Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 27 février 2023 n° 2107356

27/02/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n°2103743 du 24 mai 2021, la présidente du tribunal administratif de Versailles a transmis la requête de M. B, enregistrée le 4 mai 2021, au tribunal administratif de Montreuil territorialement compétent.

Par sa requête enregistrée le 4 mai 2021, M. A B, représenté par Me Loue, doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer, en tant que débiteur solidaire, l'amende pour distributions occultes d'un montant de 109 423 euros qui a été infligée à la société Atsunn au titre de l'année 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la procédure d'imposition est irrégulière du fait du défaut de communication des documents relatifs à la procédure de taxation préalablement à la mise en recouvrement des sommes réclamées, le principe du contradictoire a été méconnu ;

- l'article 1759 est contraire à la Constitution ;

- la procédure méconnaît l'article L. 57 du livre des procédures fiscales dès lors qu'il n'a pas eu communication de la motivation de la proposition de rectification, ni qu'il a été mis à même d'en comprendre les motifs ;

- aucun avis de mise en recouvrement, ni aucune mise en demeure ne lui ont été adressés par le comptable public avant l'engagement des poursuites ;

- le service n'apporte aucune preuve d'appréhension des revenus distribués sur le fondement des dispositions du 1°) l'article 109-1 du code général des impôts, et en l'absence de transmission de la comptabilité de l'entreprise, il ne pouvait appliquer ces dispositions, mais celles des avantages occultes prévus au c) de l'article 111 du code général des impôts ;

- en l'absence de communication des pièces de la procédure diligentée contre le débiteur principal, il est impossible de vérifier que les dispositions de l'article 117 et 1759 du code général des impôts ont été respectées ;

- dès lors qu'il n'était plus gérant de droit ou de fait de la société, sa responsabilité solidaire ne pouvait être retenue en application des dispositions du 3 du V de l'article 1754 du code général des impôts pour le paiement de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2022, le directeur départemental des finances publiques de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- si le requérant déclare qu'il a démissionné de ses fonctions de gérant de la société Atsunn le 23 novembre 2017, avec effet rétroactif au 3 avril 2017, cette formalité a été accomplie après la réception de la première lettre de mise en garde sur l'application de la procédure d'opposition à contrôle fiscal et de l'information de l'engagement d'une procédure de vérification de comptabilité au titre de l' exercice 2015, exercice au cours duquel il n'est pas contesté qu'il était le gérant ; la vérification de comptabilité a été engagée pour l'exercice clos en 2015, période pendant laquelle les sommes en cause sont réputées avoir été distribuées, ou au plus tard à la date à laquelle la société était tenue de déposer sa déclaration d'impôt sur les sociétés modèle 2065, le 1er mai 2016 pour l'exercice 2015 ; sa responsabilité pouvait être engagée ;

- si l'administration est tenue de motiver et de mettre en œuvre une procédure contradictoire préalablement à la mise en recouvrement de l'amende prise sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts, qui a le caractère d'une sanction, elle n'a obligation de respecter ces formalités qu'à l'égard de la société contrôlée et non des personnes dont la responsabilité est solidairement engagée pour le paiement de cette amende, après mise en recouvrement ; au demeurant les éléments de la procédure ont été transmis à l'adresse déclarée du siège de la société et retournés au service avec la mention " défaut d'adresse ou d'adressage " et que la proposition de rectification du 6 février 2018 et la lettre n° 751 du

16 mars 2018 exposaient les motifs de la rectification et de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts ;

- l'administration a communiqué, en application des dispositions des articles 117 et 1759 du code général des impôts, la copie de la proposition de rectification et la lettre modèle 751 motivant l'amende pour distribution occultes adressées le 16 mars 2018 à la société Atsunn dans la décision de rejet du 4 mars 2021 et lui a ainsi permis de compléter sa réclamation du

31 décembre 2020 ;

- l'administration a procédé à une évaluation d'office des bases d'imposition de la société sur le fondement de l'article L 74 du livre des procédures fiscales, en l'absence de tout document comptable fourni ; elle a reconstitué le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2015 à partir des éléments en sa possession, à savoir les crédits figurant sur les relevés bancaires et a admis par souci de réalisme un coefficient de charges déductible de 60 % du chiffre d'affaires retenu ;

- la société n'a présenté aucune observation sur les rehaussements notifiés ; les rehaussements afférents aux recettes TTC non comptabilisées et les charges non admises en déduction sont considérés comme prélevés et désinvestis de l'actif social en application des dispositions de l'article 110 et du 1°) de l'article 109-1 du code général des impôts ; au demeurant l'administration n'est pas tenue de démontrer l'appréhension des sommes distribuées par le dirigeant dans le cadre de la procédure d'engagement de la responsabilité solidaire d'un dirigeant prévue à l'article 1754 V-3 du code général des impôts ;

- l'administration a mis en œuvre les dispositions de l'article 117 du code général des impôts, et la société n'a apporté aucune réponse, pas plus qu'à la lettre n°751 par laquelle l'administration l'a mise en garde sur l'application de l'amende prévue à l'article 1759 du même code ;

- un avis de mise en recouvrement du 30 avril 2018 a été adressé à la société Atsunn puis deux mises en demeure au mois de mai 2018, lesquelles ont été retournées au service avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ", une saisie à tiers détenteur a été envoyée le

13 juillet 2018 et un procès-verbal de perquisition le 9 janvier 2019 ; s'agissant de M. B, un avis de mise en recouvrement lui a été adressé le 21 août 2018, retourné au service avec la mention " pli avisé non réclamé " et une mise en demeure reçue le 5 octobre 2018.

Par une ordonnance du 9 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

26 décembre 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thébault, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Therby-Vale, rapporteure publique ;

Les parties n'étaient ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. La société Astunn a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité ayant porté sur l'exercice clos 2015. A l'issue des opérations de contrôle, par une proposition de rectification du 6 juillet 2018, le service a demandé à la société, sur le fondement des dispositions de

l'article 117 du code général des impôts, de lui fournir, dans un délai de trente jours, toutes indications sur les bénéficiaires des sommes regardées comme distribuées en application des articles 109-1 et 111 c du code général des impôts. Faute pour la société Astunn d'avoir satisfait à cette demande, celle-ci s'est vue infliger la pénalité de 100% du montant des sommes distribuées prévue par l'article 1759 du même code, laquelle a été mise en recouvrement à son nom, le 30 avril 2018, pour un montant total de 109 423 euros. Par un avis du 19 mai 2018,

M. A B, gérant de la société Astunn jusqu'en avril 2017, a été informé de la mise en recouvrement de cette pénalité entre ses mains, en sa qualité de débiteur solidaire de la société Astunn, sur le fondement du 3 du V de l'article 1754 du code général des impôts. Les réclamations préalables présentées par M. B présentées le 27 juin 2019 et

31 décembre 2020 ont été rejetées par l'administration fiscale, par une décision en date du

4 mars 2021. M. B doit être regardé comme demandant la décharge de l'obligation de payer les sommes ainsi mises à sa charge en sa qualité de débiteur solidaire de la société Atsunn.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : "question prioritaire de constitutionnalité" ". L'article R. 771-4 du même code prévoit que : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

3. A supposer même que M. B ait entendu soulever une question prioritaire de constitutionnalité, en soutenant que les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts sont contraires à la Constitution, ce moyen, à la formulation au demeurant très imprécise, n'a pas été présenté par un mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article

R. 771-3 du code de justice administrative, et est par suite irrecevable. Il doit, pour ce motif, être écarté.

Sur les conclusions à fin de décharge :

4. D'une part, aux termes de l'article 117 du code général des impôts : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ". Aux termes de l'article 1759 de ce code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100% des sommes versées ou distribuées. ". Enfin, aux termes du 3 du V de l'article 1754 du même code : " () Les dirigeants sociaux mentionnés à l'article 62 et aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter ainsi que les dirigeants de fait gestionnaires de la société à la date du versement ou, à défaut de connaissance de cette date, à la date de déclaration des résultats de l'exercice au cours duquel les versements ont eu lieu, sont solidairement responsables du paiement de l'amende prévue à l'article 1759 ".

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux avis de mise en recouvrement litigieux : " L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. () / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / () ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".

6. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en œuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l'article 1759 du code général des impôts à l'encontre d'une société qui n'a pas révélé l'identité des personnes auxquelles elle a versé ou distribué, directement ou indirectement, des revenus, dans un délai de trente jours, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d'obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu. Il en résulte qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration de communiquer au codébiteur solidaire, préalablement à l'avis de mise en recouvrement qui lui est adressé en vertu de l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, les éléments de la procédure d'imposition menée à l'encontre du débiteur principal. Toutefois, il est loisible au débiteur solidaire de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts précité, dès réception de l'avis, de demander la communication de tous les documents de la procédure suivie à l'encontre de la société qui lui seraient utiles pour organiser sa défense. Dans cette hypothèse, l'administration fiscale doit communiquer lesdits documents au débiteur solidaire qui en a fait la demande.

7. Il résulte de l'instruction que l'administration a produit devant le tribunal la proposition de rectification du 6 juillet 2018 adressée à la société Atsunn, qui contenait la demande de désignation des bénéficiaires des sommes regardées comme distribuées en application de l'article 117 du code général des impôts, et le courrier du 16 mars 2018 infligeant à la société l'amende prévue à l'article 1759 du même code. Toutefois, si M. B n'est ainsi pas fondé à soutenir que l'administration n'aurait pas mis en œuvre les dispositions de l'article 117 du code général des impôts précité, cette dernière, en refusant, par courrier du 19 juin 2019, de communiquer les pièces de la procédure au débiteur solidaire, à sa demande, au motif que n'étant plus dirigeant de la société, le secret des affaires s'opposait à une telle communication, elle a privé le débiteur solidaire de la possibilité de contester utilement la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu, et l'a ce faisant, privé d'une garantie.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander la décharge de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts dont il a été informé de la mise en recouvrement de cette pénalité entre ses mains, en sa qualité de débiteur solidaire de la société Astunn.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B d'une somme de 1 200 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : M. B est déchargé de l'obligation de payer, en sa qualité de débiteur solidaire de la société Atsunn, l'amende pour distributions occultes d'un montant de 109 423 euros.

Article 2 : L'Etat versera à M. B une somme de 1 200 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et directeur des finances publiques de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 6 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Charret, président,

Mme Nguër, première conseillère,

M. Thébault, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2023.

Le rapporteur,

Signé

P. Thébault

 

Le président,

Signé

J. Charret

La greffière,

Signé

I. Serveaux

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C+