environnement et le droit à un environnement équilibré, garantis par l'article 1er de la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle ; les articles L. 121-31 et L. 121-32 du code de l'urbanisme ne sont pas conformes à ces principes ; la fréquentation accrue de sites qui se trouvaient auparavant préservés induit des conséquences négatives sur la faune et la flore locales ; par ailleurs, les travaux réalisés aux fins de nouveaux tracés ou d'aménagement des caractéristiques de la servitude contribuent largement à la dégradation des sols et l'érosion des dunes bordant le rivage ; la poursuite de l'intérêt économique et le développement touristique, à l'origine de la création de ces servitudes, ne sauraient justifier la méconnaissance du droit de chacun à un environnement équilibré ; si l'article L. 121-32 2° du code de l'urbanisme permet au représentant de l'État de suspendre une servitude, c'est seulement à titre exceptionnel ainsi que l'a précisé un arrêt du Conseil d'Etat du 29 juin 2020 n° 433662.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au préfet du Morbihan qui n'a pas produit de mémoire.

Vu :

- la délégation du président du tribunal accordée en application de l'article R. 771-7 du code de justice administrative ;

- l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 juin 2020 n° 433662 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents () de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. Les requérants soutiennent que les articles L. 121-31 et L. 121-32 du code de l'urbanisme qui instituent une servitude de passage longitudinale de plein droit sur une bande de trois mètres de largeur des propriétés privées des riverains, dans l'unique but d'assurer la continuité du cheminement de piétons ou leur libre accès à la mer, portent atteinte à l'objectif constitutionnel de préservation de l'environnement et de l'article 1er de la Chartre de l'environnement en ne permettant de la suspendre qu'à titre exceptionnel.

4. Aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ".

5. Aux termes de l'articles L. 121-31 du code de l'urbanisme : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. ". Aux termes de l'article L. 121-32 du même code : " L'autorité administrative compétente de l'Etat peut, par décision motivée prise après avis de la ou des communes intéressées et au vu du résultat d'une enquête publique réalisée conformément au chapitre IV du titre III du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions particulières prévues par le présent code : / 1° Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants. Le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; / 2° A titre exceptionnel, la suspendre. ".

6. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu instituer dans un but d'intérêt général une servitude de passage longitudinale sur une bande de trois mètres de largeur des propriétés privées des riverains, destinée à assurer exclusivement le passage des piétons en prévoyant la possibilité d'en ajuster le tracé ou ses caractéristiques pour assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, en tenant notamment compte de la présence d'obstacles de toute nature.

7. D'une part, s'agissant plus particulièrement de la conciliation de la servitude de passage des piétons sur le littoral avec les objectifs de préservation de l'environnement, l'article R. 121-13 du code de l'urbanisme dispose : " A titre exceptionnel, la servitude de passage longitudinale peut être suspendue, notamment dans les cas suivants : () / 5° Si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols () ". Ainsi l'intérêt général qui s'attache au maintien et à la continuité de la servitude connaît une limite tenant en particulier à la prise en compte de la protection et de la préservation des sites à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou des équilibres naturels. L'arrêt du conseil d'Etat du 29 juin 2020 n° 433662, invoqué par les requérants, a précisé l'articulation de ce principe de continuité et de cette exception en jugeant que l'administration ne peut légalement décider de suspendre jusqu'à nouvel ordre la servitude de passage que si elle justifie qu'une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi ne pourrait, même après la réalisation de travaux, " assurer le libre passage et la sécurité des piétons ", " garantir la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols. ". Il ne découle pas de cet arrêt du conseil d'Etat de conséquences particulières sur l'environnement.

8. D'autre part, les dispositions de l'article L. 121-32 du code de l'urbanisme font obligation à l'administration, lorsqu'elle souhaite apporter des adaptations au tracé ou aux caractéristiques de la servitude de passage, de respecter certaines règles procédurales dont l'élément principal est constitué par l'enquête publique, laquelle permet notamment de prendre en compte la nécessaire protection et la conservation d'un site à protéger. En dehors de l'enquête publique, ce même article prévoit également la consultation des communes concernées, ce qui est de nature à apporter une garantie supplémentaire permettant de prendre en compte la nécessité d'assurer l'équilibre entre le libre accès des piétons au rivage de la mer et le respect de l'environnement.

9. Enfin, cette réglementation doit également se concilier avec les autres dispositions législatives ou réglementaires applicables, qui concourent à la protection de l'environnement lorsqu'un site sensible ou protégé est concerné par le tracé du sentier ou les travaux devant y être réalisés. Ainsi, dans les espaces remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, seuls des aménagements légers limitativement énumérés peuvent être implantés en particulier pour leur ouverture au public, à condition qu'ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site.

10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants, tirée de la méconnaissance par les articles L. 121-31 et L. 121-32 du code de l'urbanisme de l'article 1er de la Charte de l'environnement et de l'objectif de valeur constitutionnelle de préservation de l'environnement, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.

O R D O N NE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Sentiers d'Avenir, M. K, Mme H, M. J, M. et Mme D et M. C de Nomazy.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Sentiers d'Avenir, désignée représentante unique des requérants dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et au préfet du Morbihan.

Fait à Rennes, le 22 mars 2023.

Le président de la 1ère chambre,

signé

C. Radureau

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

D