Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 1 mars 2023 n° 22PA01355

01/03/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A C a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017.

Par un jugement n° 2013396/1-2 du 15 février 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 mars et 12 juillet 2022, Mme C, représentée par Me Rémi D'Honneur, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 février 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge et le remboursement, assorti des intérêts moratoires, des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas reçu de proposition de rectification ;

- l'administration n'apporte pas la preuve du dépôt d'un avis de passage ;

- elle a été privée des garanties de la procédure contradictoire ;

- le rôle homologué ne permet pas de l'identifier ;

- les primes de bilan dues au titre des années 2016 et 2017 n'ont été ni payées, ni inscrites en compte courant ;

- les énonciations des paragraphes 60 et 70 de la documentation administrative BOI-IR-BASE-10-10-10-40 du 12 septembre 2012 impliquent que le contribuable ait la disposition des sommes ;

- la doctrine référencée BOI-RSA-BASE-20-10 n° 10, 12-9-2012 prévoit que la disponibilité se fait soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription au crédit d'un compte courant sur lequel l'intéressé a fait ou aurait pu faire un prélèvement au plus tard le 31 décembre de l'année considérée ;

- le versement de ces sommes était impossible au regard de l'impératif de désendettement et d'investissement de la société ;

- l'administration n'établit pas qu'à la date d'établissement des comptes, au cours de l'exercice suivant le 31 juillet 2017, la société disposait d'une trésorerie suffisante ;

- l'imposition est contraire au principe d'autonomie des personnes morales et conduit l'administration à se rendre coupable d'abus de droit rampant en écartant l'écran juridique constitué par la personne morale ;

- taxer un revenu non disponible est contraire au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques ;

- en l'absence de proposition de rectification l'imposition est prescrite ;

- les sommes ont été déclarées et soumises à l'impôt au titre des années 2018 et 2019.

Par des mémoires en défense enregistrés les 16 mai et 2 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par Mme C ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

13 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public,

- et les observations de Me Gandon et Me Dhonneur, représentant Mme C.

1. A l'issue de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet D, l'administration a mis à la charge de Mme C, gérante et unique associée de la société, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2016 et 2017. Mme C relève appel du jugement du 15 février 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de ces impositions.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1658 du code général des impôts : " Les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu soit de rôles rendus exécutoires par arrêté du directeur général des finances publiques ou du préfet, soit d'avis de mise en recouvrement ". Il résulte de ces dispositions que le rôle homologué permettant le recouvrement de la créance fiscale doit comporter l'identification du contribuable, ainsi que le total par nature d'impôt et par année des sommes à acquitter.

3. Il résulte de l'instruction que les copies des rôles n° 911 qui ont été produites par l'administration concernent les impositions supplémentaires d'impôt sur le revenu mises en recouvrement le 31 janvier 2020 à l'encontre notamment de contribuables relevant du service des impôts des particuliers Paris 16E Muette. Ces rôles comprennent, pour le service des impôts des particuliers Paris 16E Muette, 5 articles pour un montant total de 203 453 euros et 192 articles pour un montant total de 1 529 419 euros. L'administration produit en outre des extraits de ce rôle établis conformément aux dispositions de l'article L. 104 du livre des procédures fiscales, qui identifient Mme C, ainsi que le total par nature d'impôt et par année des sommes à acquitter. Les mentions figurant dans ces extraits de rôle, qui indiquent qu'ils ont été délivrés " pour extrait conforme " par le comptable du Trésor, doivent être regardées comme exactes et, au demeurant, les rôles contestés comportent les mêmes dates de mise en recouvrement que les extraits de rôle produits. Par suite, et à supposer même que des numéros fiscaux erronés auraient figuré sur ses avis d'imposition, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les rôles ne comportaient pas les mentions devant y figurer.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a envoyé à Mme C la proposition de rectification du 24 avril 2019, par un courrier présenté à la dernière adresse communiquée par la requérante à l'administration à Paris (75016), dont la destinataire a été avisée, et que ce pli a été retourné au service revêtu de la mention " avisé et non réclamé " le 21 mai 2019. Contrairement à ce qui est soutenu, les documents postaux figurant au dossier indiquent de manière lisible que Mme C a été avertie le 26 avril 2019 de la mise à sa disposition du pli par le dépôt d'un avis d'instance. La proposition de rectification doit donc être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à Mme C à la date de sa présentation. La requérante ne saurait donc valablement soutenir que la proposition de rectification ne lui a pas été régulièrement notifiée, et que faute d'avoir reçu la proposition de rectification, elle a été privée des garanties liées à la procédure contradictoire et assujettie à des impositions prescrites.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. / L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ".

6. L'administration ne saurait être regardée comme s'étant placée, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit, en regardant les sommes inscrites au compte de charges à payer comme une rémunération perçue à son profit. Par suite, Mme C n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été imposée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et qu'elle aurait été privée de la garantie prévue par ces dispositions, notamment la saisine du comité de l'abus de droit fiscal.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". Aux termes de l'article 156 du même code : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard aux propriétés et aux capitaux que possèdent les membres du foyer fiscal désignés aux 1 et 3 de l'article 6, aux professions qu'ils exercent, aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères dont ils jouissent ainsi qu'aux bénéfices de toutes opérations lucratives auxquelles ils se livrent () ". Et selon l'article 62 du même code : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : () Aux associés en nom des sociétés de personnes, aux membres des sociétés en participation et aux associés mentionnés aux 4° et 5° de l'article 8 lorsque ces sociétés ou exploitations ont opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux. / Le montant imposable des rémunérations visées au premier alinéa est déterminé, après déduction des cotisations et primes mentionnées à l'article 154 bis, selon les règles prévues en matière de traitements et salaires ".

8. Les sommes à retenir, au titre d'une année déterminée, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires sont celles qui sont mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription à un compte courant ou un compte de charges à payer ouvert dans les écritures de la société qui l'emploie, dès lors, dans ces deux derniers cas, que le créancier de la somme est un dirigeant de la société ayant déterminé la décision d'inscrire dans les comptes sociaux la somme qui lui est due et que le retrait effectif de la somme au plus tard le 31 décembre de l'année d'imposition n'est pas rendu impossible, en fait ou en droit, par des circonstances telles que, notamment, la situation de trésorerie de la société, les circonstances matérielles du retrait ou les modalités de détermination du montant exact de la somme susceptible d'être retirée.

9. Il résulte de l'instruction que des primes de bilan de 125 000 euros et 50 000 euros ont été attribuées à Mme C, gérante et associée unique de D, au titre des exercices clos respectivement les 31 juillet 2016 et 31 juillet 2017. Ces primes ont été comptabilisées en " autres charges à payer " par des écritures respectives du 31 juillet 2016 et du 31 juillet 2017. L'administration a considéré ces sommes comme étant allouées à Mme C, et se trouvant à la disposition de cette dernière. Elle les a, par suite, réintégrées dans le revenu imposable de la requérante, dans la catégorie des traitements et salaires au titre des années 2016 et 2017 sur le fondement de l'article 62 du code général des impôts.

10. Mme C qui est gérante et associée unique de D ne saurait, en application des règles rappelées au point 8., faire valoir que les primes de bilan dues au titre des années 2016 et 2017 et qui ont été inscrites en charges à payer n'ont été ni payées, ni inscrites en compte courant. Elle doit être regardée comme ayant eu la disposition des sommes en cause, sauf à démontrer que la situation de trésorerie de la société rendait leur prélèvement impossible avant la fin de l'année d'imposition.

11. Mme C soutient que la situation de trésorerie de D rendait impossible toute perception effective de la somme en cause. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les sommes litigieuses ont été comptabilisées en " charges à payer " les 31 juillet 2016 et 31 juillet 2017. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires annuelles des 16 décembre 2016 et 20 décembre 2017 mentionnent les primes respectivement comptabilisées au 31 juillet 2016 et au 31 juillet 2017. En se bornant à soutenir que la société devait s'acquitter d'un montant important chaque mois au titre des remboursements d'emprunt, des intérêts et des investissements, la requérante n'établit pas que la situation de trésorerie de l'entreprise faisait obstacle au retrait effectif des sommes au plus tard le 31 décembre de chacune des années d'imposition, alors que l'administration affirme sans être contestée que la société disposait, à la clôture des exercices les 31 juillet 2016 et 2017, de disponibilités à hauteur des montants respectifs de 206 367,79 euros et 99 319, 45 euros. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale, qui n'a pas remis en cause le principe d'autonomie des personnes morales, a estimé que Mme C avait eu la disposition des sommes en litige.

12. En cinquième lieu, la doctrine référencée BOI-RSA-BASE-20-10 n° 10, 12-9-2012, qui prévoit que la disponibilité se fait soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription au crédit d'un compte courant sur lequel l'intéressé a fait ou aurait pu faire un prélèvement au plus tard le 31 décembre de l'année considérée et dont il ne saurait être fait une interprétation a contrario, ne peut être valablement invoquée sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle ne fait pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il a été fait application dans le présent arrêt. Les énonciations des paragraphes 60 et 70 de la documentation administrative BOI-IR-BASE-10-10-10-40 du 12 septembre 2012 ne font pas non plus de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il a été fait application dans le présent arrêt.

13. En sixième lieu, l'imposition contestée étant conforme à la loi fiscale, Mme C ne saurait valablement, en l'absence de mémoire distinct soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, faire valoir qu'elle méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques.

14. Enfin, la requérante ne peut utilement soutenir que les primes de bilan ont fait l'objet d'une imposition au titre des années 2018 et 2019 pour contester les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A C et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 15 février 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- M. Segretain, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2023.

Le rapporteur,

F. BLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C