Tribunal administratif de Paris

Jugement du 10 mars 2023 n° 2109868

10/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

G une requête et des mémoires, enregistrés le 6 mai 2021, le 8 juillet 2021 et le 30 septembre 2022, M. D E et l'association Dons de gamètes solidaires, représentés G Me Kechit, doivent être regardés comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 21 janvier 2021 G laquelle la déléguée à la protection des données de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a refusé de faire droit aux demandes d'accès de M. E à certaines de ses données personnelles en date des 22 mai et 11 juin 2019, ensemble la décision du 8 mars 2021 rejetant expressément son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre à l'AP-HP de faire droit à sa demande d'accès à ces données, sans occultations préalables ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme totale de 10 000 euros en réparation des préjudices qui leur ont été causés G les illégalités fautives ayant entaché ces décisions et G le retard à statuer sur la demande d'accès de M. E à certaines de ses données personnelles ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les décisions attaquées des 21 janvier et 8 mars 2021 ont été prises G des autorités incompétentes ;

- ces décisions, en tant qu'elles refusent de faire droit à une demande d'accès à certaines des informations personnelles de M. E, méconnaissent les dispositions des articles 15 du Règlement (UE) 2016/679, L. 1111-1 et R. 1244-5 du code de santé publique et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elles portent atteinte à son droit d'accès aux données personnelles le concernant et que l'exercice de ce droit n'était, en l'espèce, pas de nature à méconnaître le principe d'anonymat des donneurs de gamètes et des bénéficiaires de tels dons instaurés G le code de la santé publique,

- elles sont entachées d'un défaut de base légale dès lors qu'elles ne sauraient trouver leur fondement dans les dispositions des articles 16-8 du code civil, 511- 10 du code pénal et

L. 1211-5 du code de la santé publique ;

- elles méconnaissent le principe d'égalité et le principe d'égalité devant les charges publiques ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ces décisions, en tant qu'elles refusent de lui préciser les modalités de stockage de ses données personnelles, les modalités d'établissement du fichier national des donneurs de gamètes créé G les CECOS (Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains) et sa mention ou non dans ce fichier, sont illégales,

- ces illégalités fautives, ainsi que le délai anormalement long de traitement de ses demandes des 22 mai et 11 juin 2019, lui ont causé un préjudice moral et un préjudice de perte de chance dont il sera fait une juste appréciation en les fixant à la somme de 5 000 euros chacun.

G un mémoire, enregistré le 29 juin 2022, les requérants demandent au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis G la Constitution des dispositions des

articles L. 1244-6, L. 2143-2 et L. 1273-3 du code de la santé publique, ainsi que des dispositions de l'article 16-8-1 du code civil.

Ils soutiennent que :

- ces dispositions portent atteinte au principe constitutionnel d'égalité,

- elles sont entachées d'une incompétence négative dès lors qu'elles ne permettent pas aux donneurs de gamètes d'avoir accès à leurs propres données personnelles quand elles ne permettent pas d'identifier les receveurs,

- elles portent atteinte au droit au respect à la vie privée et familiale des donneurs tel que garanti G l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou sont à tout le moins entachées d'une incompétence négative en ce qu'elles ne permettent pas de garantir ce droit ;

- elles portent atteinte au principe de transparence du service public.

- lesdites dispositions sont applicables au présent litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-821 DC

du 29 juillet 2021 ne s'étant notamment prononcée sur la conformité à la Constitution que des articles L. 2143-7 et L. 2143-9 du code de la santé publique.

G un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2021, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-GP) conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête de M. E est irrecevable en l'absence d'intérêt et de qualité à agir de l'association Dons de gamètes solidaire ;

- à titre subsidiaire, les moyens à fin d'annulation des décisions de sa déléguée à la protection des données des 21 janvier et 8 mars 2021 ne sont pas fondés ;

- les conclusions indemnitaires de M. E doivent être rejetées en l'absence de faute, de préjudice établi et, en toute hypothèse, de lien de causalité direct et certain.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

- le code civil,

- le code pénal,

- le code de la santé publique,

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de Mme Pestka, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kechit pour M. E et l'association Dons de gamètes solidaires.

Considérant ce qui suit :

1. M. D E a effectué plusieurs dons de gamètes au centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l'hôpital Cochin, lequel dépend de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), entre 2009 et 2011. Il est constant que suite à plusieurs demandes de communication présentées sur le fondement de son droit d'accès aux documents administratifs tel qu'issu des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, plusieurs documents détenus G l'AP-HP et issus de son dossier de donneur lui ont été transmis. Toutefois, G des décisions devenues définitives après rejet de ses requêtes nos 1713899, 1800154 et 1809651 G un jugement du présent tribunal en date du 11 avril 2019, l'AP-HP a refusé de lui communiquer certains éléments de son dossier de donneur, dont la composition est arrêtée G l'article R. 1244-5 du code de la santé publique, à savoir la partie dite " cartonnée " de son dossier, les résultats de ses analyses médicales sans occultation et le nombre d'enfants issus de ses dons de gamètes. Il est G ailleurs constant que l'AP-HP ne lui a pas communiqué la date de mise à disposition de ses paillettes de sperme, le nombre de paillettes mises à disposition et le numéro de ces paillettes.

2. G des courriers en date des 22 mai et 11 juin 2019, M. E a saisi la déléguée à la protection des données (DPO) de l'AP-HP d'une demande d'accès à certaines données personnelles le concernant, sur le fondement du règlement susvisé du 27 avril 2016 dit règlement général sur la protection des données ou A, et de la loi du 6 janvier 1978 susvisée modifiée. Il a ainsi souhaité avoir accès à l'ensemble de la partie cartonnée de son dossier, à ses résultats d'analyses médicales sans occultation, à la donnée relative au nombre d'enfants issus de ses dons et à son numéro d'identification " CECOS ". G ailleurs, il a souhaité obtenir des informations sur la connaissance éventuelle G les couples receveurs de ses caractéristiques morphologiques et physiques, sur les modalités de conservation de son dossier de donneur G le CECOS de l'hôpital Cochin et, enfin, sur son éventuel référencement dans un " fichier national des donneurs ". Le 21 janvier 2021, la déléguée à la protection des données a refusé de le laisser accéder à ces données personnelles, l'a informé que les couples receveurs avaient pu être informés de certaines données personnelles le concernant mais qui se limitaient à sa tranche d'âge, son groupe sanguin et sa couleur de peau et ce dans le seul but de respecter un principe d'appariement prévu réglementairement, lui a précisé les modalités de conservation de son dossier et lui a indiqué qu'aucun fichier national visant à identifier les " serial donneurs " n'existait même si, en interne au CECOS de l'hôpital Cochin, un système d'alerte avait été mis en place pour respecter les dispositions de l'article L. 1244-4 du code de la santé publique, aux termes desquelles le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants. Estimant que cette décision ne respectait pas dans toutes ses dispositions son droit d'accès à ses données personnelles, M. E a présenté à son encontre un recours gracieux le 2 mars 2021. Ce recours a été expressément rejeté G la DPO de l'AP-HP le 8 mars suivant.

3. G la présente requête, M. E et l'association Dons de gamètes solidaires demandent au tribunal d'annuler la décision de l'AP-HP du 21 janvier 2021 refusant de faire droit aux demandes de M. E d'accès à certaines données personnelles le concernant ainsi qu'à certaines informations concernant le traitement de ses données, ensemble la décision du 8 mars 2021 portant rejet de recours gracieux. Ils demandent également que l'AP-HP soit condamnée à leur verser la somme totale de 10 000 euros en réparation des préjudices qui leur auraient été causés, d'une part, G les illégalités fautives ayant entaché les décisions susmentionnées des 21 janvier et 8 mars 2021, d'autre part, G le retard de l'administration à avoir traité les demandes d'accès aux données personnelles concernant M. E en date des 22 mai et 11 juin 2019.

Sur la recevabilité des conclusions présentées G l'association Dons de gamètes solidaires :

4. A supposer même que M. E soit le président de l'association Dons de gamètes solidaires comme il l'affirme sans le démontrer, seul le conseil d'administration d'une association peut autoriser son président à ester en justice, sauf stipulations dans ses statuts réservant expressément à un organe la capacité de décider de former une action en justice en son nom, ou, à défaut, le pouvoir de la représenter en justice. En l'espèce, malgré la fin de non-recevoir explicitement opposée en défense G l'AP-HP sur l'absence de qualité à agir en son nom de M. E, l'association Dons de gamètes n'a produit ni ses statuts ni une délibération de son conseil d'administration autorisant l'intéressé à la représenter dans la présente instance.

5. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la seconde fin de non-recevoir opposée en défense et tirée de l'absence d'intérêt à agir de l'association requérante, l'AP-HP est fondée à soutenir que les conclusions présentées G l'association Dons de gamètes solidaires sont irrecevables du fait de l'absence de qualité pour agir en son nom de M. E.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

6. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis G la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai G une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

7. En l'espèce, les requérants entendent contester l'atteinte à certains droits et libertés garantis G la Constitution des articles L. 1244-6, L. 2143-2 et L. 1273-3 du code de la santé publique, ainsi que de l'article 16-8-1 du code civil, dans leurs dispositions issues de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, entrée en vigueur le 4 août suivant.

8. Aux termes dudit article L. 1244-6 du code de la santé publique : " Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes, en cas de nécessité médicale, au bénéfice d'une personne conçue à partir de gamètes issus d'un don ou au bénéfice d'un donneur de gamètes. ". Son article L. 2143-2 dispose : " Toute personne conçue G assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l'identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l'article L. 2143-3. / Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l'accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. En cas de refus, ces personnes ne peuvent procéder à ce don ou proposer cet accueil. ". Aux termes de son article L. 1273-3 : " Comme il est dit à l'article 511-10 du code pénal ci-après reproduit : / " Sauf dans le cas prévu à l'article 16-8-1 du code civil, le fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple ou la femme non mariée qui les a reçus est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. " . ". Enfin, l'article 16-8-1 du code civil dispose : " Dans le cas d'un don de gamètes ou d'un accueil d'embryon, les receveurs sont les personnes qui ont donné leur consentement à l'assistance médicale à la procréation. / Le principe d'anonymat du don ne fait pas obstacle à l'accès de la personne majeure née d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l'identité du tiers donneur, dans les conditions prévues au chapitre III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. ".

9. Toutefois, aucune de ces dispositions n'était entrée en vigueur les 21 janvier et 2 mars 2021, date des décisions contestées. En outre, celles-ci trouvent leur fondement dans les seules dispositions de la loi du 7 janvier 1978 et du règlement dit A combinées à celles de l'article L. 1211-5 du code de la santé publique et de l'article 16-8 du code civil.

10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée G M. E ne porte pas sur des dispositions législatives applicables au présent litige ou à la présente procédure. Dès lors, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

11. En premier lieu, aux termes de l'article 38 du règlement A, relatif à la fonction du délégué à la protection des données : " () / 3. Le responsable du traitement et le sous-traitant veillent à ce que le délégué à la protection des données ne reçoive aucune instruction en ce qui concerne l'exercice des missions. / 4. Les personnes concernées peuvent prendre contact avec le délégué à la protection des données au sujet de toutes les questions relatives au traitement de leurs données à caractère personnel et à l'exercice des droits que leur confère le présent règlement. ". Son article 39, relatif aux missions du délégué à la protection des données précise qu'elles " sont au moins les suivantes : / a) informer et conseiller le responsable du traitement ou le sous-traitant ainsi que les employés qui procèdent au traitement sur les obligations qui leur incombent en vertu du présent règlement et d'autres dispositions du droit de l'Union ou du droit des États membres en matière de protection des données ; / b) contrôler le respect du présent règlement, d'autres dispositions du droit de l'Union ou du droit des États membres en matière de protection des données et des règles internes du responsable du traitement ou du sous-traitant en matière de protection des données à caractère personnel, y compris en ce qui concerne la répartition des responsabilités, la sensibilisation et la formation du personnel participant aux opérations de traitement, et les audits s'y rapportant ; / c) dispenser des conseils, sur demande, en ce qui concerne l'analyse d'impact relative à la protection des données et vérifier l'exécution de celle-ci en vertu de l'article 35 ; / d) coopérer avec l'autorité de contrôle ; e) faire office de point de contact pour l'autorité de contrôle sur les questions relatives au traitement, y compris la consultation préalable visée à l'article 36, et mener des consultations, le cas échéant, sur tout autre sujet. / (). ".

12. Il n'est pas contesté qu'aux dates d'édiction des décisions contestées, sa signataire, Mme F B, occupait les fonctions de déléguée à la protection des données de

l'AP-HP. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'AP-HP en défense, il ne résulte pas des dispositions des articles 38 et 39 du règlement A, ni d'aucun autre texte ou principe, que Mme B aurait tenu de cette seule qualité le pouvoir de décider au nom de l'AP-HP de la réponse à donner à la demande d'exercice de ses droits issus du règlement A qui avait été formulée G M. E les 22 mai et 11 juin 2019. Si M. E pouvait notamment prendre contact avec la DPO de l'AP-HP au sujet de l'exercice de ses droits d'accès à ses données personnelles, seul le directeur général de l'AP-HP, ou le cas échéant la personne nommément et régulièrement désignée G lui dans le cadre d'une délégation de pouvoir ou de signature, était compétent pour rejeter ladite demande.

13. G suite, M. E est fondé à soutenir que la décision de l'AP-HP du

21 janvier 2021 refusant de faire droit à ses demandes d'accès à certaines données personnelles le concernant ainsi qu'à certaines informations concernant le traitement de ses données, ensemble la décision du 8 mars 2021 portant rejet de recours gracieux, ont été prises G une autorité incompétence.

14. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 15 du règlement A relatif au droit d'accès de la personne concernée : " 1. La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu'elles le sont, l'accès auxdites données à caractère personnel ainsi que les informations suivantes: / a) les finalités du traitement ; / b) les catégories de données à caractère personnel concernées ; / c) les destinataires ou catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été ou seront communiquées, en particulier les destinataires qui sont établis dans des pays tiers ou les organisations internationales ; / d) lorsque cela est possible, la durée de conservation des données à caractère personnel envisagée ou, lorsque ce n'est pas possible, les critères utilisés pour déterminer cette durée ; / e) l'existence du droit de demander au responsable du traitement la rectification ou l'effacement de données à caractère personnel, ou une limitation du traitement des données à caractère personnel relatives à la personne concernée, ou du droit de s'opposer à ce traitement ; / f) le droit d'introduire une réclamation auprès d'une autorité de contrôle ; / g) lorsque les données à caractère personnel ne sont pas collectées auprès de la personne concernée, toute information disponible quant à leur source ; / h) l'existence d'une prise de décision automatisée, y compris un profilage, visée à l'article 22, paragraphes 1 et 4, et, au moins en pareils cas, des informations utiles concernant la logique sous-jacente, ainsi que l'importance et les conséquences prévues de ce traitement pour la personne concernée. / () / 3. Le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement. Le responsable du traitement peut exiger le paiement de frais raisonnables basés sur les coûts administratifs pour toute copie supplémentaire demandée G la personne concernée. Lorsque la personne concernée présente sa demande G voie électronique, les informations sont fournies sous une forme électronique d'usage courant, à moins que la personne concernée ne demande qu'il en soit autrement. / 4. Le droit d'obtenir une copie visé au paragraphe 3 ne porte pas atteinte aux droits et libertés d'autrui. ".

15. D'autre part, aux termes de l'article 16-8 du code civil : " Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur. ". Aux termes de l'article L. 1211-5 du code de la santé publique, relatif aux dons des éléments et produits du corps humain : " Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. / Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique. ". Enfin, l'article 511-10 du code pénal dispose : " Sauf dans le cas prévu à l'article 16-8-1 du code civil, le fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple ou la femme non mariée qui les a reçus est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. ".

16. Il en résulte que le gestionnaire d'un traitement de données à caractère personnel est fondé à s'opposer à une demande de copie desdites données formulée G la personne concernée sur le fondement de l'article 15 du règlement A quand la transmission de ces données est de nature à porter atteinte au principe d'anonymat issu des dispositions des articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique, dès lors que cet anonymat constitue un droit pour le donneur comme pour le receveur de gamètes. G conséquent, contrairement à ce que soutiennent M. E, les décisions attaquées des 21 janvier et 2 mars 2021 ne sont pas dépourvues de base légale.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 1244-5 du code de la santé publique dans ses dispositions alors applicables: " le dossier du donneur contient, sous forme rendue anonyme : / 1° Les antécédents médicaux personnels et familiaux nécessaires à la mise en oeuvre de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ; / 2° Les résultats des tests de dépistage sanitaire prévus aux articles R. 1211-25 et R. 1211-26 ; / 3° Le nombre d'enfants issus du don ; / 4° S'il s'agit d'un don de sperme, la date des dons, le nombre de paillettes conservées, la date des mises à disposition et le nombre de paillettes mises à disposition ; / (). / Les informations touchant à l'identité des donneurs, à l'identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens répondant aux critères mentionnés aux articles R. 2142-10 et R. 2142-11 pour exercer les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à ces informations ".

18. Si M. E soutient que le refus de l'AP-HP de lui transmettre une copie de ses données personnelles concernant le nombre d'enfants issus de ses dons, certains éléments occultés sur ses résultats d'analyse et sa fiche cartonnée de donneur, notamment son numéro d'identification CECOS, les dates de mise à disposition de ses paillettes de sperme, le nombre de paillettes mises à disposition et, enfin, les numéros de ces paillettes, méconnaîtrait son droit d'accès issu de l'article 15 du règlement A, de telles informations sont susceptibles de faciliter indirectement l'identification des enfants nés de son don de gamètes, si bien que ce refus d'accès était justifié au regard des dispositions citées aux points 14 et 15. Eu égard à ces circonstances, M. E n'est pas non plus fondé à soutenir que le refus de l'AP-HP de lui transmettre une copie desdites données serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

19. En quatrième lieu, le requérant n'assortit pas son moyen tiré de ce que les décisions litigieuses des 21 janvier et 8 mars 2021 porteraient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques des précisions suffisantes permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé.

20. En cinquième lieu, M. E soutient que les décisions attaquées seraient contraire au principe d'égalité en faisant valoir que d'autres dispositions législatives prévoient des modalités élargies d'accès aux données personnelles des donneurs de produits ou éléments du corps humain si la demande d'accès émane de médecins ou d'enfants nés G procréation médicalement assistée. Ce faisant, il doit être regardé comme soulevant un moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 1211-5 du code de la santé publique et 16-8 du code civil méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité. Alors qu'il ne l'a pas présenté dans son mémoire distinct du 29 juin 2022 portant question prioritaire de constitutionnalité, ce moyen ne peut être que rejeté dès lors qu'un tel contrôle de constitutionnalité de la loi relève soit de la compétence du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori qu'il exerce ou de la procédure prévue à l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

21. En sixième et dernier lieu, outre une demande d'accès à certaines données personnelles le concernant, M. E a sollicité de l'AP-HP différentes informations, consistant à savoir si son dossier papier de donneur conservé G le CECOS de l'hôpital Cochin l'était dans une armoire forte, s'il existait un fichier national recensant les donneurs de gamètes afin d'identifier les " serial donneurs " et, enfin, en cas de réponse positive, de lui indiquer s'il y était inscrit. Le requérant doit être regardé comme demandant au tribunal d'annuler les décisions des 21 janvier et 8 mars 2021 en tant qu'elles n'auraient pas fait droit à ces demandes d'information, en méconnaissance des dispositions du 1. de l'article 15 du règlement A.

22. En ce qui concerne tout d'abord les modalités de conservation du dossier papier de donneur de M. E conservé G le CECOS de l'hôpital Cochin, une telle information n'est pas de celles visées limitativement au 1. de l'article 15. En tout état de cause, G son courrier du 21 janvier 2021, la DPO de l'AP-HP a apporté à l'intéressé toutes les informations utiles pour répondre à sa demande.

23. En ce qui concerne ensuite l'existence d'un éventuel fichier national des donneurs gérés G l'ensemble des CECOS, la DPO de l'AP-HP a informé M. E G le même courrier qu'un tel fichier " ne résulte d'aucun texte législatif ou réglementaire ", faisant ainsi valoir qu'il n'existe pas à sa connaissance. Elle a également indiqué que le CECOS de l'hôpital Cochin dispose d'un " système d'alerte " permettant de connaître le nombre d'enfants issus d'un même donneur de gamètes et que ce traitement a été mis en place pour respecter les dispositions de l'article L. 1244-4 du code de la santé publique. Une telle information ne méconnaît pas les obligations qui pesaient sur l'AP-HP en vertu de l'article 15 du règlement A. Enfin, si

M. E souhaitait avoir accès à la donnée personnelle le concernant portant sur le nombre d'enfants issus de ses dons, l'AP-HP a pu légalement refuser de la lui transmettre, pour les motifs d'ores et déjà indiqués au point 18 du présent jugement.

24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. E est fondé à demander l'annulation des décisions en litige au seul motif de l'incompétence de leur auteure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

25. Eu égard aux points 13 et 24 du présent jugement, l'annulation qu'il prononce de la décision du 21 janvier 2021 G laquelle la déléguée à la protection des données de l'AP-HP a refusé de faire droit à la demande d'accès de M. E à certaines de ses données personnelles en date des 22 mai et 11 juin 2019 et de la décision du 8 mars 2021 rejetant expressément son recours gracieux n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint à l'administration de faire droit à sa demande d'accès à ces données sans occultations préalables. Les conclusions à fin d'injonction présentées G M. E doivent ainsi être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

26. En premier lieu, lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits G les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, G l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise G l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

27. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que le directeur général de l'AP-HP, autorité compétente, n'aurait pas refusé de faire droit aux demandes de M. E pour les mêmes motifs que ceux retenus G la DPO de l'AP-HP dans les décisions des 21 janvier et 8 mars 2021 annulées G le présent jugement, motifs dont la légalité a été confirmée aux points 14 à 23.

28. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires que M. E a présentées sur le fondement de l'illégalité fautive entachant les décisions des 21 janvier et 8 mars 2021 de la DPO de l'AP-HP ne peuvent qu'être rejetées.

29. En second lieu, aux termes de l'article 12 du règlement A : " () / 3. Le responsable du traitement fournit à la personne concernée des informations sur les mesures prises à la suite d'une demande formulée en application des articles 15 à 22, dans les meilleurs délais et en tout état de cause dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Au besoin, ce délai peut être prolongé de deux mois, compte tenu de la complexité et du nombre de demandes. Le responsable du traitement informe la personne concernée de cette prolongation et des motifs du report dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. () / () ".

30. En l'espèce, alors que les demandes présentées G M. E en application de l'article 15 du règlement A ont été réceptionnées G l'AP-HP les 22 mai et 11 juin 2019, aucune réponse ne lui a été apportée G l'administration avant le 21 janvier 2021. Toutefois, il résulte de l'instruction, au regard notamment de ce qui a été dit aux points 9 à 21, que l'AP-HP aurait pris la même décision si elle s'était prononcée dans un délai plus bref sur lesdites demandes. Alors que les requérants font valoir que ce retard dans le traitement de leur demande aurait causé à M. E un préjudice moral et une perte de chance de pouvoir faire évoluer la législation à l'occasion de l'examen de la loi du n° 2021-1017 du 2 août 2021, ce délai, à le supposer même fautif, ne lui a ainsi pas causé directement et certainement les préjudices dont il demande réparation.

31. Il en résulte que les conclusions indemnitaires présentées G M. E doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

32. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP le versement à M. E d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée G M. E et l'associations Dons de gamètes solidaires.

Article 2 : Les conclusions de l'association Dons de gamètes solidaires sont rejetées comme irrecevables.

Article 3 : La décision du 21 janvier 2021 G laquelle la déléguée à la protection des données de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a refusé de faire droit à la demande d'accès de M. E à certaines de ses données personnelles en date des 22 mai et 11 juin 2019, ensemble la décision du 8 mars 2021 rejetant expressément son recours gracieux, sont annulées.

Article 4 : L'Etat versera à M. E la somme de 1 500 euros en application de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. E est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. D E, à l'association Dons de gamètes solidaires, au directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 17 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Marino, président,

M. Le Broussois, premier conseiller,

M. Thulard, premier conseiller.

Rendu public G mise à disposition au greffe le 10 mars 2023.

Le rapporteur,

V. C

Le président,

Y. MarinoLe greffier,

A. Lemieux

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2/6-1

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