Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 23 février 2023 n° 22/04680

23/02/2023

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 4 - Chambre 10

 

ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2023

 

(n° , 11 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04680 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFMTZ

 

Décision déférée à la Cour :

 

Sur renvoi après cassation - arrêt de la Cour de Cassation en date du 24 Mars 2021 - pourvoi N° R 19-23.136 ayant cassé et annulé partiellement l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 11 juin 2019 (Pôle 2, chambre 5) - N° RG 17/20045

 

Jugement en date du 25 Septembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG N° 16/03660

 

DEMANDERESSE À LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

S.A. ALLIANZ IARD, agissant poursuites et diligences ses représentants légaux, domiciliés ès qualités audit siège

 

[Adresse 1]

 

[Adresse 1]

 

Représentée et assisté à l'audience de Me Julie VERDON de l'ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577

 

DÉFENDEUR À LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

ONIAM - L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES, pris la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

 

[Adresse 4]

 

[Adresse 4]

 

[Adresse 4]

 

[Adresse 4]

 

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

 

Assistée de Me Olivier SAUMON de l'AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082, substitué à l'audience par Le Yana SMITH, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082

 

MINISTERE PUBLIC

 

L'affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis le 06 janvier 2023

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

L'affaire a été plaidée le 10 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

 

Mme Florence PAPIN, Présidente

 

Mme Valérie MORLET, Conseillère

 

M. Laurent NAJEM, Conseiller

 

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur [Y] [K], dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

 

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

 

ARRÊT :

 

- contradictoire

 

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Joëlle COULMANCE, greffier, présente lors de la mise à disposition.

 

*****

 

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE:

 

Mme [Z] a reçu cinq culots sanguins les 12 et 13 octobre 1978, lors d'une cholécystectomie, deux culots sanguins le 27 juin 1981, à la suite d'une césarienne, et trois autres culots le 25 mars 1985, à l'occasion d'une seconde césarienne.

 

Après avoir été informée de sa contamination par le virus de l'hépatite C le 9 novembre 2000, elle a sollicité une expertise qui a conclu que la provenance des cinq culots délivrés en 1978 était inconnue et que les autres culots avaient été délivrés par les centres de transfusion sanguine de [Localité 3] et [Localité 2] (les CTS), alors assurés par la société ALLIANZ IARD.

 

Par décision du 26 septembre 2012, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) a reconnu l'origine transfusionnelle de la contamination de Mme [Z] et l'a indemnisée à hauteur de 60 642 euros.

 

Les 19 juin et 19 septembre 2014, l'ONIAM a sollicité de façon amiable auprès de la société ALLIANZ IARD le remboursement de cette somme en vain.

 

C'est dans ces circonstances que par acte du 25 février 2016, l'ONIAM a assigné l'assureur en paiement de cette somme.

 

Le 25 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

 

- Débouté l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société ALLIANZ IARD ;

 

- Débouté la société ALLIANZ IARD de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- Condamné l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;

 

Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

 

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a interjeté appel du jugement le 31 octobre 2017.

 

Le 11 juin 2019, la cour d'appel de Paris a :

 

-Infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions :

 

Statuant à nouveau et, y ajoutant,

 

- Dit la garantie de la société ALLIANZ IARD acquise à l'ONIAM et condamne la société ALLIANZ IARD à lui payer la somme de 60 642 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, outre la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

 

- Débouté la société ALLIANZ IARD de toutes ses demandes et la condamne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

La société ALLIANZ IARD a formé un pourvoi en cassation.

 

Par un arrêt du 24 mars 2021, la Cour de cassation a :

 

-Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société ALLIANZ IARD à payer à l'ONIAM la somme de 60 642 euros, l'arrêt rendu le 11 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

 

Remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

 

-Condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;

 

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes ;

 

- Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

 

L'ONIAM a saisi la cour d'appel de Paris, autrement composée, le 22 mai 2021.

 

La société ALLIANZ IARD a saisi la cour d'appel de Paris d'une question prioritaire de constitutionnalité le 27 juillet 2021.

 

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 5 janvier 2023, la société ALLIANZ IARD demande à la cour de :

 

- Transmettre à la Cour de cassation, pour que cette dernière renvoie le cas échéant au Conseil constitutionnel, les questions prioritaires de constitutionnalité ainsi libellées :

 

- L'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, qui permet à l'ONIAM ou aux tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, d'exercer un recours en garantie contre l'un quelconque des assureurs des structures ayant fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, dont l'innocuité n'a pas été démontrée, est -il contraire au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce que les recours en contribution que pourrait engager l'assureur ainsi actionné à l'encontre des autres fournisseurs seraient soumis à la démonstration ' en pratique quasi-impossible ' d'une faute et seraient en tout état de cause dépourvus d'efficacité en présence de fournisseurs non identifiés ou non assurés, laissant ainsi définitivement à la charge de l'assureur actionné par l'ONIAM ou les tiers payeurs une part d'indemnisation excédant celle de son assuré '

 

- L'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, qui permet à l'ONIAM ou aux tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, d'exercer un recours en garantie contre l'un quelconque des assureurs des structures ayant fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, dont l'innocuité n'a pas été démontrée, est -il contraire au droit à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce que les recours en contribution que pourrait engager l'assureur ainsi actionné à l'encontre des autres fournisseurs seraient soumis à la démonstration ' en pratique quasi-impossible ' d'une faute et seraient en tout état de cause dépourvus d'efficacité en présence de fournisseurs non identifiés ou non assurés, laissant ainsi définitivement à la charge de l'assureur actionné par l'ONIAM ou les tiers payeurs une part d'indemnisation excédant celle de son assuré '

 

- Ordonner le sursis à statuer jusqu'à la réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

 

Elle fait valoir que les dispositions concernées sont applicables au litige puisque l'ONIAM entend faire supporter par l'assureur l'intégralité des sommes versées à la victime au titre de l'obligation solidaire instituée par l'article 39 précité.

 

Elle souligne que les solutions retenues par la Cour de cassation auraient conduit à ce que l'ONIAM divise ses recours et ne puisse agir contre un seul des assureurs pour la totalité des sommes versées à la victime'; que la loi nouvelle, intervenue pour faire échec à cette jurisprudence, expose l'assureur au risque de devoir supporter la totalité de l'indemnisation.

 

Elle rappelle que les dispositions contestées n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution.

 

Elle fait valoir que les questions posées ne sont pas dépourvues de sérieux'; que l'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 institue une obligation solidaire entre les assureurs des structures ayant administré au moins un produit sanguin à la victime de la contamination'; qu'il en résulte que l'assureur à l'encontre duquel l'action de l'ONIAM ou des tiers payeurs est menée sera exposé au risque d'être condamné à prendre en charge l'intégralité des sommes payées à la victime alors que la responsabilité de son assuré pourrait n'être que partielle et alors même qu'elle repose sur une simple présomption en vertu de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002.

 

Elle relève que l'assureur actionné par l'ONIAM ne pourra pas, quant à lui, se prévaloir de la présomption de cet article 102, institué au seul bénéfice de la victime, et devra démontrer une faute.

 

Elle considère que ce mécanisme méconnaît le droit de propriété et plus particulièrement le droit au respect des biens dont la protection est assurée au niveau constitutionnel par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen - en l'espèce, en faisant supporter aux assureurs les conséquences des agissements de personnes autre que leurs assurés, sans recours effectif à la dette, par le seul jeu d'un recours arbitraire de l'ONIAM ou d'un tiers payeur.

 

Elle expose qu'elle ne se prévaut pas d'une exonération d'avoir à exécuter une obligation contractuelle, puisqu'elle n'est pas contractuellement tenue d'assumer des indemnités relevant d'autres centres de transfusion sanguines assurés.

 

Elle soutient que cette disposition méconnait également la liberté contractuelle en ce qu'elle aboutit à faire jouer la garantie consentie par les assureurs des structures reprises par l'EFS dans des hypothèses qui n'entraient pas dans les prévisions contractuelles. Elle souligne que les assureurs des établissements repris par l'EFS n'ont accepté d'accorder leur garantie à ces structures qu'à la condition que la responsabilité civile de celles-ci soit établie et nullement à d'autres centres fournisseurs.

 

Elle précise que c'est l'étendue du recours en garantie qui est contesté, ce qui relève précisément de l'article 39 et que les atteintes invoquées proviennent bien de la solidarité légale et non de la jurisprudence. Elle expose qu'il est fait grief au législateur d'avoir omis un recours en contribution effectif de l'assureur en contribution à la dette. Elle considère que c'est l'ONIAM qui bénéficie d'un «'effet d'aubaine'» puisqu'il lui est permis de recouvrer l'intégralité de sa créance auprès d'un seul assureur, sans possibilité de recours pour ce dernier.

 

Elle considère que l'article 39 bouleverse de manière brutale l'équilibre des contrats d'assurance et que c'est pour contourner l'absence de recours de l'ONIAM à l'encontre des centres de transfusions sanguines non assurés ou non identifiés, que le législateur a créé une obligation totalement inédite de solidarité entre les assureurs (et non entre les responsables).

 

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 9 janvier 2023, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales demande à la cour de :

 

- Rejeter la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

En conséquence :

 

- Débouter la société ALLIANZ IARD de sa demande de sursis à statuer.

 

Il conteste tout caractère sérieux à la question posée.

 

Il rappelle que l'article 39 de la loi du 14 décembre 2020 est l'aboutissement d'une évolution législative qui a débuté en 1998 dont il retrace l'historique.

 

Il souligne que le Conseil constitutionnel a constaté que les dispositions issues de la loi n°212-404 du 17 décembre 2012, en son article 72, étaient conformes à la constitution.

 

Il précise qu'en vertu des dispositions législatives, il peut demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'EFS, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute et il allègue que le terme «'garantie'» fait référence en réalité à une action directe qu'aurait pu exercer la victime contre l'assureur du responsable, ceci dans une logique de subrogation légale.

 

Il fait valoir que l'atteinte aux droits et libertés visée par la question prioritaire de constitutionalité trouve sa cause dans les articles 102 de la loi du 4 mars 2002 et 72 de la loi du 17 décembre 2021, dont est issu le dernier alinéa de l'article L1221-14 du code de la santé publique validé par le Conseil constitutionnel et non dans l'article 39 de la loi du 14 décembre 2020.

 

Il rappelle qu'il est acquis qu'il est loisible au législateur d'apporter des atteintes à la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme dès lors qu'elles sont proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi.

 

Il allègue que dans le cas présent, l'article 39 visé n'affecte pas les conventions conclues entre les assureurs et les centres de transfusions sanguines, de sorte que le moyen manque par le fait qui lui sert de fondement'; que les dispositions en cause se limitent à restituer au recours créé par la loi du 17 décembre 2012 son véritable objet, celui d'une action directe au profit de l'ONIAM.

 

Il conteste toute modification de l'étendue matérielle ou temporelle de la garantie de l'assureur.

 

Il soutient que l'atteinte alléguée est justifiée par la poursuite d'un intérêt général suffisant, en ce que les dispositions contestées consolident un dispositif visant à faciliter l'indemnisation amiable des victimes, la charge des assureurs ne s'en trouvant d'ailleurs nullement modifiée.

 

Il allègue que c'est à l'assureur d'assumer le risque que le co-responsable ne puisse le rembourser à hauteur de la part contributive de son assuré'; que cela ne concerne qu'un ensemble de cas limités.

 

L'ONIAM fait valoir par ailleurs que l'espérance d'une créance ou de l'exonération d'avoir à exécuter une obligation contractuelle ne constitue pas un bien relevant de la protection du droit de la propriété. Il souligne que l'article 39 ne modifie en rien les obligations contractuelles des assureurs, de sorte qu'il n'y a pas de «'créance suffisamment établie pour être exigible'»'; que la solidarité légale entre les assureurs des responsables d'un même dommage transfusionnel et qui permet à l'ONIAM et aux tiers payeurs d'obtenir le remboursement de la totalité des sommes versées pour l'indemnisation du dommage répond à un motif d'intérêt général.

 

Il considère que le législateur a restitué à l'action directe de l'ONIAM sa vraie nature, qui est de lui permettre d'exercer les droits de la victime en sollicitant le paiement de la dette de responsabilité et soutient que l'assureur ne paie pas plus que si la victime, avant 2008, avait exercé à son encontre l'action directe. Il souligne que le grief concerne bien les conditions dans lesquelles peut s'exercer l'action récursoire contre d'autres responsables ou assureurs et non la restitution à l'ONIAM de l'action que la victime pouvait exercer, de sorte que la violation ne résulte pas des dispositions législatives contestées.

 

Le 6 janvier 2023, le Ministère Public a communiqué son avis par voie électronique.

 

Il demande à la cour de':

 

- Déclarer les deux QPC présentées par la société ALLIANZ irrecevables en l'absence de caractère sérieux';

 

- Ordonner qu'il n'y a pas lieu en conséquence de transmettre lesdites questions à la Cour de cassation.

 

Il soutient que les dispositions soumises à la question prioritaire de constitutionnalité, s'agissant de l'article 39 de la loi du 14 décembre 2020, soit une disposition législative, sont recevables.

 

Il considère que la condition tenant à ce que la disposition contestée soit applicable au litige est remplie, de même que le caractère nouveau des questions posées.

 

Il conteste en revanche le caractère sérieux de la question, faisant valoir :

 

Sur le droit de propriété,

 

- qu'en application de l'interprétation du Conseil constitutionnel de la notion de bien, l'exonération d'avoir à exécuter une obligation ne rentre pas dans le champ du droit de la propriété';

 

- qu'en tout état de cause, l'article 39 se limite à poser le principe d'une condamnation solidaire des assureurs et ne régit en rien les conditions dans lesquelles l'assureur condamné exerce son action récursoire contre les co-responsables et leurs assureurs';

 

- que cet article apparaît conforme au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789';

 

Sur la liberté contractuelle

 

- que l'article 39 permet à l'ONIAM d'agir directement contre les assureurs des centres de transfusions sanguines tenus solidairement'; que les difficultés tenant au recours en contribution à la dette sont étrangères au contenu du contrat'; que cet article n'affecte donc pas les conventions conclues entre les assureurs et les centres de transfusion sanguine';

 

que l'atteinte portée au principe de la liberté contractuelle apparaît en conséquence inexistante';

 

- qu'en tout état de cause, les dispositions contestées ont pour objectif de faciliter l'indemnisation amiable des victimes d'une contamination au titre de la solidarité nationale et de renforcer la sécurité juridique des conditions dans lesquelles l'ONIAM peut exercer en lieu et place de l'EFS une action directe contre les assureurs des anciens centres de transfusion'; qu'en conséquence, l'atteinte au principe de la liberté contractuelle est proportionnée'; qu'en l'état, l'article 39 est conforme à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration de 1789.

 

Il se prévaut d'une jurisprudence de la cour d'appel de Versailles.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT :

 

En application des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique, la juridiction devant laquelle est soulevé un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.

 

Il n'est procédé à cette transmission, que si les conditions cumulatives suivantes sont remplies':

 

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Aux termes de l'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021':

 

« I.- L'article L. 1221-14 du code de la santé publique est ainsi modifié :

 

1° Au septième alinéa, les mots : «, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées » sont remplacés par les mots : « ou lorsque les tiers payeurs ont pris en charge des prestations mentionnées aux 1 à 3 de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ils peuvent directement demander à être garantis des sommes qu'ils ont versées ou des prestations prises en charge » ;

 

2° Après le même septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

 

« L'office et les tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, bénéficient dans le cadre de l'action mentionnée au septième alinéa du présent article de la présomption d'imputabilité dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Les assureurs à l'égard desquels il est démontré que la structure qu'ils assurent a fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, et dont l'innocuité n'est pas démontrée, sont solidairement tenus de garantir l'office et les tiers payeurs pour l'ensemble des sommes versées et des prestations prises en charge. »

 

II.-Le I s'applique aux actions juridictionnelles engagées à compter de du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.'»

 

L'article L. 1221-14 du code de la santé publique issu de cette rédaction dispose désormais que':

 

«'Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa.

 

Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

 

L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-17.

 

La victime dispose du droit d'action en justice contre l'office si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans un délai de six mois à compter du jour où l'office reçoit la justification complète des préjudices ou si elle juge cette offre insuffisante.

 

La transaction à caractère définitif ou la décision juridictionnelle rendue sur l'action en justice prévue au précédent alinéa vaut désistement de toute action juridictionnelle en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices.

 

La transaction intervenue entre l'office et la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article est opposable à l'assureur, sans que celui-ci puisse mettre en 'uvre la clause de direction du procès éventuellement contenue dans les contrats d'assurance applicables, ou, le cas échéant, au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. L'office et l'Etablissement français du sang peuvent en outre obtenir le remboursement des frais d'expertise. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime ou à ses ayants droit leur reste acquis.

 

Lorsque l'office a indemnisé une victime ou lorsque les tiers payeurs ont pris en charge des prestations mentionnées aux 1 à 3 de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ils peuvent directement demander à être garantis des sommes qu'ils ont versées ou des prestations prises en charge par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.

 

L'office et les tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, bénéficient dans le cadre de l'action mentionnée au septième alinéa du présent article de la présomption d'imputabilité dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Les assureurs à l'égard desquels il est démontré que la structure qu'ils assurent a fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, et dont l'innocuité n'est pas démontrée, sont solidairement tenus de garantir l'office et les tiers payeurs pour l'ensemble des sommes versées et des prestations prises en charge.

 

L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré.

 

Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat.'»

 

Le présent litige est soumis aux dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique tel que modifié par l'article 39 précité, de sorte que la première condition de recevabilité de la demande de transmission est remplie.

 

Il n'est pas davantage contesté que le Conseil constitutionnel n'a jamais été saisi de la constitutionnalité de l'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020. La condition tenant à la nouveauté des questions est donc également remplie.

 

Il convient dès lors d'en apprécier le caractère sérieux, troisième condition pour qu'il soit procédé à la transmission sollicitée par la société ALLIANZ IARD.

 

Sur le droit de propriété et le droit au respect des biens

 

La protection matérielle du droit de propriété se fonde sur les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

 

Il convient d'examiner si l'atteinte portée aux conditions d'exercice du droit de propriété est justifiée par des motifs d'intérêt général.

 

Pour la Cour européenne des droits de l'homme, la notion de 'biens' peut recouvrir tant des 'biens actuels' que des valeurs patrimoniales, le cas échéant des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une «'espérance légitime'» d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété. «'L'espérance légitime » résulte de la circonstance que la personne concernée se fonde de façon raisonnablement justifiée sur un acte juridique ayant une base juridique solide et une incidence sur des droits de propriété. (CEDH, 28 septembre 2004, affaire Kopecky c. Slovaquie)

 

La société ALLIANZ IARD fait valoir que par le seul choix de l'ONIAM ou du tiers payeur d'agir à l'encontre d'un assureur, plutôt qu'un autre, ledit assureur se retrouverait contraint d'assumer sans recours l'indemnisation de la totalité du dommage subi par la victime, même si son assuré est possiblement étranger à ce dommage.

 

Cependant, l'exonération d'avoir exécuter une obligation, en l'espèce de ne pas avoir à indemniser, ne saurait entrer dans la définition d'un «'bien'», même entendu largement, susceptible d'entrer dans le champ du droit de la propriété.

 

Le succès d'un recours n'est en outre jamais acquis ' à la différence d'un bien - et relève à l'évidence d'un aléa, compte tenu des règles relatives à l'administration de la preuve.

 

En tout état de cause, l'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, stricto sensu, qui vise à poser le principe d'une condamnation solidaire des assureurs ne dit rien des conditions dans lequel l'assureur exercera une action récursoire à l'encontre des co-responsables et de leurs assureurs. Il en résulte que le reproche de la société ALLIANZ IARD ne trouve pas son fondement dans les dispositions critiquées.

 

Sur la liberté contractuelle

 

La liberté contractuelle découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

 

Ainsi, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration. (Cons. const., 13 janvier 2003 n° 2002-465)

 

Le Conseil constitutionnel avait été saisi de la conformité à la Constitution de l'article 72 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 qui dispose que':

 

«'II.- Le IV de l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

 

« Lorsque l'office a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.

 

« Les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'office si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. »

 

(')'»

 

Le Conseil a notamment considéré que':

 

«'(') le législateur a voulu faciliter l'indemnisation amiable des victimes d'une contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ; qu'à ce titre, il a confié à l'ONIAM le soin d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les victimes de préjudices résultant d'une telle contamination ; qu'il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu renforcer la sécurité juridique des conditions dans lesquelles l'ONIAM peut exercer en lieu et place de l'EFS une action directe contre les assureurs des anciens centres de transfusion sanguine auxquels cet établissement a succédé ; que les dispositions contestées ont pour seul but de permettre à l'ONIAM de bénéficier des garanties prévues par les contrats d'assurance que les structures reprises par l'EFS avaient souscrits et qui sont toujours en vigueur ; qu'ainsi, les dispositions contestées ne modifient pas les conventions légalement conclues et se bornent à renvoyer à l'exécution des contrats déjà souscrits ; que, dès lors, le législateur n'a pas méconnu les exigences découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ni, en tout état de cause, le principe de non-rétroactivité des lois (')'» (Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012).

 

Il s'en évince que les dispositions de l'article 72 répondaient à un impératif d'intérêt général, au titre d'une solidarité nationale, alors reconnu par le Conseil constitutionnel, et surtout, qu'elles ne modifiaient en rien les conventions légalement conclues.

 

S'agissant les dispositions contestées de l'article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, de la même manière, les difficultés liées à la contribution à la dette sont étrangères au contenu du contrat d'assurance'qui demeure inchangé : la charge des assureurs à l'égard de l'ONIAM, correspond à celle qu'ils devaient assumer à l'égard des victimes, qu'il s'agisse de son étendue matérielle (par exemple, ses plafonds de garantie) ou temporelle. Il n'y a aucune modification du contrat.

 

Le recours qu'exerce l'ONIAM ' qui est régi par ces dispositions contestées - est celui qu'aurait pu exercer la victime elle-même, et non le recours que l'assureur exercerait à l'encontre d'un co-responsable. Il n'y a pas de modification de la nature du recours et aucune atteinte à la liberté contractuelle au sens des dispositions de la Déclaration susvisée.

 

Par conséquent, en l'absence du caractère sérieux requis par les dispositions de la loi organique précitée, la demande aux fins de transmission à la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité sera rejetée.

 

PAR CES MOTIFS :

 

Statuant par décision susceptible de recours dans les conditions de l'article 23-2 dernier alinéa de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel';

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité';

 

Rappelle que l'affaire RG 21/9858 est renvoyée à l'audience du 15 mars 2023 pour clôture';

 

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE