Cour administrative d'appel de Bordeaux

Ordonnance du 22 février 2023 n° 23BX00239

22/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Novaem bbtrade, société par actions simplifiée, représentée par Me Coussy, a saisi la cour, le 24 janvier 2023, d'un appel dirigé contre l'ordonnance n°2101308 du 25 novembre 2022 par laquelle le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 19 mars 2021 la mettant en demeure, sous trois mois, de régulariser la situation administrative des installations de mélange et d'ensachage de produits fertilisants qu'elle exploite dans la zone industrielle des Grands Champs à Aigrefeuille-d'Aunis ou, subsidiairement, à ce qu'il lui soit accordé un délai d'au moins un an.

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 janvier 2023, déposé au titre des articles 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et R. 771-3 du code de justice administrative, la société Novaem bbtrade, représentée par Coussy, demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité de l'article 2 de l'ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 et de l'article 3 de l'ordonnance n°2012-37 du 11 janvier 2012, codifiées à l'article L. 171-11 du code de l'environnement, disposant que " les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction ".

Elle soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

- elles sont contraires au principe fondamental des droits de la défense ; en effet, elles ont pour effet que le juge ne se prononce pas sur la légalité de la mise en demeure contestée lorsque celle-ci a été exécutée alors que les illégalités dont elle était entachée a entraîné des préjudices graves ; elle n'a pas été mise en mesure de faire valoir la réalité de ses préjudices ; le juge n'ayant pas statué sur la légalité de la décision, elle ne pourra pas se prévaloir de cette illégalité devant le juge pénal ce qui la prive également de la possibilité de se défendre ; de plus, l'arrêté existe toujours dans l'ordonnancement juridique et peut ainsi produire des effets ; des sanctions pourraient être prises sur le fondement de la décision.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code de l'environnement ;

- le code de procédure pénale ;

- l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 ;

- l'ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En application de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la cour administrative d'appel saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Le 18 mai 2015, le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Novaem bbtrade le récépissé de sa déclaration en vue de l'exploitation d'un atelier de mélange et d'ensachage d'engrais solides, simples et composés, à base de nitrates d'ammonium, d'une quantité totale de 1 200 tonnes, relevant de la rubrique 1331-II-c de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. Cette rubrique ayant été supprimée le 1er juin 2015, il a délivré à la société, le 22 juin 2016, la preuve du dépôt de sa déclaration reclassant son activité dans la rubrique 4702-III-b de la même nomenclature, laquelle limite la quantité totale d'engrais solides, à base de nitrates d'ammonium, pouvant être entreposés à 1 249 tonnes. Au cours du mois d'août 2020, une visite inopinée des installations de la société Novaem bbtrade a établi que cette dernière entreposait plus de 662 tonnes d'engrais composés à base de nitrate d'ammonium susceptibles de subir une décomposition auto-entretenue, non déclarés, relevant au titre de la rubrique 4702-I de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ainsi qu'une quantité de 1 962,5 tonnes d'un mélange d'engrais simples solides à base de nitrate d'ammonium, supérieure à la quantité déclarée de 1 200 tonnes, au titre de la rubrique 4702-III de la même rubrique. Estimant que cette situation était susceptible de présenter de graves dangers et inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, le préfet de la Charente-Maritime, a, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, mis en demeure, le 19 mars 2021, la société Novaem bbtrade de régulariser sous trois mois la situation administrative de ses installations, en respectant le tonnage et le type d'engrais qu'elle était autorisée à détenir. Le 17 mai 2021, la société a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de cette décision ou, à titre subsidiaire, l'allongement du délai de régularisation prescrit par l'administration. Le président de la 1ère chambre du tribunal, constatant qu'un rapport de l'inspection des installations classées du 14 décembre 2021 permettait de retenir que la SAS Novaem bbtrade avait régularisé ses installations au regard des dispositions de l'arrêté de mise en demeure attaqué et, en particulier, qu'elle n'entreposait aucun engrais classé dans la rubrique 4702-I de la nomenclature des installations classées et que la quantité d'engrais classés dans la rubrique 4702-III de cette rubrique stockée sur le site était inférieure à 1 200 tonnes, a jugé que l'exécution complète des mesures et formalités prescrites par cette mise en demeure privait d'objet le recours tendant à son annulation et a prononcé, en conséquence, un non-lieu à statuer sur la demande. La société Novaem bbtrade fait appel de cette ordonnance et présente, dans le cadre de cette instance, une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'article 2 de l'ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 et l'article 3 de l'ordonnance n°2012-34, et non 2012-37 comme elle l'indique par erreur dans ses écritures, du 11 janvier 2012, codifiés à l'article L. 171-11 du code de l'environnement, disposant que : " Les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction ".

3. Les dispositions précitées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et sont applicables au litige.

4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la société requérante soutient que les dispositions critiquées méconnaissent le principe fondamental des droits de la défense dès lors qu'elles ont pour effet de faire obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir des préjudices nés de la mise en demeure, de lui interdire de faire valoir l'illégalité de la mise en demeure devant le juge pénal et de permettre l'intervention de sanctions sur le fondement de cette mise en demeure, maintenue dans l'ordonnancement juridique.

5. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition les droits de la défense et le principe du contradictoire qui en est le corollaire.

6. Il résulte des dispositions de l'article L. 171-11 du code de l'environnement que les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10 de ce code, au titre des contrôles administratifs et mesures de police administrative en matière environnementale, sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient au juge de ce contentieux de pleine juridiction de se prononcer sur l'étendue des obligations mises à la charge des exploitants par l'autorité compétente au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue. Lorsque l'autorité administrative, dans le cas où des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés irrégulièrement, met en demeure l'intéressé de régulariser sa situation, sur le fondement des dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, l'exécution complète des mesures ou formalités prescrites par cette mise en demeure prive d'objet le recours tendant à son annulation, sur lequel il n'y a, dès lors, plus lieu de statuer.

7. Ces dispositions permettent au juge du plein contentieux de l'environnement de constater qu'une mise en demeure entièrement exécutée a épuisé ses effets. Toutefois, ce constat n'a nullement pour effet de faire obstacle à ce qu'un exploitant estimant avoir subi un préjudice du fait de l'illégalité de cette mise en demeure engage une action indemnitaire à l'encontre de l'Etat en invoquant l'illégalité fautive de la mise en demeure. Ce constat ne fait pas davantage obstacle à ce que d'éventuelles sanctions, administratives ou pénales, prises pour des faits antérieurs à l'exécution complète de la mise en demeure, soient contestées devant le juge compétent, le cas échéant au motif de l'illégalité de la décision de mise en demeure, les juridictions pénales étant, en application de l'article 111-5 du code de procédure pénale, " compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ". Enfin, dès lors que la mise en demeure a été entièrement exécutée, elle ne saurait servir de fondement à des sanctions pour des faits postérieurs à l'exécution et les dispositions critiquées ne feraient pas obstacle à ce que l'exploitant conteste de telles sanctions si elles étaient cependant prononcées. Ainsi, la question de la méconnaissance du principe des droits de la défense par les dispositions critiquées ne présente pas un caractère sérieux au sens des dispositions précitées. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Novaem bbtrade au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Novaem bbtrade.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Novaem bbtrade et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.

Fait à Bordeaux, le 22 février 2023.

La présidente,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2 QPC

Code publication

C