Tribunal administratif de La Réunion

Ordonnance du 23 février 2023 n° 2101268

23/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 12 juillet 2022, M. A B, représenté par Me Krikorian, avocat, demande au tribunal, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 13 septembre 2021 par laquelle le directeur général du CHU de La Réunion l'a suspendu sur le fondement de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, de transmettre au Conseil d'Etat une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 12, 13, 14, 16, 18, 19, 20 de ladite loi.

M. B soutient que :

- ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- elles méconnaissent la liberté personnelle, la liberté de conscience, le droit au respect de la vie privée, la liberté d'entreprendre, les principes d'égalité et de non-discrimination, le droit de propriété, le droit à une vie familiale normale, garantis par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par le préambule de la Constitution de 1946 ou par les articles 1er et 2 de la Constitution de 1958.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et l'article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- la décision n° 2021-824 du Conseil constitutionnel du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Considérant de qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat () ".

2. Il résulte des dispositions combinées des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la QPC au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Suspendu par son employeur, le CHU de La Réunion, au motif que son obligation vaccinale a été méconnue, M. B soutient que la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, sur le fondement de laquelle a été prononcée cette mesure de suspension, comporte des dispositions portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Sont ainsi ciblés les articles 12, 13, 14, 16, 18, 19 et 20 de cette loi.

Sur les articles 12 et 13 :

5. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution de données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé, garanti par le préambule de la Constitution de 1946, n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont manifestement pas inappropriées à l'objectif visé.

6. En imposant le principe d'une obligation vaccinale, à compter du 15 septembre 2021, aux personnes mentionnées à l'article 12 de la loi du 5 août 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie covid-19 accompagnée de l'émergence de nouveaux variants, et compte tenu du niveau encore incomplet de la couverture vaccinale dans les milieux professionnels en cause, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers, grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades hospitalisés.

7. Cette obligation ne s'impose pas, comme cela est précisé par l'article 13, aux personnes justifiant d'un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. En outre, le IV de l'article 12 donne compétence au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre le cas échéant cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne. Enfin, il est communément admis que la vaccination en cause, dont l'efficacité au regard des objectifs de protection de la santé est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions des articles 12 et 13, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont manifestement pas inappropriées à l'objectif poursuivi, porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le préambule de la Constitution de 1946, à l'inviolabilité du corps humain, au principe de respect de la dignité de la personne humaine, à la liberté personnelle, ou au droit à une vie familiale normale.

8. Par ailleurs, s'agissant du grief d'atteinte au principe d'égalité, l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 s'applique, en vertu du 1° du I, à l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans un établissement hospitalier. Ces travailleurs, y compris ceux qui, comme le requérant, sont principalement présents dans les bureaux, peuvent se trouver en contact avec les patients. Leur situation est donc différente de celle des autres travailleurs. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté.

Sur l'article 14 :

9. En adoptant les dispositions du B du I de l'article 14, qui font interdiction aux personnes soumises à l'obligation vaccinale de continuer à exercer leur activité professionnelle s'ils ne respectent pas cette obligation ou ne justifient pas d'une contre-indication médicale, le législateur, poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, a prévu que le travailleur concerné peut lui-même mettre un terme à cette interdiction en souscrivant au protocole vaccinal. Ce faisant, le législateur n'a pas porté atteinte à la liberté personnelle ni à la liberté d'entreprendre.

10. Contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions de l'article 14 sont par elles-mêmes sans incidence directe sur le droit de propriété. Si l'interdiction d'exercer pour le travailleur ne respectant pas l'obligation vaccinale a pour effet de le priver, dans l'attente d'une régularisation de sa situation, des revenus liés à son activité professionnelle, les dispositions instaurant cette interdiction ont opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent, d'une part, du droit de propriété et, d'autre part, du droit à la protection de la santé.

11. S'agissant du grief d'atteinte au principe d'égalité, ou au principe de non-discrimination consacré notamment par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, il y a lieu de rappeler que ces principes ne s'opposent ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il y soit dérogé pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En admettant même que, pour les personnes ne se soumettant pas à l'obligation vaccinale, l'abstention soit motivée par une opinion ou une croyance, l'interdiction d'exercer est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'institue, à savoir la protection de la santé, et ne révèle pas une atteinte excessive et inappropriée à la liberté de conscience, ni une quelconque discrimination.

12. Enfin, à supposer que l'interdiction d'exercer à défaut de respect de l'obligation vaccinale puisse être regardée comme une peine ou une sanction, cette mesure est proportionnée à l'objectif poursuivi. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit ainsi être écarté.

Sur les articles 16, 18, 19 et 20 :

13. Compte tenu de leur objet, les dispositions des articles 16, 18, 19 et 20 de la loi du 5 août 2021 sont manifestement inapplicables à l'égard du litige principal soulevé par M. B, par lequel cet agent du CHU sollicite l'annulation de la décision de suspension prise à son encontre sur le fondement des articles 12, 13 et 14 de ladite loi. Dès lors, la QPC est sur ce point hors de propos.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le mémoire à fin de QPC présenté par M. B ne doit pas donner lieu à transmission au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion.

Fait à Saint-Denis, le 23 février 2023.

Le président,

M.-A. AEBISCHER

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C