Chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins

Décision du 23 février 2023 N° 15715 /QPC

24/03/2023

Non renvoi

N° 15715/QPC

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Dr [D-E H]

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Audience du 23 février 2023

Décision rendue publique

par affichage le 24 mars 2023

LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS,

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 16 décembre 2022, le Dr [D-E H], qualifié spécialiste en médecine générale, demande à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de la décision du 22 juillet 2022 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance du Centre–Val-de-Loire de l’ordre des médecins lui a infligé la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, assortie du sursis de trois mois, de transmettre au Conseil d’Etat en vue de son renvoi au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution :

- de la première phrase du I et des alinéas 3 et 5 du II de l’article L. 4122-3 du code de la santé publique ;

- du I et des alinéas 2 et 4 du II de l’article L. 4124-7 du même code.

Il soutient que ces dispositions portent atteinte :

- au droit à la liberté en général comme droit naturel de l’homme consacré par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en particulier au droit à la liberté d’entreprendre et au droit à la liberté d’association ;

- au droit à la justice et aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration ;

- au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 11 de la Déclaration ;

- à l’article 34 de la Constitution fixant, en partie, le domaine de la loi ;

- au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration et l’article 1er de la Constitution, ainsi qu’au principe d’égalité et d’universalité du suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution ;

- au principe de la légalité des délits et des peines consacré par les articles 7 et 8 de la Déclaration ;

- au droit de concourir personnellement à la formation de la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration ;

- au principe de la souveraineté nationale garanti par les articles 3 de la Déclaration et 3 de la Constitution ;

- au droit à travailler sans discrimination notamment en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances, garanti par l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

- au droit de propriété et au droit de résistance à l’oppression, garantis par l’article 2 de la Déclaration ;

- au principe constitutionnel de fraternité, celle-ci qualifiée d’idéal commun par le préambule de la Constitution et reconnue comme l’une des composantes de la devise de la République par son article 2.

Il soutient, plus particulièrement, que :

- la chambre disciplinaire nationale ne peut pas siéger « auprès du conseil national » ni faire prendre en charge les indemnités allouées aux présidents et présidents suppléants par ledit conseil national sans perdre son impartialité et son indépendance à l’égard de celui-ci ;

- la chambre disciplinaire de première instance ne peut pas siéger « auprès du conseil régional ou interrégional » ni faire prendre en charge les indemnités allouées aux présidents et présidents suppléants par ledit conseil régional où interrégional sans perdre son impartialité et son indépendance à l’égard de celui-ci.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;

- l’ordonnance n° 2017-192 du 16 février 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 23 février 2023 :

– le rapport du [G I] ;

– les observations de Me Simonet pour le [G H] et celui-ci en ses explications.

Le [G H] a été invité à reprendre la parole en dernier.

APRES EN AVOIR DELIBERE,

Considérant ce qui suit :

1. Les dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d’Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et qu’elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes de la première phrase du I de l’article L. 4122-3 du code de la santé publique : « La chambre disciplinaire nationale, qui connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance, siège auprès du Conseil national ». Aux termes du troisième et du cinquième alinéas du même article : « Le montant des indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants des chambres disciplinaires nationales est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé, après consultation de l’ordre./ (…) / Ces indemnités et frais sont à la charge du conseil national ». Aux termes de la première phrase du I de l’article L. 4124-7 : « La chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes, sous réserve des dispositions de l’article L. 4124-10-1, siège auprès du conseil régional ou interrégional et les audiences se tiennent dans le département où siège ce conseil ». Aux termes du troisième et du cinquième alinéas du même article : « Le montant des indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants des chambres disciplinaires de première instance est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé, après consultation de l’ordre. / (…) / Ces indemnités et frais sont à la charge du conseil régional ou interrégional. »

3. Considérant que les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui résultent de l’article 16 de la Déclaration de 1789, sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

4. Le [G H] soutient, en premier lieu, que les dispositions citées au point 2 méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions en ce que les chambres disciplinaires sont composées de membres de l’ordre des médecins, siègent auprès des instances de l’ordre et que celui-ci est donc juge et partie. Il invoque, à ce titre, les dispositions suivantes du code de la santé publique : le quatrième alinéa de l’article L. 4121-2 qui dispose que l’ordre national des médecins accomplit sa mission « par l’intermédiaire des conseils et des chambres disciplinaires de l’ordre » ; le sixième alinéa de l’article L. 4122-2 qui prévoit que le conseil national de l’ordre « valide et contrôle la gestion des conseils » ; le premier alinéa de l’article L. 4122-2-2 qui l’habilite à fixer « les règles générales de fonctionnement applicables à l’ensemble des instances ordinales dans un règlement intérieur » ; le premier alinéa de l’article L. 4123-1, aux termes duquel : « Le conseil départemental de l’ordre exerce, dans le cadre départemental et sous le contrôle du conseil national, les attributions générales de l’ordre, énumérées à l’article L. 4121-2 » ; enfin, la première phrase de l’article L. 4124-11 qui dispose que : « Le conseil régional ou interrégional, placé sous le contrôle du Conseil national, remplit, sur le plan régional, la mission définie à l’article L. 4121-2 ».

5. Toutefois, et contrairement à ce qu’il est soutenu, les dispositions citées au point 4 de l’article L. 4121-2 et auxquelles renvoient les articles L. 4123-1 et L. 4124-11, n’ont pas pour objet de confier au conseil national de l’ordre des médecins ainsi qu’aux conseils régionaux ou départementaux le pouvoir de statuer sur les plaintes formées contre un médecin mais celui de veiller au respect des devoirs professionnels et des règles édictées par le code de déontologie applicables aux médecins soit par la prévention soit par la saisine des chambres disciplinaires, lesquelles ne sont pas des instances ordinales au sens de l’article L. 4122-2-2. De plus, ces dispositions sont issues de l’ordonnance du 16 février 2017 relative à l’adaptation des dispositions législatives relatives aux ordres des professions de santé qui avait précisément pour objet, en application de l’article 212 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre santé, « de réviser la composition des instances disciplinaires des ordres afin de la mettre en conformité avec les exigences d’indépendance et d’impartialité » et qui a, sur le fondement de cette habilitation, organisé une stricte séparation entre les compétences administratives et juridictionnelles de l’ordre.

6. Au surplus, il résulte des paragraphes IV des articles L. 4122-3 et L. 4124-7 du même code, qui font référence aux obligations d’abstention des juges, qu’aucun membre de la chambre disciplinaire nationale ou d’une chambre disciplinaire de première instance ne peut siéger lorsqu’il a eu connaissance des faits de la cause à raison de l’exercice d’autres fonctions ordinales. Quant à l’article L. 4126-2, il ouvre aux parties la faculté de récusation.

7. Il s’ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité en tant qu’elle se réfère aux principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions et en tant qu’elle porte sur les dispositions des articles L. 4122-3 et L. 4124-7 du code de la santé publique qui prévoient que la chambre disciplinaire nationale et la chambre disciplinaire de première instance siègent respectivement auprès du conseil national et auprès du conseil régional ou interrégional, est dépourvue de caractère sérieux.

8. Le [G H] soutient, en second lieu, que la circonstance que les indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants de la chambre disciplinaire nationale et des chambres disciplinaires de première instance sont respectivement à la charge du conseil national et du conseil régional ou interrégional n’est pas un gage d’indépendance.

9. Toutefois, d’une part, le montant de ces indemnités est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé et, d’autre part, la circonstance que la présidence de ces juridictions soit assurée par des membres du Conseil d’État ou des magistrats administratifs est de nature à assurer l’indépendance et l’impartialité nécessaire pour l’exercice de fonctions juridictionnelles.

10. Il s’ensuit qu’en tant qu’elle est relative aux principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions et en tant qu’elle porte sur les dispositions des articles L. 4122-3 et L. 4124-7 du code de la santé publique qui mettent à la charge des instances ordinales les indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants des chambres disciplinaires, la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux.

11. Si le [G H] invoque d’autres droits et libertés que la Constitution garantit, il ne précise pas en quoi les dispositions qu’il conteste leur porteraient atteinte.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le [G H].

PAR CES MOTIFS,

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le [G H].

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Dr [D-E H], au conseil départemental du Cher de l’ordre des médecins, à la chambre disciplinaire de première instance du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des médecins, au directeur général de l’agence régionale de santé du Centre-Val-de-Loire, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de [LOCALITE 1], au conseil national de l’ordre des médecins et au ministre chargé de la santé.

Ainsi fait et délibéré par : M. [J], conseiller d’Etat honoraire, président ; Mmes les Drs [I], [K], [L], MM. les Drs [N], [M], membres.

Le conseiller d’Etat honoraire,

président de la chambre disciplinaire nationale

de l’ordre des médecins

Régis [J]

Le greffier en chef

[A-B C]

La République mande et ordonne au ministre chargé de la santé en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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