Tribunal administratif de Versailles

Jugement du 20 mars 2023 n° 2109809

20/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

 

 

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2021, M. B C demande au tribunal :

 

1°) d'annuler de la décision du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Sud Francilien (CHSF) à Corbeil-Essonnes l'a suspendu de ses fonctions à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination répondant aux conditions définies par le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 et a assorti cette suspension d'une absence de rémunération ;

 

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de rétablir le versement de son traitement ;

 

3°) de mettre à la charge du CHSF à Corbeil-Essonnes une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Il soutient que :

 

- la décision méconnait l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 et constitue une sanction disciplinaire pour laquelle la procédure a été irrégulière en l'absence de communication du dossier, de respect du principe du contradictoire et de l'absence de convocation du conseil de discipline ;

- la loi de 2021 méconnaît l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les droits de la défense.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2021, le centre hospitalier Sud Francilien (CHSF), représenté par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

 

Par une ordonnance du 23 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 janvier 2023.

 

Vu :

- l'ordonnance du juge des référés n°2109810 du 15 novembre 2021 ;

- les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Constitution et son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- le code de sécurité sociale ;

- le code de la fonction publique ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

 

 

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de Mme Ghiandoni, rapporteure publique,

- les observations de Me Magnaval pour le centre hospitalier Sud Francilien.

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. M. C, infirmier de hors classe, a été suspendu de ses fonctions par une décision du 6 septembre 2021 du directeur du Centre hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination répondant aux conditions définies par le décret n°2021-1059 du 7 août 2021, et a prévu qu'il ne percevrait pas de rémunération durant la période de suspension. M. C demande au tribunal l'annulation de cette décision et le rétablissement de son traitement.

Sur le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () " ; II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la COVID-19 des personnes mentionnées au I du présent article. () " et, aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ". Aux termes de l'article 49-1 du décret 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans sa rédaction issue du décret n°2021-1059 du 7 août 2021 en vigueur à compter du 9 août 2021 : " Hors les cas de contre-indication médicale à la vaccination mentionnés à l'article 2-4, les éléments mentionnés au second alinéa du II de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont :/1° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ;/2° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2 ;/3° A compter de la date d'entrée en vigueur de la loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus et à défaut de pouvoir présenter un des justificatifs mentionnés aux présents 1° ou 2°, le résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest mentionné au 1° de l'article 2-2 d'au plus 72 heures. A compter 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ce justificatif doit être accompagné d'un justificatif de l'administration d'au moins une des doses d'un des schémas vaccinaux mentionnés au 2° de l'article 2-2 comprenant plusieurs doses./ Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 3° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2./ La présentation de ces documents est contrôlée dans les conditions mentionnées à l'article 2-3. ".

3. D'autre part, dans sa décision n° 2015-458 QPC du 25 mars 2015, le Conseil constitutionnel a précisé qu'il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective au regard de l'objectif de protection de la santé et de son utilités eu égard à la gravité et la contagiosité des maladies contre lesquelles l'État entend lutter. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. En adoptant, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, compléter les mesures de lutte contre la propagation de l'épidémie d'une obligation vaccinale pour les personnes exerçant leur activité´ dans certains secteurs du domaine médical, en qualité d'agent public ou prive´, et dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des personnes qui y étaient hospitalisés. Il en résulte que l'obligation vaccinale prévue par les dispositions législatives précitées s'impose à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, quel que soit l'emplacement des locaux en question et que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé et que faute de satisfaire a` cette obligation, et sous les seules réserves d'une contre-indication médicale ou d'un certificat de rétablissement, la loi prévoit que les agents sont interdits par leur employeur d'exercer leur emploi et voient leur contrat de travail suspendu jusqu'a` ce qu'ils remplissent les conditions nécessaires, soit, qu'ils soient a` jour de leur schéma vaccinal. Cette suspension s'accompagne de l'arrêt du versement de la rémunération. En outre, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2021 à propos du passe sanitaire, a rappelé que le législateur poursuit, en imposant la vaccination du personnel des établissements médicaux, l'objectif de valeur constitutionnel de protection de la santé. Plus précisément, selon les travaux parlementaires, l'obligation posée tend à éviter la propagation du virus par les personnes qui se trouveraient au contact de personnes vulnérables ainsi qu'à protéger les professionnels de santé eux-mêmes, en limitant leur risque d'exposition au virus, soit, à limiter la pression sur les structures de soins.

Sur la légalité de la décision :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois () ".

5. Il ressort du III de l'article 14 au point 2, lequel a fixé une procédure préalable à l'édiction d'une mesure de suspension, que l'employeur, qui constate que l'agent ne peut plus exercer son activité en application du I du même article, l'informe sans délai, avant de prononcer une telle mesure de suspension, des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation et le cas échéant d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. C ne peut utilement se prévaloir pour contester la décision de suspension de ce que cette décision revêt le caractère d'une sanction et que les garanties de la procédure disciplinaire prévues par l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais reprises à l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, n'ont pas été respectées, dès lors que la décision de suspension attaquée n'a pas été prise sur le fondement de ces dispositions mais sur celles prévues par le III de l'article 14 précité de la loi du 5 août 2021, qui ont créé une procédure spécifique. Le moyen qui est inopérant doit donc être écarté.

7. En deuxième lieu, les moyens tirés de ce que la loi méconnaîtrait le principe constitutionnel des droits de la défense et l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peuvent être soulevés que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Or, en l'absence de mémoire distinct, les moyens sont irrecevables.

8. En troisième et dernier lieu, si M. C soutient que la décision contestée méconnait les droits de la défense prévus par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'est pas contesté que le CHSF a mis en œuvre le III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 et la procédure qui s'y attache. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions en annulation de la requête de M. C doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction doivent également être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions des parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : les conclusions du centre hospitalier Sud Francilien sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B C et au centre hospitalier Sud Francilien.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Mégret, présidente,

Mme Rivet, première conseillère,

M. Gibelin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2023.

La Présidente rapporteure,

signé

S. AL'assesseur le plus ancien,

signé

S. Rivet

La greffière,

signé

Y. Bouakkaz

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2109809