Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 15 mars 2023 n° 2304940

15/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

A une requête et un mémoire, enregistrés les 8 et 13 mars 2023, M. B D, représenté A Me Questiaux, demande au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la ville de Paris de le prendre en charge dans un dispositif adapté jusqu'à l'audience du juge des enfants saisi le 29 décembre 2022 conformément à l'article 375 du code civil, sous astreinte de 1 000 euros A jour de retard à compter du jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il se trouve dans une situation de grande précarité, isolé, sans ressources et hébergement, livré à un risque d'exploitation, de violence et de mort et que sa situation d'errance qui ne lui permet pas de maintenir le lien indispensable avec ses avocats ou l'institution judiciaire et de réunir utilement les pièces nécessaires à faire reconnaitre sa minorité A le juge des enfants ;

- la décision de la ville de Paris refusant de le prendre en charge jusqu'à ce que le juge des enfants statue sur son recours, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de protection de son intérêt supérieur en tant qu'enfant tel qu'il est garanti A l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; cette protection doit en effet être appréciée de façon effective, ce qui implique qu'il existe une présomption de minorité qui perdure tout au long de la procédure jusqu'à l'épuisement des voies de recours ainsi que l'ont estimé le défenseur des droits et le comité des droits de l'enfant des Nations Unies ; or, actuellement le délai de recours devant le juge des enfants est supérieur à trois mois ce qui créé une entrave disproportionnée à l'accès au juge et à la possibilité d'exercer utilement la voie de recours et oblige le mineur à recourir au dispositif d'hébergement pour majeurs en violation de ses droits fondamentaux, ce qui, dans les faits lui est toujours refusé A les services du 115 ;

- le dispositif légal actuel, tel qu'il est prévu A la combinaison des articles L. 221-1 et L. 223-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 du code civil est inconstitutionnel en ce qu'il n'assure pas les garanties suffisantes au respect de l'exigence constitutionnelle de l'intérêt supérieur de l'enfant et méconnaît le droit à un recours effectif devant le juge des enfants ; les délais d'intervention du juge des enfants étant très longs, le mineur qui ne bénéficie plus de prise en charge se trouve dans une situation de grande précarité qui ne lui permet pas de préparer avec son conseil l'audience devant le juge des enfants et de réunir les pièces probatoires ou les éléments de son parcours permettant de confirmer sa minorité ;

- ce dispositif est également inconventionnel au regard des dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

A des mémoires distincts, enregistrés les 8 et 13 mars 2023, M. B D demande au juge des référés de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité tendant à faire constater qu'en édictant les dispositions des articles L. 223-2 et L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 alinéa 2 du code civil, le législateur a méconnu sa propre compétence en ce qu'il s'est abstenu de prévoir des garanties légales suffisantes et adéquates concernant l'obligation de prise en charge provisoire systématique des mineurs non accompagnés lorsqu'ils saisissent directement le juge des enfants ou lorsqu'ils le saisissent pour contester le refus de prise en charge du département à la suite de l'évaluation de leur non-minorité.

Il soutient que le Conseil constitutionnel, dans sa décision 2018-768 QPC du

21 mars 2019 a déduit des 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant dont il a fait découler des garanties procédurales pour les mineurs s'agissant de l'examen de leur minorité au titre desquelles figure la présomption de minorité ; le dispositif de protection de l'enfance tel qu'il résulte des dispositions contestées porte également atteinte au droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif reconnu A l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; l'incompétence négative du législateur ne saurait être purgée A le dispositif prévu à l'article 375-5 alinéa 2 du code civil dès lors qu'il ne prévoit pas la possibilité pour le mineur de solliciter lui-même du juge des enfants une ordonnance de placement provisoire et qu'il se voit privé de toute possibilité effective d'obtenir la protection nécessaire pour la préservation de ses droits.

A un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2023, la ville de Paris, représentée A la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la présomption de minorité ne résulte d'aucun texte, ni d'aucun principe ;

- M. E ne conteste pas la pertinence des éléments retenus A le rapport d'évaluation ayant conclu à son absence de minorité et n'établit pas que l'appréciation portée A la ville de Paris serait manifestement erronée ;

- le dispositif mis en place A le législateur prévoit les garanties nécessaires pour assurer la prise en charge effective et continue des personnes se déclarant mineures, qui relèvent soit du département en vertu des articles L. 221-1, L. 223-2 et L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles si elles sont reconnues mineures, soit de l'Etat en vertu des articles L. 121-7 et L. 345-2-2 du même code si elles ont été reconnues majeures à l'issue de l'entretien d'évaluation ; en outre, il leur est possible de saisir le juge judiciaire à qui il incombe de se prononcer sur leur minorité ; elles peuvent également saisir le juge du référé liberté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui peut enjoindre la poursuite leur accueil provisoire s'il estime que l'appréciation du département est manifestement erronée et qu'il existe un risque immédiat de mise en danger de leur santé ou de leur sécurité ; en l'espèce, M. E ne conteste pas l'inconventionnalité du dispositif législatif existant mais les conditions effectives dans lesquelles il est appliqué ; A suite, il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la conventionalité des dispositions législatives au regard des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

A un mémoire, enregistré le 10 mars 2023, la ville de Paris, représentée A la SCP Foussard-Froger, conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Elle soutient que :

- la conformité de dispositions à caractère réglementaire à la Constitution ne relève pas du champ de compétence du Conseil constitutionnel ;

- la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne concerne pas la procédure d'évaluation de minorité et d'isolement des personnes se présentant auprès des services départementaux comme mineures privées de la protection de leur famille, relevant du contrôle du juge administratif et seule en cause dans le cadre de la procédure de référé liberté engagée, mais la procédure régie A les dispositions des articles 375 et 375-5 du code civil devant le juge des enfants auxquelles ne fait que renvoyer l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles ; A suite, les dispositions législatives contestées ne sont pas applicables au litige au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

- le dispositif mis en place A le législateur prévoit l'ensemble des garanties nécessaires pour assurer la prise en charge effective et continue des personnes se déclarant mineures, qui relèvent soit du département à qui il appartient, en vertu de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, de mettre en place un accueil provisoire d'urgence de toute personne se trouvant sur son territoire qui se déclare mineure et privées de protection de sa famille et, à l'issue de l'entretien d'évaluation, de prendre une décision d'admission provisoire dans l'attente de la décision du juge judiciaire, ou de refus de prise en charge soumise au contrôle du juge des enfants, l'accueil provisoire prenant alors fin conformément à l'article R. 221-11 précité, soit de l'Etat en vertu des articles L. 121-7 et L. 345-2-2 du même code si elles ont été reconnues majeures à l'issue de l'entretien d'évaluation ; en outre, il leur est possible de saisir le juge judiciaire à qui il incombe de se prononcer sur leur minorité en vertu des articles 375, 375-3 et 375-5 du code civil ; elles peuvent également saisir le juge du référé liberté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui peut enjoindre la poursuite leur accueil provisoire s'il estime que l'appréciation du département est manifestement erronée et qu'il existe un risque immédiat de mise en danger de leur santé ou de leur sécurité ; ainsi, les exigences constitutionnelles de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, de respect de la dignité humaine et du droit à un recours juridictionnel effectif sont assurées ;

- en l'espèce, contrairement à ce que soutient le requérant, il n'existe pas de présomption de minorité ; A ailleurs, il n'est pas question d'orienter les personnes reconnues mineures vers des dispositifs d'hébergement d'urgence pour adultes ; enfin, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer sur les conditions dans lesquelles une loi est appliquée ; il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'est pas sérieuse.

A un mémoire en intervention, enregistré le 10 mars 2023, l'association Utopia 56, le groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association Infomie, la ligue des droits de l'homme et l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM), représentés A Me Peschanski et Me Crusoé, demandent au juge des référés de faire droit aux conclusions du requérant.

Un mémoire complémentaire en intervention a été enregistré le 13 mars 2023, présenté pour l'association Infomie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. C pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Heeralall, greffière d'audience, M. C a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Questiaux, représentant M. D ;

- les observations de Me Crusoé, représentant l'association Utopia 56, le groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association Infomie, la ligue des droits de l'homme et l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) ;

- et les observations de Me Froger, représentant la ville de Paris.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Une note en délibéré, présentée pour l'ADJAAM, a été enregistrée le 14 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée A l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

2. Eu égard à leur objet, l'association Utopia 56, le groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association Infomie, la ligue des droits de l'homme et l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) justifient d'un intérêt pour intervenir aux soutien de la requête. Leur intervention est admise.

3. M. E, ressortissant malien qui indique être né le 1er novembre 2006, s'est présenté le 23 décembre 2022 à l'accueil des mineurs non accompagnés de Paris (AMNA) afin de solliciter une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. A une décision du 28 décembre suivant, la maire de Paris a refusé de le prendre en charge et de pourvoir à ses besoins aux motifs que sa minorité n'était pas établie. M. E, qui a saisi le juge des enfants du tribunal judiciaire de Paris le 29 décembre 2022 afin de solliciter une mesure de protection sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil, a également saisi le juge des référés du présent tribunal, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, aux fins d'enjoindre à la ville de Paris de le prendre en charge dans un dispositif adapté jusqu'à l'audience du juge des enfants. Au soutien de son recours, il soulève, en application de l'article 61-1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité tendant à ce que le juge des référés renvoie au Conseil constitutionnel l'appréciation de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 223-2 et L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 alinéa 2 du code civil.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis A la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai A une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées A justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public () ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / () 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance () ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 de ce code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. () ".

6. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre () / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation () ". L'article L. 222-5 du même code dispose que : " Sont pris en charge A le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : () / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil () ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service A décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement A le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. () / Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ". L'article L. 221-2-4 du même code prévoit que : " I.- Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence./ II.- En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement./ L'évaluation est réalisée A les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d'évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d'évaluation A la structure délégataire./ Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l'Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat afin qu'elle communique toute information utile à son identification et au renseignement, A les agents spécialement habilités à cet effet, du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article L. 142-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le représentant de l'Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne./ Le président du conseil départemental peut en outre : 1° Solliciter le concours du représentant de l'Etat dans le département pour vérifier l'authenticité des documents détenus A la personne ;/ 2° Demander à l'autorité judiciaire la mise en œuvre des examens prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil selon la procédure définie au même article 388./ Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises A le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l'éclairer./ La majorité d'une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne peut être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu'elle est déjà enregistrée dans le traitement automatisé mentionné au présent II ou dans le traitement automatisé mentionné à l'article L. 142-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / III.- Le président du conseil départemental transmet chaque mois au représentant de l'Etat dans le département la date et le sens des décisions individuelles prises à l'issue de l'évaluation prévue au II du présent article. / IV.- L'Etat verse aux départements une contribution forfaitaire pour l'évaluation de la situation et la mise à l'abri des personnes mentionnées au I./ La contribution n'est pas versée, en totalité ou en partie, lorsque le président du conseil départemental n'organise pas la présentation de la personne prévue au troisième alinéa du II ou ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions mentionnées au III. / V.- Les modalités d'application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées A décret en Conseil d'Etat. ".

7. Enfin, l'article R. 221-11 du code précité dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. () / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ". Le même article dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours.

8. M. E fait valoir que les dispositions précitées du 2ème alinéa de l'article 375-5 du code civil et celles des articles L. 223-2 et L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles sont entachées d'une incompétence négative dès lors que législateur a méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit - en l'occurrence l'exigence constitutionnelle de l'intérêt supérieur de l'enfant, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et l'effectivité des voies de recours duquel découle le principe de présomption de minorité du mineur isolé non accompagné jusqu'à l'épuisement des voies de recours relatives à sa reconnaissance de mineur en danger - en ce qu'il s'est abstenu de prévoir des garanties légales suffisantes et adéquates concernant l'obligation de prise en charge provisoire systématique des mineurs non accompagnés lorsqu'ils saisissent directement le juge des enfants ou lorsqu'ils le saisissent pour contester le refus de prise en charge du département à la suite de l'évaluation de leur non-minorité.

9. Toutefois, d'une part, la présomption de minorité invoquée ne ressort d'aucun texte ni d'aucun principe et le requérant ne saurait utilement se prévaloir des recommandations du comité des droits de l'enfants des Nations unies ou de celles du défenseur des droits qui n'ont pas de valeur normative. D'autre part, le dispositif législatif rappelé au point 6, permet la saisine du juge des enfants pour qu'il se prononce sur la minorité d'une personne lorsque le président du conseil départemental estime, à l'issue de l'entretien d'évaluation, qu'elle n'est pas établie. Dans une telle hypothèse, la prise en charge de cette personne, considérée majeure, relève de la compétence de l'Etat dans les conditions prévues A les articles L. 121-7 et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Il suit de là que le législateur a instauré des garanties nécessaires pour assurer une prise en charge effective et continue des personnes se déclarant mineures. En outre, elles peuvent également saisir le juge du référé liberté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui peut enjoindre la poursuite leur accueil provisoire s'il estime que l'appréciation du département est manifestement erronée et qu'il existe un risque immédiat de mise en danger de leur santé ou de leur sécurité. Si M. E fait valoir que les juges des enfants statuent plusieurs mois après leur saisine et que les services du 115 refusent de prendre en charge les personnes dont la minorité n'a pas été reconnue A les départements et qui ont saisi le juge des enfants, ces circonstances sont relatives à l'application des dispositions contestées et sont sans incidence sur leur constitutionnalité. Ainsi, les exigences constitutionnelles de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, de respect de la dignité humaine et du droit à un recours juridictionnel effectif sont assurées et il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité posée au Conseil d'Etat.

Sur les autres moyens :

10. En premier lieu, il n'appartient pas au juge des référés, eu égard à son office, de se prononcer sur un moyen tiré de l'incompatibilité de dispositions législatives avec les stipulations d'une convention internationale. A suite, le moyen tiré de ce que le dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés, tel qu'il est prévu A la combinaison des articles L. 221-1 et L. 223-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 du code civil méconnaitrait les exigences des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas de nature à permettre au juge des référés de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L 521-2 du code de justice administrative.

11. En deuxième lieu, il résulte des dispositions mentionnées aux points 5 à 7 qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues A la décision du juge des enfants ou A le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies A l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

12. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi A un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue A l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 3 ci-dessus, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants A laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

13. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée A le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

14. Enfin, l'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'actes d'état civil étrangers peut être combattue A tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact, notamment au vu de données extérieures, le juge formant sa conviction au regard de l'ensemble des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

15. Pour justifier de sa minorité, M. D produit la copie d'un acte de naissance qui ne comporte ni signature ni timbre humide. A ailleurs, il résulte de l'instruction que l'évaluation de l'intéressé, réalisée A l'association France Terre d'Asile le 27 décembre 2022 en présence d'un interprète en langue soninké, a conclu à l'absence de minorité et d'isolement de l'intéressé eu égard à la circonstance que M. E ne s'est pas montré enclin à décrire les conditions de sa vie dans son pays d'origine, qu'il n'a donné aucune précision spatiale et temporelle quant aux évènements de sa vie personnelle ou aux évènements marquants survenus dans son pays et qu'aucun élément ne vient accréditer que sa minorité aurait été prise en compte A les autorités italiennes. A suite, dans les circonstances de l'espèce, M. D n'est pas fondé à soutenir que la ville de Paris se serait livrée à une appréciation manifestement erronée de l'absence de sa qualité de mineur isolé et que la décision litigieuse porterait ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une des libertés fondamentales qu'il invoque.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, A voie de conséquence, celles présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative, la ville de Paris n'étant pas la partie perdante.

O R D O N N E :

Article 1er : Les interventions de l'association Utopia 56, le groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association Infomie, la ligue des droits de l'homme et l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) sont admises.

Article 2 : La requête de M. D est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B D et à la ville de Paris.

Copie en sera adressée à l'association Utopia 56, le groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association Infomie, la ligue des droits de l'homme et l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM).

Fait à Paris, le 15 mars 2023.

Le juge des référés,

Y. C

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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C