Tribunal administratif de Guadeloupe

Décision du 16 mars 2023 n° 2100211

16/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 5 mars 2021, la Sarl Les couvertures du soleil, représentée par Me Gaudin, demande au tribunal :

1°) de prononcer la restitution de la somme de 7 798 euros correspondant au crédit d'impôt pour des investissements productifs outre-mer réalisés au titre de l'année 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'obligation de dépôt de compte prévue par les dispositions de l'article 244 quater W du code général des impôts n'est pas logique et a fait l'objet de ce fait d'une proposition d'amendement ;

- les dispositions en cause méconnaissent les principes d'égalité devant les charges publiques et de non-discrimination garantis par les articles 13 et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ;

- les dispositions en cause présentent un caractère discriminatoire et disproportionné du fait de la situation en outre-mer et par rapport au régime prévu en Corse par les dispositions de l'article 244 quater E qui ne subordonnent pas le bénéfice du crédit d'impôt au dépôt de compte ;

- la remise en cause du bénéfice du crédit d'impôt aura des conséquences importantes sur son activité.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juillet 2021, le directeur régional des finances publiques conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que l'ensemble des moyens soulevés n'est pas fondé.

Par un mémoire distinct, enregistré le 6 septembre 2022, la Sarl Les couvertures du soleil demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la restitution de la somme de 7 798 euros correspondant au crédit d'impôt pour des investissements productifs outre-mer réalisés au titre de l'année 2019, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 3° du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts dans sa version applicable au litige.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les articles 6, 8 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par un mémoire enregistré le 21 septembre 2022, le directeur régional des finances publiques de la Guadeloupe soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies.

Par une ordonnance du 1er septembre 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 3 octobre 2022.

Vu :

- la décision n° 435854 du 5 février 2020 du Conseil d'Etat sur la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 244 quater W du code général des impôts ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Goudenèche, conseillère ;

- et les conclusions de Mme Mahé, rapporteure publique.

Les parties n'étant ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. La Sarl Les couvertures du soleil a présenté le 30 juin 2020 une demande de remboursement de crédit d'impôt pour investissements outre-mer dans le secteur productif au titre de l'exercice 2019. Par une décision du 5 janvier 2021, l'administration fiscale a rejeté cette demande. Par la présente requête, la Sarl les couvertures du soleil demande au tribunal de prononcer la restitution de cette somme.

Sur la question prioritaire de constitutionalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État () ".

4. Aux termes de l'article 244 quater W du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1. Les entreprises imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 duodecies à 44 quindecies, exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt à raison des investissements productifs neufs qu'elles réalisent dans un département d'outre-mer pour l'exercice d'une activité ne relevant pas de l'un des secteurs énumérés aux a à l du I de l'article 199 undecies B () VIII. () 3. Le crédit d'impôt prévu au présent article est subordonné au respect par les entreprises exploitantes et par les organismes mentionnés au 4 du I de leurs obligations fiscales et sociales et de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement () ".

5. La société requérante soutient, à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève, qu'en subordonnant l'octroi de la réduction d'impôt prévue à l'article 244 quater W du code général des impôts au respect, par les entreprises réalisant l'investissement de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, le législateur a institué une différence de traitement entre les investissements donnant lieu au bénéfice d'un crédit ou d'une exonération d'impôt sur les bénéfices, qui provoque une discrimination contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques énoncés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de 1'homme et du citoyen et aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines garantis par l'article 8 de la même Déclaration.

6. Par sa décision n° 435854 du 5 février 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que : " En subordonnant l'octroi de la réduction d'impôt prévue à l'article 244 quater W du code général des impôts au respect, par les entreprises réalisant l'investissement et, le cas échéant, les organismes mentionnés au 1 du I de l'article 244 quater X, de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement, le législateur a entendu imposer le respect de cette obligation aux seuls entreprises et organismes entrant dans le champ d'application de ces dispositions du code de commerce. Le législateur, qui s'est fixé comme objectif de renforcer la transparence des opérations de défiscalisation, s'est ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi. S'il en résulte une différence de traitement entre les entreprises et organismes réalisant l'investissement selon qu'ils sont ou non soumis à l'obligation de dépôt des comptes annuels, celle-ci, qui résulte du champ d'application des dispositions du code de commerce, est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi ".

7. Ainsi, cette question ne présente pas un caractère sérieux, et il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité de ces mêmes dispositions législatives aux mêmes dispositions constitutionnelles.

8. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur les conclusions à fin de restitution :

9. Aux termes de l'article 244 quater W du code général des impôts : " I. - 1. Les entreprises imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 duodecies à 44 quindecies, exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt à raison des investissements productifs neufs qu'elles réalisent dans un département d'outre-mer pour l'exercice d'une activité ne relevant pas de l'un des secteurs énumérés aux a à l du I de l'article 199 undecies B () VIII. () 3. Le crédit d'impôt prévu au présent article est subordonné au respect par les entreprises exploitantes et par les organismes mentionnés au 4 du I de leurs obligations fiscales et sociales et de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement () ".

10. Aux termes de l'article L. 232-22 du code de commerce : " I. - Toute société à responsabilité limitée est tenue de déposer au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant l'approbation des comptes annuels par l'assemblée ordinaire des associés ou par l'associé unique ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique : 1° Les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes annuels et les comptes consolidés, éventuellement complétés de leurs observations sur les modifications apportées par l'assemblée ou l'associé unique aux comptes annuels qui leur ont été soumis ; 2° La proposition d'affectation du résultat soumise à l'assemblée ou à l'associé unique et la résolution d'affectation votée ou la décision d'affectation prise. Le rapport de gestion doit être tenu à la disposition de toute personne qui en fait la demande, selon des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. II. En cas de refus d'approbation ou d'acceptation, une copie de la délibération de l'assemblée ou de la décision de l'associé unique est déposée dans le même délai. ".

11. En premier lieu, la société requérante ne peut utilement critiquer la logique des dispositions précitées et se prévaloir d'une proposition d'amendement devant le juge de l'impôt. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant.

12. En deuxième lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'application des dispositions précitées de l'article 244 quater W du code général des impôts a pour effet de rompre le principe d'égalité devant l'impôt ou devant les charges publiques en méconnaissance des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyens de 1789, ni qu'elles seraient discriminatoires dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'impôt, hormis dans le cas où la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité est mise en œuvre, de connaître d'un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant.

13. En troisième lieu, pour les mêmes motifs qu'au point précédent, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir de ce que le dispositif prévu par ces dispositions serait discriminatoire au motif que le régime de crédit d'investissement prévu en Corse par les dispositions de l'article 244 quater E du code général des impôts ne prévoient pas une telle obligation de dépôt des comptes et du fait de la particularité de l'outre-mer. Par suite le moyen doit être écarté comme inopérant.

14. En dernier lieu, si la société requérante se prévaut des conséquences économiques que la remise en cause du crédit d'impôt serait susceptible de produire sur son activité, ces circonstances sont également sans incidence sur les rehaussements litigieux. Le moyen doit également être écarté.

15. Il résulte de ce qu'il précède que les conclusions à fin de restitution présentées par la Sarl Les couvertures du soleil doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la Sarl Les couvertures du soleil est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Sarl Les couvertures du soleil et au directeur régional des finances publiques de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience publique du 2 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gouès, président,

Mme Goudenèche, conseillère,

Mme Le Roux, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.

La rapporteure,

Signé

C. GOUDENÈCHE

Le président,

Signé

S. GOUÈS

La greffière,

Signé

L. LUBINO

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

L'adjointe à la greffière en chef

Signé

A. CETOL

4

N° 1901371

6

N° 2100299

Code publication

C