Cour d'Appel de Pau

Arrêt du 2 mars 2023 n° 22/02996

02/03/2023

Non renvoi

JN / SB

 

Numéro 23/817

 

COUR D'APPEL DE PAU

 

Chambre sociale

 

ARRÊT DU 02/03/2023

 

Dossier : N° RG 22/02996 - N° Portalis DBVV-V-B7G-ILRB

 

Nature affaire :

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

Affaire :

 

[O] [D]

 

C/

 

CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE SUD AQUITAINE,

 

Grosse délivrée le

 

à :

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

A R R Ê T

 

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 02 Mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

 

* * * * *

 

APRES DÉBATS

 

à l'audience publique tenue le 19 Janvier 2023, devant :

 

Madame NICOLAS, magistrate chargée du rapport,

 

assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.

 

Madame NICOLAS, en application de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

 

Madame NICOLAS, Présidente

 

Madame SORONDO, Conseiller

 

Madame PACTEAU, Conseiller

 

qui en ont délibéré conformément à la loi.

 

Le dossier a été communiqué au Ministère public le 8 novembre 2022

 

dans l'affaire opposant :

 

APPELANT :

 

Monsieur [O] [D]

 

[Adresse 3]

 

[Adresse 3]

 

[Localité 2]

 

Représenté par Maître COIMBRA de la SELARL DE MAITRE COIMBRA, avocat au barreau de BORDEAUX

 

INTIMEE :

 

CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE SUD AQUITAINE

 

[Adresse 4]

 

[Localité 1]

 

Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU

 

sur les Questions prioritaires de constitutionnalité

 

en date du 02 novembre 2022

 

déposées par Maître COIMBRA pour Monsieur [D]

 

FAITS ET PROCÉDURE

 

M. [O] [D] (le cotisant) est exploitant agricole.

 

Les 9 février 2018 et 31 mai 2019, la caisse de Mutualité Sociale Agricole Sud Aquitaine (CMSA en abrégé / la caisse ou l'organisme social) lui a adressé deux mises en demeure pour le recouvrement de cotisations et contributions.

 

Le cotisant les a contestées devant la commission de recours amiable (CRA), puis devant le pôle social du tribunal de grande instance de Mont de Marsan, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan.

 

Par jugement du 7 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan, a :

 

- débouté le cotisant de toutes ses demandes,

 

- condamné le cotisant à verser à la caisse les sommes suivantes :

 

- 9 378,75 € au titre de la mise en demeure du 9 février 2018 pour les cotisations et majorations de retard dues pour 2015 et 2017,

 

- 10 221,28 € au titre de la mise en demeure du 31 mai 2019 pour les cotisations et majorations de retard dues pour 2018,

 

- condamné le cotisant à supporter les dépens.

 

Le 27 janvier 2021, par lettre recommandée avec avis de réception adressée au greffe de la cour, le cotisant a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

 

Selon avis du 15 juin 2022, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience de plaidoiries du 24 novembre 2022, contradictoirement reportée à leur demande au 19 janvier 2023, à laquelle elles ont comparu.

 

Dans le cadre de la procédure au fond, l'appelant a conclu le 3 août 2022, puis le 3 novembre 2022.

 

Dans l'intervalle et le 2 novembre 2022, le cotisant, par son conseil, a saisi la cour s'agissant de la présente procédure (enregistrée sous le numéro RG 22/02996), au moyen de quatre mémoires distincts, de :

 

1- trois demandes de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité,

 

2 - une demande de transmission à la Cour de Justice de l'Union Européenne, de deux questions préjudicielles, et de sursis à statuer jusqu'à décision définitive sur le renvoi préjudiciel.

 

Le 8 novembre 2022, les questions prioritaires ainsi que la demande de renvoi préjudiciel, ont été transmises au ministère public, lequel a fait connaître son avis le 18 novembre 2022.

 

Par cet avis, le ministère public conclut, par des écritures au détail desquelles il est expressément renvoyé :

 

- au rejet des demandes de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité, estimant qu'aucune des trois, ne présente de caractère sérieux,

 

- au rejet de la demande de transmission des questions préjudicielles à la Cour de Justice de l'Union européenne, au motif d'absence de caractère sérieux de la requête.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

I/ S'agissant des trois questions prioritaires de constitutionnalité

 

' Selon ses trois derniers jeux de « conclusions sur QPC » visés par le greffe le 6 janvier 2023, repris oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquels il est expressément renvoyé, le cotisant, M. [O] [D], appelant demande à la cour de :

 

- juger recevable chacune des trois questions prioritaires de constitutionnalité qu'il soulève,

 

- les transmettre à la Cour de cassation pour transmission au Conseil constitutionnel,

 

- surseoir à statuer jusqu'à réception de chaque décision du Conseil constitutionnel.

 

' Selon ses trois « mémoires en réponse à la question prioritaire de constitutionnalité » transmis par RPVA le 16 janvier 2023, repris oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquels il est expressément renvoyé, la Caisse de Mutualité Sociale Agricole Sud Aquitaine, intimée, demande à la cour de :

 

- déclarer irrecevable, chacun des trois mémoires soulevant une question prioritaire de constitutionnalité,

 

- à titre subsidiaire, débouter l'appelant de ses demandes, juger n'y avoir lieu à transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation, et condamner l'appelant, pour chacune des demandes, à lui payer 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec octroi à son conseil, la SELARL Duale Ligney Bourdalle, du bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

II/ S'agissant de la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne

 

' Selon son « mémoire soulevant une demande de renvoi préjudiciel devant la CJUE article 267 TFUE », visé par le greffe le 3 novembre 2022, repris oralement à l'audience de plaidoirie, et auquel il est expressément renvoyé, le cotisant, M.[O] [D], appelant demande à la cour de transmettre à la cour de justice de l'union européenne deux questions préjudicielles, et de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive sur le renvoi préjudiciel.

 

' Selon « mémoire en réponse à demande de renvoi préjudiciel », transmis par RPVA le 16 janvier 2023, repris oralement à l'audience de plaidoirie, et auquel il est expressément renvoyé, la caisse, la MSA Sud Aquitaine, intimée, demande à la cour de :

 

- déclarer irrecevable la demande de renvoi préjudiciel du cotisant,

 

- à titre subsidiaire, débouter l'appelant de ses demandes, et le condamner à lui payer 1 000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, et octroyer à son conseil, la SELARL Duale Ligney Bourdalle, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

SUR QUOI LA COUR

 

A/ Sur les trois questions prioritaires de constitutionnalité

 

I/ Rappel préalable des règles relatives à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité

 

En application de l'article 61-1 de la constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

En application de l'article 126-1 du code de procédure civile, la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance numéro 58-1067 du 7 novembre 1968, portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel et aux dispositions prévues par le présent chapitre.

 

En application de l'article 23-1 de cette ordonnance, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

 

Et en application de l'article 23-2 de ladite ordonnance, il est procédé à la transmission, seulement si les conditions suivantes sont remplies :

 

1- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites,

 

2- elle n'a pas été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances;

 

3- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.(....) ».

 

II/ Sur les demande de transmission des trois questions prioritaires

 

La première est la suivante :

 

« les dispositions des articles L 723-1, L 723-2 et L 725-3 du code rural français portent-elles atteinte aux articles 1 et 2 de la Constitution de la République en ce qu'elles violent le principe de l'égalité et de la liberté et aux articles 55 et 88-1 de la Constitution de la République en ce qu'elles violent le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national ' ».

 

La seconde est la suivante :

 

« les articles L 723-1, L 723-2 et L 725-3 du code rural français portent-ils atteinte aux articles 1 et 2 de la Constitution de la République en ce qu'elles violent le principe de l'égalité et aux articles 6 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce qu'elles sont contraires aux lois et directives relatives à l'attribution des marchés publics et ne respectent pas les principes à valeur constitutionnelle de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures tels qu'ils découlent de ces articles ' ».

 

La troisième est la suivante :

 

« les dispositions de l'article L 723-2 du code rural français portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1er et 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, intégrée au bloc constitutionnel et aux articles 1er et 2 de la Constitution de la République française ' »

 

2-1 Sur leur recevabilité

 

2-1-1 Sur les dispositions de l'article 126-3 du code de procédure civile

 

Si cet article, en son alinéa deux, prévoit qu'en la matière, c'est le magistrat chargé de la mise en état, ainsi que le magistrat de la cour d'appel chargé d'instruire l'affaire, qui statue par ordonnance sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui, ces dispositions, dans une procédure sans représentation obligatoire comme au cas particulier, ne sont ni impératives, ni prévues à peine d'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité, et ce d'autant que ce même article prévoit que ce même magistrat peut renvoyer, par mesure d'administration judiciaire, l'affaire devant la formation de jugement.

 

C'est donc en vain que l'intimé s'en prévaut pour conclure à l'irrecevabilité de chacune des trois questions prioritaires de constitutionnalité.

 

2-1-2 Sur le surplus

 

Les articles L 723-1, L 723-2 et L 725-3 du code rural et de la pêche maritime, visés par la question prioritaire de constitutionnalité numéro 1, sont relatifs à l'organisation générale de la Mutualité Sociale Agricole pour les deux premiers, et aux dispositions générales en matière de recouvrement des cotisations et créances, s'agissant du dernier.

 

Ils sont donc applicables au présent litige.

 

En conséquence, il convient de relever que s'agissant des trois demandes :

 

- l'affaire a été communiquée au ministère public, lequel a fait connaître son avis le 18 novembre 2022,

 

- le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution,est présenté dans un écrit distinct et motivé, et est donc recevable,

 

- la disposition contestée est applicable au litige,

 

- elle n'a pas été déclarée conforme à la constitution par décision du Conseil Constitutionnel, auquel elle n'a pas été soumise.

 

Les demandes sont recevables.

 

2-2- Sur la demande de transmission, à la Cour de cassation

 

L'appelant, par des écritures au détail desquelles il est expressément renvoyé, soutient en substance :

 

' S'agissant de la première question, que la caisse est une mutuelle, soumise au code de la mutualité, par application de l'article L 112-3 du code de la mutualité, et est ainsi soumise au principe de liberté d'adhésion, supposant un caractère contractuel, contrairement à la position de la caisse consistant à se prévaloir d'une obligation d'adhésion de toute personne exerçant une activité agricole, cite au soutien une jurisprudence de la CJUE du 3 octobre 2013, relative à l'interdiction des pratiques commerciales déloyales vis à vis des consommateurs, et la circulaire (2009-07 du 29 janvier 2009) ayant transposé cette jurisprudence en droit interne, dans le code de la consommation;

 

' S'agissant de la seconde question, que l'Etat, pouvoir adjudicateur, a attribué à la MSA un marché public de services s'agissant de la gestion et de la protection sociale des exploitants agricoles, sans avoir procédé à un appel d'offres préalable, en contradiction avec les directives 92/50/CEE et 2004/18/CEE, ne respectant pas les principes à valeur constitutionnelle de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures découlant des articles 6 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

 

' S'agissant de la troisième question, que la caisse ne justifie pas de son existence légale et de son véritable statut, qu'elle n'est pas un organisme public mais un organisme privé, envers lequel toute obligation d'affiliation et de cotisation constitue une atteinte au droit de propriété consacré par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen garanti par la Constitution.

 

La CMSA, après rappel des articles L 723-1 et L 723-2 du code rural et de la pêche maritime, conclut à l'absence de caractère sérieux des questions posées, se prévaut à cet égard de diverses décisions jurisprudentielles qu'elle produit notamment sous ses pièces 11 à 13, (cassation civile 2 ème, 13 juin 2013, pourvoi numéro 13-40'019 - cour d'appel d'Amiens, 6 avril 2017, RG numéro 16/05916, et 25 janvier 2018, RG numéro 17/01315- Conseil d'État 13 mars 2013, décision numéro 338'645- cassation civile 2ème, 19 septembre 2012, pourvoi numéro 12-40'054), et fait valoir en substance que :

 

- les articles incriminés par l'appelante, ne visent strictement aucune disposition relative aux passations des marchés publics,

 

- rien n'interdit à un Etat d'instaurer, lorsque il en est de l'intérêt général, une obligation d'adhésion afin de permettre la protection sociale des salariés, et notamment en l'espèce des salariés des professions agricoles,

 

- cet organisme de protection sociale n'a pas nécessairement à être un organisme public, mais peut parfaitement être un organisme privé.

 

Sur ce,

 

La Cour de cassation s'est déjà prononcée, à l'occasion d'une instance opposant une caisse de mutualité sociale agricole à d'autres exploitants agricoles, sur une question substantiellement identique à celles posées par l'appelant dans la présente instance, au moins s'agissant des 2 premières, puisqu'il s'agissait d'une question devant être regardée comme se rapportant à la conformité des articles L.723-1, L.723-2 et L.725-3 du code rural et de la pêche maritime aux articles 1er, 2, 55 et 88-1 de la Constitution, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et 4 et 6 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

 

Or la cour de cassation l'a jugée dépourvue de sérieux (Civ. 2ème, 19 septembre 2012, nº 12-40.054).

 

Au cas particulier, les questions sont de même jugées dépourvues de sérieux aux motifs suivants :

 

Ces questions, qui se rapportent à des dispositions susceptibles de recevoir application au litige et qui n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, n'apparaissent ni nouvelles, en ce qu'elles ne portent pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont ce dernier n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ni sérieuses.

 

Le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des motifs d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

Le législateur peut également apporter des limitations aux principes à valeur constitutionnelle de liberté contractuelle et de liberté d'entreprendre dès lors qu'elles sont justifiées par l'intérêt général et à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

 

Or, les dispositions contestées fixent les attributions des organismes de mutualité sociale agricole pour le recouvrement des cotisations et contributions qui concourent au financement des régimes obligatoires, et non facultatifs, de protection sociale des salariés et non-salariés agricoles.

 

Ne poursuivant pas un but lucratif, ces organismes, qui ne fournissent pas un service marchand et fonctionnent sur un mode de répartition, ne sont ni des entreprises économiques ni des assureurs.

 

Il est à cet égard constant et régulièrement rappelé par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que les régimes de sécurité sociale dont le fonctionnement repose sur le principe de solidarité, ont un caractère exclusivement social, dépourvu de tout but lucratif et qu'ils ne constituent pas de ce fait des mutuelles.

 

La jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est constante en la matière : il appartient à la législation de chaque Etat membre de déterminer le droit ou l'obligation de s'affilier à un régime de Sécurité sociale et les conditions qui donnent droit à des prestations. Cette obligation d'affiliation et de cotisations en France à la sécurité sociale ne va pas à l'encontre des règles européennes de la concurrence, car ces dernières ne sont pas applicables à la matière, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, et a été confirmé à plusieurs reprises par la CJUE, les organismes de sécurité sociale ne constituent pas des entreprises au sens des articles 101 et 102 du TFUE (ex articles 81 et 82 du traité instituant la communauté européenne TCE) dans la mesure où ils n'exercent pas des activités économiques au sens des règles européennes de la concurrence. De même, les directives assurances (dont notamment les directives CEE 92/49 et 92/96) excluent les législations de sécurité sociale de leur champ d'application. De ce fait, les organismes de sécurité sociale, organismes de droit privé, ne sont pas soumis aux règles assurantielles consistant pour les mutuelles à être immatriculées au registre national des mutuelles.

 

Les dispositions critiquées ne méconnaissent donc ni le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national, ni le principe d'égalité devant la loi entre les personnes morales de droit privé, ni le principe de liberté de choix et d'adhésion.

 

En outre, et de même, c'est en vain que l'appelant invoque une violation de l'article l'Art. 14 de la DDHC selon lequel « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée », dès lors ces dispositions sont relatives à la contribution publique, par définition versée par l'Etat, et ne s'appliquent donc pas aux cotisations qui lui sont personnellement réclamées.

 

Les dispositions critiquées ne méconnaissent donc pas davantage le droit de propriété.

 

Par ailleurs, si l'article 55 de la Constitution confère aux traités et accords internationaux, dans les conditions qu'il détermine, une autorité supérieure à celle des lois, il ne prescrit, ni n'implique que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution, le contrôle de la compatibilité des lois avec les traités et accords internationaux incombant aux juridictions judiciaires et administratives.

 

Le respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives de l'Union européenne qui découle de l'article 88-1 de la Constitution n'est, par ailleurs, pas au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et ne saurait, par suite, être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

En conséquence, les questions n'apparaissent pas sérieuses et il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil Constitutionnel.

 

B/ Sur la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne

 

L'appelant demande à la cour, de transmettre à la Cour de Justice de l'Union Européenne, les questions préjudicielles suivantes :

 

1- « Les dispositions des articles L.111-2-1 du code de la sécurité sociale et L.723-1, L.732-2 et L.725-3 du code rural français satisfont-elles à toutes les conditions requises pour justifier la notion d'intérêt général permettant de déroger aux dispositions des directives 92/49/CE et 92/96/CE ' »,

 

2- « Les dispositions des articles L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale et L.723-1, L.732-2 et L.725-3 du code rural français sont-elles conformes à la directive 2016/97 du 20 janvier 2016 entrée en application au 1er octobre 2018 ' ».

 

La CMSA conclut à l'irrecevabilité de la demande, faute pour celle-ci d'avoir été soulevée avant toute défense au fond, et en tout cas à son rejet, par des écritures au détail desquelles il est expressément renvoyé.

 

Sur ce,

 

La procédure de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne, est prévue par l'article 267 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne), qui dispose :

 

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

 

a) sur l'interprétation des traités,

 

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

 

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

 

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. »

 

La demande de renvoi d'une question préjudicielle, à la Cour de Justice de l'Union Européenne, qui tend à suspendre le cours de la procédure devant les juges nationaux jusqu'à la décision de la cour de justice, constitue une exception de procédure.

 

Une telle exception de procédure, en application de l'article 74 du code de procédure civile, doit à peine d'irrecevabilité, être soulevée simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

 

Au cas particulier, l'appelant a conclu au fond pour la première fois le 3 août 2022, alors qu'il a formé sa demande de renvoi préjudiciel, postérieurement à cette date, la cour en ayant été saisie le 2 novembre 2022, et l'intimée déclarant de même et sans contestation que le mémoire contenant cette demande lui a été notifié le 31 octobre 2022.

 

La demande sera déclarée irrecevable.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens

 

Les quatre mémoires déposés par l'appelant, ont imposé à l'intimée de conclure en réponse, de façon détaillée et argumentée, soit dans des conditions au vu desquelles l'équité commande d'allouer à l'intimée, pour le tout, la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

L'appelant, qui succombe, supportera les dépens.

 

Sur l'article 699 du code de procédure civile

 

Les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, sont seulement applicables aux matières où le ministère d'avocat est obligatoire, ce qui n'est pas le cas de la présente procédure orale relative au contentieux des affaires de sécurité sociale, si bien que la demande du conseil de l'intimée sur ce fondement sera rejetée.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

 

Juge M. [D] [O] recevable à solliciter la transmission à la Cour de cassation, de chacune des trois questions prioritaires de constitutionnalité qu'il soulève, et dont le contenu est expressément rappelé dans les motifs du présent arrêt, paragraphe A-II, auquel le présent dispositif fait expressément renvoi à ce titre,

 

Dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation, de ces trois questions prioritaires de constitutionnalité,

 

Déclare irrecevable la demande par laquelle M. [D] [O] sollicite le renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l'Union Européenne, des deux questions préjudicielles dont le contenu est expressément rappelé dans les motifs du présent arrêt, paragraphe B, auquel le présent dispositif fait expressément renvoi à ce titre,

 

Dit que la copie du présent arrêt sera jointe au dossier de fond RG n° 21-289 fixé en continuation à l'audience du 16 mars 2023,

 

Condamne M. [D] [O] à payer à la caisse de Mutualité Sociale Agricole Sud Aquitaine, la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

 

Déboute la Caisse de Mutualité Sociale Agricole Sud Aquitaine de sa demande sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile,

 

Condamne M. [D] [O] aux dépens.

 

Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,