Tribunal administratif de Nantes

Jugement du 17 mars 2023 n° 1906991

17/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 juin 2019, M. et Mme A B, représentés par Me Isaia, demandent au tribunal :

1°) de prononcer la réduction, à hauteur d'une somme de 23 986 euros, des prélèvements sociaux qu'ils ont acquittés au titre de l'année 2017 ainsi que des intérêts moratoires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la hausse du taux de contribution sociale généralisée de 1,7 point, introduite par les dispositions du 3° du V du A de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, à compter de l'émission des rôles édictés postérieurement au 1er janvier 2018 a pour effet de permettre la taxation de plus-values dont le fait générateur est intervenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017, ne ressortit pas au champ de la " petite rétroactivité " dont la constitutionnalité a été reconnue par le juge constitutionnel et n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général suffisant ;

- cet effet rétroactif porte atteinte aux situations légalement acquises en méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) ;

- il méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la DDHC ;

- il contrevient à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme compte tenu de son processus d'adoption ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 janvier 2020, la directrice régionale des finances publiques des Pays de la Loire et du département de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- les moyens tirés de la contrariété alléguée de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 avec les principes à valeur constitutionnelle sont irrecevables dans le cadre d'un recours de plein contentieux fiscal ;

- les autres moyens soulevés par M. et Mme B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Thierry, conseillère,

- et les conclusions de M. Vauterin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A B ont cédé, le 16 mars 2017, les titres qu'ils détenaient dans la société LCE et ont réalisé à cette occasion une plus-value de 1 410 968 euros. Ils ont été assujettis au titre de cette plus-value à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux au titre de l'année 2017 par rôle du 30 septembre 2018 et se sont vu appliquer un taux de 9,9 % au titre de la contribution sociale généralisée, soit un montant de 139 686 euros acquitté au titre de cette contribution. M. et Mme B ont contesté, par réclamation du 14 avril 2019, l'application à cette plus-value du taux de 9,9 % au titre de la contribution sociale généralisée. Cette réclamation a été rejetée par décision de l'administration fiscale du 10 mai 2019. M. et Mme B demandent au tribunal la réduction, à hauteur de la somme de 23 986 euros, des prélèvements sociaux qu'ils ont acquittés au titre de l'année 2017.

2. L'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dispose : " I. Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : () / e) Des plus-values, gains en capital et profits soumis à l'impôt sur le revenu, de même que des distributions définies aux 7, 7 bis, 8 et 9 du II de l'article 150-0 A, à l'article 150-0 f et au 1 du II de l'article 163 quinquies C du code général des impôts, de l'avantage mentionné au I de l'article 80 quaterdecies du même code lorsque celui-ci est imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires selon les modalités prévues au 3 de l'article 200 A dudit code, et du gain défini à l'article 150 duodecies du même code ; () ". En outre, l'article L. 136-8 du même code, dans sa rédaction applicable à l'imposition litigieuse telle qu'elle résulte du I. de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, dispose : " I. - Le taux des contributions sociales est fixé : () / 2° A 9,9 % pour les contributions sociales mentionnées aux articles L. 136-6 et L. 136-7 ; (). ". Enfin, aux termes du V de l'article 8 de cette loi : " A.- Les I et II du présent article s'appliquent : () / 3° A compter de l'imposition des revenus de l'année 2017, en ce qu'ils concernent la contribution mentionnée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, sous réserve du II de l'article 34 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ; (). ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : "question prioritaire de constitutionnalité" ".

4. M. et Mme B entendent se prévaloir de l'inconstitutionnalité de l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 au motif de la méconnaissance de ces dispositions, d'une part, avec les principes à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui découlent des principes posés par les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, et, d'autre part, avec les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques qui découlent des principes posés par les articles 6 et 13 de ce même texte. Toutefois, ces moyens n'ayant pas été, comme le prévoient les dispositions précitées de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, soulevés sous forme de question prioritaire de constitutionnalité, présentée dans le cadre d'un mémoire distinct et motivé, ils sont irrecevables et ne peuvent qu'être écartés. En tout état de cause, le Conseil d'Etat s'est prononcé, par une décision n° 431862 du 12 septembre 2019 sur la question prioritaire de constitutionnalité dont les requérants cherchent à se prévaloir, en concluant à l'absence de caractère sérieux de cette question, ne justifiant dès lors pas son renvoi au Conseil constitutionnel.

5. En second lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Si ces stipulations ne font, en principe, pas obstacle à ce que le législateur ou le pouvoir réglementaire adoptent de nouvelles dispositions remettant en cause des droits patrimoniaux découlant de lois ou règlements en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier.

6. Les dispositions contestées, qui sont applicables aux impositions dues en 2018 au titre de l'année 2017, modifient le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine antérieurement applicable. D'une part, aucune règle constitutionnelle ni conventionnelle n'en imposait le maintien et les requérants ne pouvaient légitimement s'attendre à ce que leur soit appliqué le taux en vigueur à la date de la cession, alors que si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l'imposition de cette dernière se situe au 31 décembre de l'année de la réalisation du revenu. D'autre part, contrairement à ce qui est soutenu, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est entrée en vigueur le 31 décembre 2017, conformément aux dispositions du dernier alinéa de son article 78. Par suite, M. et Mme B ne sont pas fondés à soutenir que cette loi, qui ne prévoit donc pas d'application rétroactive et ne remet pas en cause des droits patrimoniaux découlant de lois ou règlements en vigueur, méconnaîtrait les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. C'est dès lors à bon droit que l'administration fiscale a appliqué le taux de 9,9 % prévu par les dispositions de l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 à la plus-value de cession de valeurs mobilières réalisée par M. et Mme B au cours de l'année 2017.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins de réduction présentées par M. et Mme B doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme A B et à la directrice régionale des finances publiques des Pays de la Loire et du département de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 17 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Livenais, président,

Mme Rosemberg, première conseillère,

Mme Thierry, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mars 2023.

La rapporteure,

S. THIERRY

Le président,

Y. LIVENAISLe greffier,

E. LE LUDEC

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

Code publication

C