Tribunal administratif de Dijon

Jugement du 7 mars 2023 n° 2101178

07/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 avril 2021 et 25 février 2022, Mme E B demande au tribunal d'annuler la décision du 4 mars 2021 par laquelle la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a refusé son affiliation rétroactive, au titre de la période du 27 décembre 1987 au 31 mars 1996, à raison des services faits au sein de la commune de Luthenay-Uxeloup.

Elle soutient que :

- elle aurait dû être affiliée à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales pour les services effectués dans la commune de Luthenay-Uxeloup du 27 décembre 1987 au 31 mars 1996, compte tenu du fait que sa carrière dans la fonction publique a été continue depuis le 23 juillet 1983 et qu'elle se trouve pénalisée par une affiliation au régime général pour cette période ;

- les règles d'affiliation à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales des fonctionnaires nommés sur un emploi à temps non complet sont discriminatoires et contraires aux articles 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 et 9 de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, comme l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt n° 16-20.404 du 9 novembre 2017 ;

- il existe une discrimination indirecte entre un agent nommé sur un poste à temps complet qui, à sa demande, est autorisé à bénéficier d'un temps partiel, supérieur ou égal à 50 % et un agent nommé sur un emploi à temps non complet à 50 %, quand bien même ces agents ont le même statut, la même fonction, le même grade et la même quotité de travail.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 14 février, 4 et 14 mars 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la Caisse des dépôts et consignations conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée le 25 février 2022 à 12 heures. Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture de l'instruction a été reportée au 24 mars 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le décret n° 2007-173 du 7 février 2007 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D A,

- et les conclusions de Mme Mélody Desseix, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E C, épouse B, a été agent stagiaire puis titulaire de la fonction publique d'État du 20 juillet 1983 au 27 décembre 1987, agent stagiaire puis titulaire de la fonction publique territoriale du 28 décembre 1987 au 15 septembre 2013 et agent de la fonction publique d'État depuis le 16 septembre 2013. Du 28 décembre 1987 au 30 mars 1996, elle a été affectée sur l'emploi à temps non complet de secrétaire de mairie de la commune de Luthenay-Uxeloup et a effectué une quotité de travail de 25/39e. Au titre de cette période, eu égard à sa quotité de travail, l'intéressée a été affiliée, non auprès de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, mais au régime général de la sécurité sociale. A compter du 1er avril 1996, sa quotité de travail a été portée à 31,5/39e et Mme B a été affiliée auprès de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Par une décision du 4 mars 2021, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a rejeté sa demande d'affiliation rétroactive pour la période du 28 décembre 1987 au 30 mars 1996. Mme B demande au tribunal d'annuler cette décision.

2. Aux termes de l'article 107 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire nommé dans un emploi à temps non complet doit être affilié à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, s'il consacre à son service un nombre minimal d'heures de travail fixé par délibération de cette caisse. Ce nombre ne peut être inférieur à la moitié de la durée légale du travail des fonctionnaires territoriaux à temps complet. / Le fonctionnaire titularisé dans un emploi permanent à temps non complet qui ne relève pas du régime de retraite de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales est affilié à une institution de retraite complémentaire régie par l'article L. 4 du code de la sécurité sociale. ".

3. Aux termes des deux derniers alinéas de l'article 2 du décret du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales : " L'affiliation d'un fonctionnaire prend effet à la date de son recrutement sur un emploi permanent. Cette affiliation ne devient définitive qu'après sa titularisation. / Les fonctionnaires à temps non complet sont affiliés lorsqu'ils accomplissent la durée hebdomadaire de travail prévue à l'article 107 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée ou à l'article 108 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée. ". Aux termes de l'article 8 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Les services pris en compte dans la constitution du droit à pension sont : / 1° Les services mentionnés à l'article L. 5 du code des pensions civiles et militaires de retraite. / 2° Les périodes dûment validées par les fonctionnaires titularisés au plus tard le 1er janvier 2013. Sont admises à la validation, au titre des périodes de services accomplis : / a) La totalité des périodes, quelle qu'en soit la durée, effectuées, de façon continue ou discontinue, sur un emploi à temps complet ou non complet, occupé à temps plein ou temps partiel, en qualité d'agent non titulaire auprès de l'un des employeurs mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 86-1 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; () / 3° Les périodes de services effectuées sur un emploi à temps non complet par les fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales en application du dernier alinéa de l'article 2 du décret du 7 février 2007 susmentionné. Elles sont comptées pour la totalité de leur durée. () ".

4. Il résulte des dispositions précitées que, si les agents titulaires de la fonction publique territoriale exerçant leurs fonctions sur un emploi à temps complet sont obligatoirement affiliés, dès la date de leur titularisation, à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, il n'en est pas de même des agents titulaires de cette fonction publique exerçant leurs fonctions sur un emploi à temps non-complet, lesquels n'y sont affiliés qu'à compter de la date à laquelle ils accomplissent une durée hebdomadaire de travail qui ne peut être inférieure à la moitié de la durée légale du travail des fonctionnaires territoriaux à temps complet et qui est fixée par délibération du conseil d'administration de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Ce conseil a fixé cette durée à 31,5 heures à compter du 1er novembre 1982 et à 28 heures à compter du 1er janvier 2002, par des délibérations respectivement en date des 11 janvier 1983 et 3 octobre 2001, que la Caisse des dépôts et consignations a versées à l'instance.

5. En premier lieu, les circonstances selon lesquelles la carrière de Mme B dans la fonction publique a été continue depuis le 23 juillet 1983 et elle se trouve pénalisée par une affiliation au régime général pour la période en litige sont sans incidence sur l'issue du litige dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit d'exception à ce qui vient d'être dit pour les fonctionnaires qui auraient une carrière continue dans la fonction publique ou pour ceux dont le montant de la pension de retraite est inférieur à celui qu'ils auraient pu percevoir s'ils avaient été affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales plutôt qu'au régime général de la sécurité sociale.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. / 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. / L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : / a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; / b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail (). / 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. ".

7. Il résulte de ces stipulations et des dispositions des articles 5 et 9 de la directive du 5 juillet 2006 susvisée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe, dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre.

8. En l'espèce, les dispositions précitées de l'article 107 de la loi du 26 janvier 1984 portant statut de la fonction publique territoriale s'appliquent à tous les cadres d'emplois de la fonction publique territoriale, et le seuil d'affiliation au régime de retraite de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales s'applique à l'ensemble des fonctionnaires territoriaux occupant un emploi à temps non complet, placés dans les mêmes conditions, quel que soit leur sexe. Mme B, qui ne soumet au tribunal aucune argumentation en ce sens, ne soutient ni n'allègue que ces dispositions induiraient une discrimination indirecte fondée sur le sexe, de manière générale ou de manière particulière pour les secrétaires de mairie. Dès lors, elle n'est fondée à sa prévaloir ni des stipulations de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni, en tout état de cause, de l'arrêt n° 16-20.404 du 9 novembre 2017 de la Cour de Cassation, qui repose sur le constat que les écoles communales recourent à une proportion d'emplois à temps réduit, plus fréquemment occupés par des femmes, pour les activités scolaires et périscolaires. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas davantage fondée à soutenir, sur ce terrain, que les dispositions précitées de l'article 107 de la loi du 26 janvier 1984 méconnaissent les articles 5 et 9 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

9. En troisième lieu, Mme B soutient qu'il existe une discrimination indirecte entre un agent nommé sur un poste à temps complet qui, à sa demande, est autorisé à bénéficier d'un temps partiel, supérieur ou égal à 50 % et un agent nommé sur un emploi à temps non complet à 50 %, quand bien même ces agents ont le même statut, la même fonction, le même grade et la même quotité de travail.

10. D'une part, l'intéressée ne peut utilement se prévaloir, au soutien de son argumentation des stipulations précitées de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 5 et 9 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, ou de l'arrêt précité de la Cour de cassation, rendu sur le fondement de ces dispositions, dès lors qu'ils portent exclusivement sur les discriminations entre hommes et femmes, et non entre agents nommés sur un emploi à temps complet ou à temps non complet.

11. D'autre part, à supposer même que Mme B puisse être regardée comme se prévalant du principe d'égalité, un tel moyen tiré de ce qu'en prévoyant que les agents recrutés à temps non complet sont affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, s'ils consacrent à leur service un nombre minimal d'heures de travail fixé par délibération de cette caisse, alors que les agents recrutés à temps complet, mais choisissant, pour une période déterminée, d'exercer leur activité à temps partiel, restent affiliés à cette caisse, quelle que soit leur quotité de travail, le législateur aurait méconnu le principe d'égalité, ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-13 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée par mémoire distinct, ce moyen est irrecevable et doit, pour ce motif, être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 4 mars 2021 par laquelle la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a refusé son affiliation rétroactive, au titre de la période du 27 décembre 1987 au 31 mars 1996, à raison des services faits au sein de la commune de Luthenay-Uxeloup. Par suite, sa requête doit être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme E B et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie en sera adressée à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Nicolet, président,

Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,

M. Hugez, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2023.

Le rapporteur,

I. A

Le président,

Ph. Nicolet

La greffière,

L. Curot

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

lc

Code publication

C