Tribunal administratif de Toulouse

Jugement du 7 mars 2023 n° 2300761

07/03/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 février 2023, M. B A, représenté par Me Hachet, demande au tribunal :

1°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative au fait de savoir si " les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route qui incriminent et répriment la conduite d'un véhicule lorsqu'il a été fait usage de stupéfiants, et non lorsque la personne est sous l'influence psychotrope de produits stupéfiants et les dispositions de l'article L. 235-2 qui déterminent les conditions de constatation de l'infraction de conduite d'un véhicule lorsqu'il a été fait usage de stupéfiants, ne méconnaissent pas le principe de la liberté d'aller et de venir protégé par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce que cette limitation n'est, en l'état, ni justifiée, ni proportionnée à l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public, notamment des atteintes à l'intégrité physique des personnes, fixé par le législateur " ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Lot a prononcé pour une durée de six mois la suspension de son permis de conduire à la suite d'une infraction relevée à son encontre le 8 janvier 2023 à 21h15 sur la commune de Gourdon (46300), en constatant par la voie de l'exception que l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route est affecté d'illégalité ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme à parfaire au jour du jugement en réparation du préjudice qu'il a subi du fait d'un acte administratif illégal ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- alors qu'il a fait l'objet le 8 janvier 2023 à 21h15 sur la commune de Gourdon (46300) d'un procès-verbal valant avis de rétention immédiate du permis de conduire pour avoir commis une infraction punie par le code de la route de la peine complémentaire de suspension du permis de conduire pour avoir conduit après avoir fait usage de produits stupéfiants en application de l'article L. 235-1 du code de la route, ni la décision critiquée, ni le procès-verbal de rétention immédiate du permis de conduire ne mentionnent la nature et les taux des stupéfiants détectés et les examens cliniques et analyses biologiques devront être communiqués à la procédure par l'administration ;

- il ressort des articles L. 224-1, L. 224-2, L. 224-9, L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route que la compétence de l'administration en matière de suspension du permis de conduire est caractérisée par l'ingérence du droit pénal et les dispositions des articles L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route qui fondent la décision administrative déférée sont applicables au litige puisque la constitutionnalité de ces textes conditionne la validité de l'arrêté préfectoral contesté et ces dispositions n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision du Conseil constitutionnel sauf changements de circonstances, sachant, d'une part, que l'article L. 235-1 a été modifié, la possibilité d'établir l'usage de stupéfiants par une analyse sanguine ou salivaire et non plus simplement sanguine constituant un changement des circonstances au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 et, d'autre part, que l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités de dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route a abrogé l'arrêté du 5 septembre 2001 modifié et baissé les taux de détection de certains produits stupéfiants ;

- par ailleurs, la cour de justice de l'Union européenne ayant, dans une décision du 19 novembre 2020, relevé que le CBD en cause au principal ne constituait pas un stupéfiant au sens de la convention unique et qu'il n'apparaissait pas avoir d'effet psychotrope et d'effet nocif sur la santé humaine sur la base des données scientifiques disponibles, la chambre criminelle de la cour de cassation a su tirer les conséquences de cette jurisprudence et les juridictions du fond ont été amenées à relaxer les commerçants en CBD poursuivis au titre de la législation des stupéfiants ;

- toutefois, en application des dispositions de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique, l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants classe comme tels, sans faire mention du cannabidiol (CBD), le cannabis et la résine de cannabis sans distinction entre les variétés de la plante et, dès lors, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 463256 du 29 décembre 2022, le cannabis, quelle que soit sa variété, reste formellement un stupéfiant, étant toutefois précisé qu'aux termes de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique sont autorisées la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation à des fins industrielles et commerciales, de variétés de cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés, le Conseil d'Etat ayant précisé que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées quand leur concentration en delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas supérieure à 0,30 % ;

- par ailleurs, dans ses décisions QPC des 7 janvier et 11 février 2022, le Conseil constitutionnel a retenu que la notion de stupéfiants désigne des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé ;

- de plus, au-delà du changement des circonstances de droit rappelées ci-dessus, il y a lieu de considérer que la modification des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées au regard du nombre de condamnations pour dépistage positif au volant qui a déjà augmenté de 75 % entre 2016 et 2019 dont la tendance ne peut que s'accélérer avec la simplification des dépistages alors que la doctrine s'interroge sur le fait de continuer à sanctionner indistinctement tous les usagers même lorsque leur consommation est ancienne et sans influence sur la conduite ;

- l'augmentation significative des procédures judiciaires et donc des suspensions administratives de permis de conduire qui leur sont liées exige donc un réexamen de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route ;

- si l'arrêté déféré ne précise pas la nature des stupéfiants consommés, il précise que le dépistage réalisé aurait fait état, d'après les agents verbalisateurs, de trace de cannabis sans autres précisions alors que le terme cannabis a fait l'objet de précisions depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités de dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, étant précisé que dans la mesure où cet arrêté a été promulgué antérieurement à la nouvelle réglementation du cannabis, cet arrêté ne peut plus fonder la mesure administrative déférée ;

- s'il a fait savoir, conformément aux dispositions de l'article R. 235-6 du code de la route qu'il entendait se réserver la possibilité de demander l'examen technique ou l'expertise prévus par l'article R. 235-11 du code de la route et que l'alinéa 3 du même article précise que si la réponse est positive, il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin dans les conditions fixées au II, il n'a, en l'espèce, été procédé à aucun prélèvement sanguin lors du contrôle de sorte qu'il a été privé de son droit à contre-expertise ;

- enfin, l'arrêté contesté, d'une part, ne précise pas à quelle date celui-ci a été transmis au Parquet et sa notification a été effectuée par lettre simple et, d'autre part, indique que le permis suspendu a été délivré par la préfecture de Bordeaux alors qu'il l'a été par la préfecture d'Auch.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance de référé n° 2300753 du 16 février 2013.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 351-3 du code de justice administrative : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'Etat, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente. () et aux termes de l'article R. 312-8 dudit code : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions. () ". Enfin, aux termes de l'article R. 221-3 du même code : " Le siège et le ressort des tribunaux administratifs sont fixés comme suit : () Pau : Gers, () ; ".

2. M. A demande l'annulation de l'arrêté en date du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Lot a prononcé pour une durée de six mois la suspension de son permis de conduire à la suite d'une infraction relevée à son encontre le 8 janvier 2023 à 21h15 sur la commune de Gourdon (46300). En application des dispositions précitées de l'article R. 312-8 du code de justice administrative, le présent litige relève de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence de la personne qui a fait l'objet de la décision attaquée au jour de la décision. Par suite, la requête doit être transmise au tribunal administratif de Pau, territorialement compétent en application de l'article R. 221-3 du code de justice administrative, M. A demeurant dans le département du Gers à la date de la décision attaquée.

ORDONNE :

Article 1er : Le dossier de la requête de M. A est transmis au tribunal administratif de Pau.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à la présidente du tribunal administratif de Pau.

Fait à Toulouse, le 7 mars 2023.

La présidente,

Isabelle Carthé-Mazères

Pour expédition conforme :

Le greffier en chef,

Code publication

D