Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 16 mars 2023 n° 2103888

16/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2021, M. A C demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 14 septembre 2021 par laquelle la directrice générale du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours l'a suspendu de ses fonctions, sans rémunération à compter du 15 septembre 2021, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination répondant aux conditions définies par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

2°) de rétablir le versement de son traitement ;

3°) de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir.

Il soutient que :

- la décision attaquée constitue une sanction disciplinaire et la procédure disciplinaire n'a pas été respectée ;

- la décision attaquée méconnait le droit protégé par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'un conflit du travail conduisant à la suspension sans traitement d'un agent ne peut être mené sans respect d'une procédure contradictoire ;

- son salaire doit en conséquence être rétabli.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2022, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours, représenté par Me Tertrais, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le CHRU de Tours soutient que la requête est irrecevable et que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 86-633 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de Mme Palis De Koninck, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gobé, substituant Me Tertrais, représentant le CHRU de Tours.

Considérant ce qui suit :

1. M. A C exerce en qualité d'infirmier au sein du pôle réanimation/anesthésie du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours. Par décision du 14 septembre 2021 de la directrice générale de cet établissement, il a été suspendu de ses fonctions à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la présentation d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Il a également été décidé que le versement de sa rémunération serait suspendu durant cette période. M. C a démissionné et a été radié des cadres à compter du 1er mars 2022. Par sa requête ci-dessus analysée, il demande au tribunal l'annulation de la décision du 14 septembre 2021 et le rétablissement de son salaire.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Aux termes de l'article 13 de cette loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / Un décret détermine les conditions d'acceptation de justificatifs de vaccination, établis par des organismes étrangers, attestant de la satisfaction aux critères requis pour le certificat mentionné au même premier alinéa ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. () III. - Le certificat médical de contre-indication mentionné au 2° du I du présent article peut être contrôlé par le médecin conseil de l'organisme d'assurance maladie auquel est rattachée la personne concernée. Ce contrôle prend en compte les antécédents médicaux de la personne et l'évolution de sa situation médicale et du motif de contre-indication, au regard des recommandations formulées par les autorités sanitaires. / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. / Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. / V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public. Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension. ".

3. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté. L'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions ne résulte pas d'un simple constat mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la régularité du justificatif produit au regard de ces dispositions et de celles des dispositions réglementaires prises pour leur application. Par suite, contrairement à ce que soutient le CHRU de Tours, l'administration n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la mesure litigieuse.

4. En deuxième lieu, lorsque l'autorité administrative suspend le contrat de travail d'un agent public qui ne satisfait pas à l'obligation instituée par les dispositions de la loi du 5 août 2021 et interrompt, en conséquence, le versement de son traitement, elle ne prononce pas une sanction à raison d'un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Par suite, M. C ne peut utilement se prévaloir ni de ce que la décision en litige constituerait une sanction édictée au terme d'une procédure irrégulière en raison de la méconnaissance des droits de la défense, ni des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

5. En troisième lieu, M. C ne peut utilement invoquer une méconnaissance par la décision attaquée du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont les stipulations ne sont pas applicables aux procédures administratives.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. ". Si le requérant a entendu faire valoir que la loi du 5 août 2021 méconnait l'exigence constitutionnelle de respect du principe du contradictoire, ce moyen n'est pas présenté dans un écrit distinct et n'est pas motivé contrairement aux exigences des dispositions précitées. Par suite, à la supposer posée, cette question prioritaire de constitutionnalité ne peut en tout état de cause qu'être rejetée.

7. En dernier lieu, si le requérant, en invoquant le principe du contradictoire, a entendu se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration aux termes desquelles : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ", le moyen doit être écarté dès lors que le dernier alinéa de l'article L. 121-2 du même code dispose que : " Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents. ".

8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 14 septembre 2021 de la directrice générale du CHRU de Tours doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée en défense.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent jugement qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'implique aucune mesure d'exécution particulière. Les conclusions à fin d'injonction sont dès lors également rejetées.

Sur les frais de justice :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHRU de Tours, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. C de la somme qu'il réclame au titre des frais de justice.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du CHRU de Tours tendant à l'application des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier régional universitaire de Tours tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A C et au centre hospitalier régional universitaire de Tours.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Rouault-Chalier, présidente,

M. Viéville, premier conseiller,

M. Nehring, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.

Le rapporteur,

Sébastien VIEVILLE

La présidente,

Patricia ROUAULT-CHALIER

La greffière,

Agnès BRAUD

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C