Conseil d'Etat

Décision du 21 février 2023 n° 465473

21/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet et 28 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de l'intérieur du 19 mai 2022 refusant de modifier le décret du 7 avril 2022 lui accordant la nationalité française pour y porter le nom de son enfant mineur, A D B ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire produire à sa naturalisation par décret du 7 avril 2022 l'effet collectif au profit de son fils ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Gadiou, Chevallier, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 ;

- la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevalier, avocat de M. B ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B a acquis la nationalité française par un décret du 7 avril 2022. Il a demandé au ministre de l'intérieur de modifier ce décret pour y porter mention de son fils, M. A B, afin de le faire bénéficier de la nationalité française en vertu de l'effet collectif attaché à sa naturalisation. Par une décision du 19 mai 2022, le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de M. B au motif que son enfant résidait habituellement avec sa mère à la date de signature du décret lui accordant la nationalité française. M. B demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

2. Aux termes de l'article 22-1 du code civil : " L'enfant mineur dont l'un des deux parents acquiert la nationalité française, devient français de plein droit s'il a la même résidence habituelle que ce parent ou s'il réside alternativement avec ce parent dans le cas de séparation ou divorce. / Les dispositions du présent article ne sont applicables à l'enfant d'une personne qui acquiert la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration de nationalité que si son nom est mentionné dans le décret ou dans la déclaration ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que s'il est mineur, et qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. M. B soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article 22-1 du code civil portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu'elles ne permettent pas à l'enfant mineur de bénéficier de l'effet collectif de la naturalisation d'un de ses deux parents lorsque celui-ci n'a qu'un droit de visite et d'hébergement, non pas en raison d'un conflit entre les deux parents mais de l'éloignement géographique entre eux.

6. L'article 22-1 du code civil détermine un mode particulier d'acquisition de la nationalité française de plein droit pour les enfants mineurs dont l'un des parents acquiert la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration de nationalité. Le législateur, depuis la loi du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité, a réservé le bénéfice de cette voie d'accès particulière à la nationalité française aux enfants qui résident habituellement en France avec le parent qui acquiert la nationalité française. Par la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité, il en a également ouvert le bénéfice aux enfants qui résident alternativement avec ce parent dans le cas de séparation et de divorce.

7. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit. La différence établie par le législateur entre, d'une part, les enfants ayant leur résidence, habituelle ou alternative, avec le parent qui acquiert la nationalité française et, d'autre part, les enfants ne disposant pas d'une telle résidence, peu important que cette absence de résidence résulte d'un conflit entre les deux parents ou d'un simple éloignement géographique, est en rapport avec l'objet de la disposition qui tient à circonscrire l'acquisition de plein droit de la nationalité française aux seuls enfants qui sont identifiés, à la date d'acquisition de la nationalité par leur parent, comme étant effectivement ses enfants résidant en France avec lui.

8. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le premier alinéa de l'article 22-1 du code civil porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens :

9. En premier lieu, ni les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ni le droit au respect de la vie privée, ni celui de mener une vie familiale normale, protégés l'un et l'autre par celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'impliquent que l'enfant mineur d'une personne ayant acquis la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration de nationalité doive acquérir la nationalité française de plein droit par l'effet de l'acquisition de la nationalité française par ce parent. M. B n'est, dès lors, pas fondé à soutenir, par voie d'exception, que ces stipulations seraient méconnues pour ce motif par les dispositions de l'article 22-1 du code civil, lesquelles n'ont nullement pour effet de faire obstacle à ce que l'enfant mineur qui n'est pas devenu français de plein droit par l'effet de la décision de l'autorité publique ou de la déclaration de nationalité qui a conduit à ce que l'un de ses parents acquière la nationalité française puisse vivre en France avec ce dernier et acquérir ultérieurement la nationalité française.

10. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le décret de naturalisation a été pris, le fils de M. B avait sa résidence habituelle chez sa mère et ne résidait pas alternativement chez son père au sens des dispositions de l'article 22-1 du code civil. La circonstance, au demeurant non établie, que l'enfant aurait eu sa résidence habituelle chez le requérant au moment où celui-ci a demandé sa naturalisation et que cette résidence aurait été changée en raison d'obligations professionnelles est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Le Premier ministre ne pouvait, dès lors, légalement le faire bénéficier de l'effet collectif prévu à l'article 22-1 du code civil à la date à laquelle son père a été naturalisé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de faire droit à sa demande de modification du décret du 7 avril 2022 et de faire bénéficier son fils de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française. Ses conclusions à fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La requête de M. B est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C B et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Code publication

C