Conseil d'Etat

Décision du 23 février 2023 n° 464765

23/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Transports Georges et Schmitt Vrac a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019. Par un mémoire distinct, cette société a également demandé au tribunal administratif de Nancy de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018. Par un jugement n° 2100579 du 14 octobre 2021, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par une ordonnance n° 21NC03215 du 5 avril 2022, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Transports Georges et Schmitt Vrac contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Transports Georges et Schmitt Vrac demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 7 juin 2022, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, la société Transports Georges et Schmitt Vrac conteste le refus qui lui a été opposé par le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Nancy d'annuler le refus du tribunal administratif de Nancy de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Transports Georges et Schmitt Vrac ;

Considérant ce qui suit :

Sur la contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. En vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires, de sorte que, symétriquement, le taux effectif d'imposition à cette cotisation croît en fonction du chiffre d'affaires. Aux termes du I bis de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membre du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 euros ". Aux termes du I de l'article 223 A du code général des impôts : " Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaire () ".

3. La société Transports Georges et Schmitt Vrac soutient que le I bis de l'article 1586 quater précité, en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, porte atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

5. En premier lieu, la société requérante fait valoir que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait, moins élevé, n'est pas justifiée par une différence entre ces sociétés au regard de l'objet de l'imposition, ni par un motif d'intérêt général.

6. Il résulte toutefois des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, de laquelle sont issues les dispositions contestées, qu'en les adoptant, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. A cet égard, la circonstance que le législateur aurait, ainsi que le soutient la société, également poursuivi un objectif de rendement budgétaire, n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte au principe d'égalité devant la loi.

7. En deuxième lieu, la société requérante fait valoir que le I bis de l'article 1586 quater conduirait à l'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises d'entreprises dont le chiffre d'affaires propre se situe entre 152 500 euros et 500 000 euros, qui, en l'absence de ces dispositions, n'y auraient pas été assujetties, ce qui constituerait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

8. Les dispositions issues du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ont pour seul objet de prévoir, pour les sociétés remplissant les conditions de détention pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, des règles particulières de calcul du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I du même article. Elles n'ont, par elles-mêmes, aucune incidence sur l'appréciation du seuil d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, fixé à l'article 1586 ter du code général des impôts, qui s'apprécie au regard du seul chiffre d'affaires réalisé par le contribuable. Si cependant, le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires pour le calcul du dégrèvement prévu par le I de l'article 1586 quater peut soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à un taux effectif non nul des sociétés qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été effectivement imposées à cette cotisation en l'absence d'un tel dispositif, il n'en résulte ni une atteinte au principe d'égalité devant la loi qui ne serait pas justifiée par la poursuite de l'objectif d'intérêt général rappelé au point 6, ni la soumission du contribuable à une charge fiscale excessive au regard de ses capacités contributives.

9. En troisième lieu, la circonstance, à la supposer établie, que le chiffre d'affaires des sociétés en participation ne pourrait, compte tenu de leur absence de personnalité juridique, être consolidé avec celui d'autres entreprises pour l'application des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ne saurait, eu égard à la différence de situation entre ces sociétés et les entreprises dotées de la personnalité juridique, caractériser une rupture d'égalité devant la loi fiscale ou d'égalité devant les charges publiques.

10. Enfin, la circonstance que le législateur n'ait pas prévu que les transactions entre les sociétés membres d'un même groupe fiscal intégré ou remplissant les conditions pour constituer un tel groupe soient neutralisées pour le calcul du chiffre d'affaires consolidé retenu pour déterminer le montant du dégrèvement institué par le I de l'article 1586 quater du code général des impôts, et par suite le taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, est sans incidence sur l'assiette de cet impôt et n'est ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, pas susceptible d'entraîner une double imposition des mêmes sommes. Cette absence de neutralisation, qui s'applique de manière identique à l'ensemble des contribuables entrant dans le champ des dispositions contestées et n'a qu'une conséquence indirecte sur le taux effectif d'imposition, n'est pas davantage de nature à entraîner une rupture d'égalité devant la loi et une rupture d'égalité devant les charges publiques.

11. Il résulte de ce qui précède qu'en regardant comme dépourvue de caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société Transports Georges et Schmitt Vrac, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas entaché son ordonnance d'erreur de qualification juridique des faits. La contestation du refus de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité doit par suite être écartée.

Sur les autres moyens du pourvoi :

12. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

13. Pour demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, la société Transports Georges et Schmitt Vrac soutient que le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Nancy a :

- fait un usage abusif des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ;

- commis une erreur de droit en jugeant les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts compatibles avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

14. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts est rejetée.

Article 2 : Le pourvoi de la société Transports Georges et Schmitt Vrac n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Transports Georges et Schmitt Vrac.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 janvier 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 23 février 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Alianore Descours

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy

Code publication

C