Tribunal administratif de Besançon

Jugement du 16 mars 2023 n° 2101621

16/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2021, M. C A, représenté par Me Stucklé, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 16 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Jura Sud l'a suspendu sans traitement de ses fonctions à compter du 11 octobre 2021 ;

2°) d'ordonner la réintégration immédiate à son poste de travail ainsi que le versement par le centre hospitalier Jura Sud de son traitement depuis le 16 septembre 2021 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Jura Sud une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A soutient que :

- la décision méconnaît l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dès lors que la suspension devrait être assortie de la conservation de son traitement ;

- la suspension s'analyse en une sanction disciplinaire grave et lourde, les garanties disciplinaires n'ont pas été respectées telles que la communication du dossier, le respect du principe du contradictoire et la convocation d'un conseil de discipline en bonne et due forme ;

- le dispositif relatif à l'obligation vaccinale est inapplicable en l'absence d'un avis de la Haute autorité de santé et d'un décret d'application de la loi du 5 août 2021 ;

- la décision contestée caractérise le délit de discrimination dès lors que l'employeur suspend le contrat de travail et le traitement pour raisons de santé et le délit d'extorsion en tant que l'employeur tente d'obtenir de l'agent qu'il accepte une injection contre sa volonté ;

- la décision doit être annulée pour violation des articles 16-1, 16-3 et 16-4 du code civil ;

- en créant une discrimination sur l'état de santé, la décision viole délibérément les articles 1er et 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- en créant une discrimination sur l'état de santé, la décision viole délibérément la résolution 2361 du conseil de l'Europe rendue le 27 janvier 2021 ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 1er, 2, 4, 5 et 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 23 août 1789 ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 1er, 23 et 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 et est fondée sur une loi anticonstitutionnelle ;

- la décision attaquée, comme la loi du 5 août 2021, méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision attaquée méconnaît les articles L. 1110-4, L. 1111-4, L. 1122-1-1, R. 41-27-2 et R. 41-27-36 du code de la santé publique ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 1er, 55 et 71-1 de la Constitution et les alinéas 10, 11 et 13 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 5 et 10 de la convention d'Oviedo ;

- la décision attaquée est contraire à l'arrêt Salvetti du 9 juillet 2002 rendu par la Cour européenne des droits de l'homme ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 6 et 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 1er, 2, 3, 4, 5 et 7 de la déclaration des Nations unies ;

- la décision attaquée méconnaît les articles 1 à 10 du code de Nuremberg de 1945 ;

- la décision attaquée méconnaît le principe d'égalité entre fonctionnaires et citoyens et crée une rupture d'égalité entre eux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2022, le centre hospitalier Jura Sud, représenté par DSC Avocats, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. A à lui verser une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier soutient que :

- le requérant n'a pas confirmé le maintien de sa requête après l'ordonnance de référé ;

- les moyens invoqués par M. A ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du juge des référés n° 2101603 du 11 octobre 2021.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- la déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- la déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction du 25 novembre 1981 ;

- le règlement 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- la résolution n° 2361 du 27 janvier 2021 de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié par les décrets n° 2021-1059 du 7 août 2021 et n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- les conclusions de M. B,

- les observations de Me Stucklé, pour M. A et de Me Maillard-Salin, pour le centre hospitalier Jura Sud.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, praticien hospitalier spécialisé en médecine générale, exerce ses fonctions au sein du centre hospitalier Jura Sud. Par un arrêté du 16 septembre 2021, dont M. A demande l'annulation, le directeur du centre hospitalier Jura Sud l'a suspendu de ses fonctions à compter du 11 octobre 2021 jusqu'à la présentation des justificatifs requis pour l'exercice de ses fonctions et a décidé que le versement de sa rémunération sera suspendu durant cette période.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; () II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la COVID-19 des personnes mentionnées au I du présent article () ". Aux termes de l'article 13 de cette loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / Un décret détermine les conditions d'acceptation de justificatifs de vaccination, établis par des organismes étrangers, attestant de la satisfaction aux critères requis pour le certificat mentionné au même premier alinéa ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. () III. - Le certificat médical de contre-indication mentionné au 2° du I du présent article peut être contrôlé par le médecin conseil de l'organisme d'assurance maladie auquel est rattachée la personne concernée. Ce contrôle prend en compte les antécédents médicaux de la personne et l'évolution de sa situation médicale et du motif de contre-indication, au regard des recommandations formulées par les autorités sanitaires. / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. / Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. / V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public. Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension ".

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 :

3. Si M. A soutient que les dispositions de la loi du 5 août 2021, laquelle fonde la décision attaquée, méconnaissent la Constitution, son Préambule et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ces moyens ne peuvent être soulevés qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevés à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 :

4. En premier lieu, si M. A soutient que la décision est illégale en ce qu'elle est fondée sur la loi du 5 août 2021 qui, en instituant une obligation de vaccination contre la Covid-19, méconnaît les normes européennes et internationales, notamment la déclaration universelle des droits de l'homme, les articles 5 et 10 de la convention d'Oviedo, la déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, le code de Nuremberg, la résolution 2361/699 et l'arrêt Salvetti de la Cour européenne des droits de l'homme, ces moyens ne sont pas assortis des précisions suffisantes de nature à en apprécier la portée et le bien-fondé. Par suite, ils ne peuvent en l'état, et à supposer qu'ils soient opérants, qu'être écartés.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

6. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2021 que l'accès volontaire aux vaccins, qui était initialement l'approche privilégiée, n'a pas permis d'atteindre une couverture vaccinale suffisante, notamment parmi les soignants, pour endiguer les vagues épidémiques. En adoptant, pour l'ensemble des professionnels des secteurs sanitaire et médicosocial, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale, protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients et notamment des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées), protéger également la santé des professionnels de santé, qui sont particulièrement exposés au risque de contamination compte tenu de leur activité, et diminuer ainsi le risque de saturation des capacités hospitalières. D'une part, la mesure contestée, fondée sur les dispositions de la loi du 5 août 2021, s'applique de manière identique à l'ensemble des personnes qui exercent leur activité professionnelle au sein des établissements de santé et des professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique. La circonstance que ce dispositif fait peser sur ces personnes une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres catégories de personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements et professionnels de santé et de la vulnérabilité des patients qu'ils prennent en charge, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Contrairement à ce qui est soutenu, ces professionnels, en contact avec des patients, se trouvent dans une situation différente des autres travailleurs. D'autre part, l'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus. Ainsi, la décision attaquée se fondant sur les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021, a apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique et proportionnée à ce but. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait incompatible avec les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait discriminatoire ou contraire au principe d'égalité.

7. En dernier lieu, si le requérant soutient que la décision attaquée est illégale en tant qu'elle est fondée sur la loi du 5 août 2021 qui méconnaît le règlement (UE) 2021/953 du 14 juin 2021, les dispositions de ce règlement, qui sont relatives à l'exercice du droit à la libre circulation et à la liberté de séjour au sein des États membres de l'Union européenne, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire à un État membre de rendre la vaccination contre la Covid-19 obligatoire à tout ou partie de ses ressortissants. Le dispositif contesté mis en place sur le fondement des dispositions des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ne crée aucune discrimination entre les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées qui serait contraire au règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021. Par suite, le moyen tiré de l'incompatibilité de la mesure avec le règlement (UE) 2021/953 du 14 juin 2021 doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de la contrariété de la mesure à d'autres normes législatives :

8. En premier lieu, si M. A soutient que la mesure méconnaît les articles L. 1110-4, L. 1111-4, L 1122-1, R. 4127-2 et R. 4127-36 du code de la santé publique, les articles 16-1, 16-3 et 16-3 du code civil ainsi que les articles 225-1 à 225-3 du code pénal, il n'assortit pas ses moyens de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. En second lieu, la décision attaquée se fonde sur les articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021. Il ne peut dès lors être invoqué le bénéfice d'autres dispositions à valeur législative telles que la loi du 27 mai 2008. En tout état de cause, il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la cohésion des dispositions législatives entre elles ni de se prononcer sur l'opportunité de leur contenu.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête :

10. En premier lieu, lorsque l'autorité administrative suspend le contrat de travail d'un agent public qui ne satisfait pas à l'obligation instituée par les dispositions citées au point 2 et interrompt, en conséquence, le versement de son traitement, elle ne prononce pas une sanction à raison d'un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Par suite, M. A ne peut utilement se prévaloir de ce que la décision en litige constituerait une sanction édictée au terme d'une procédure irrégulière en raison de la méconnaissance des droits de la défense, ni des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

11. En deuxième lieu, le principe de l'obligation vaccinale ne résulte pas du décret en cause, mais uniquement de la loi du 5 août 2021, dont l'article 12 rappelé ci-dessus a institué une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi qu'à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux, obligation qui s'impose, en particulier, aux professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement ou en libéral. D'une part, s'il en était besoin, l'application de ces dispositions n'étant pas manifestement impossible en l'absence de décret d'application, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'elles n'étaient pas en vigueur à la date de la décision contestée. D'autre part, le directeur général de la santé a saisi la Haute Autorité de santé le 4 août 2021 sur les dispositions d'application de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire. Il a joint à cette saisine des extraits du projet de décret relatifs à la vaccination obligatoire. La Haute Autorité de santé a émis deux avis, l'un du 4 août 2021 relatif aux contre-indications à la vaccination contre la Covid-19 et l'autre du 6 août 2021 relatif à l'intégration des autotests de détection antigénique supervisés parmi les preuves justifiant l'absence de contamination par le virus SARS-CoV-2 dans le cadre du passe sanitaire et à l'extension de la durée de validité des résultats négatifs d'un examen de dépistage virologique. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale n'était pas en vigueur à la date de la décision litigieuse, à défaut d'avis de la Haute Autorité de santé préalablement et de décret d'application, manque en fait et doit être écarté.

12. En troisième lieu, il n'appartient pas au juge administratif de qualifier les délits d'extorsion et de discrimination au sens du droit du travail dès lors que le requérant est un agent de droit public.

13. En dernier lieu, l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose : " () Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race () ".

14. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

15. En l'espèce, pour tenter de caractériser la discrimination dont il estime avoir été victime, M. A se borne à soutenir que la décision attaquée de suspension de fonctions dont il a fait l'objet, prise sur le fondement de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, ne respecte pas sa liberté d'opinion sans toutefois expliquer en quoi cette discrimination se manifeste. Dans ces conditions, le requérant ne peut être regardé comme apportant des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l'existence d'une situation de discrimination. Le moyen soulevé sur ce point n'est dès lors pas fondé et doit, par suite, être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède, alors même que M. A a présenté des conclusions tendant au maintien de sa requête, que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 16 septembre 2021 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

17. Les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A ayant été rejetées, le présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution. Il s'ensuit que ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Jura Sud, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A la somme demandée par le centre hospitalier Jura Sud au titre de ces mêmes frais.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Jura Sud sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et au centre hospitalier Jura Sud.

Délibéré après l'audience du 23 février 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Grossrieder, présidente,

- Mme Guitard, première conseillère,

- M. Seytel, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023 .

La présidente rapporteure,

S. D

L'assesseure la plus ancienne

F. Guitard La greffière,

C. Quelos

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier