Tribunal administratif de Toulouse

Ordonnance du 16 février 2023 n° 2300753

16/02/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 février 2023, M. B A, représenté par Me Hachet, demande au juge des référés :

1°) à titre principal, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative au fait de savoir si " les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route qui incriminent et répriment la conduite d'un véhicule lorsqu'il a été fait usage de stupéfiants, et non lorsque la personne est sous l'influence psychotrope de produits stupéfiants et les dispositions de l'article L. 235-2 qui déterminent les conditions de constatation de l'infraction de conduite d'un véhicule lorsqu'il a été fait usage de stupéfiants, ne méconnaissent pas le principe de la liberté d'aller et de venir protégé par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce que cette limitation n'est, en l'état, ni justifiée, ni proportionnée à l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public, notamment des atteintes à l'intégrité physique des personnes, fixé par le législateur ", pour qu'il examine son caractère sérieux en vue de son renvoi au Conseil constitutionnel et, dans l'attente, sur le fondement des articles 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre les effets de l'arrêté préfectoral du 11 janvier 2023 portant suspension administrative de son permis de conduire ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension des effets de l'arrêté préfectoral du 11 janvier 2023 portant suspension administrative de son permis de conduire, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;

3°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- alors qu'il a fait l'objet le 8 janvier 2023 à 21h15 sur la commune de Gourdon (46300) d'un procès-verbal valant avis de rétention immédiate du permis de conduire pour avoir commis une infraction punie par le code de la route de la peine complémentaire de suspension du permis de conduire pour avoir conduit après avoir fait usage de produits stupéfiants en application de l'article L. 235-1 du code de la route, ni la décision critiquée, ni le procès-verbal de rétention immédiate du permis de conduire ne mentionnent la nature et les taux des stupéfiants détectés et les examens cliniques et analyses biologiques devront être communiqués à la procédure par l'administration ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que le permis de conduire est indispensable à l'exercice de sa profession de chef d'entreprise, président de la société Terra Aquatica employant 35 salariés, dont le siège social est située à Fleurance (32500) soit à plus de 20 km ou 20 minutes en voiture de son domicile sis sur la commune de La Romieu, étant précisé qu'il n'existe aucun transport en commun reliant ces deux communes et qu'en plus de ses fonctions de dirigeant de société qui impliquent nécessairement sa présence physique dans l'entreprise, il exerce également les fonctions de directeur de recherche et développement au sein des trois laboratoires de la société répartis dans divers lieux de la commune de Fleurance ;

- il soutient ne consommer que du " cannabis CBD ", substance parfaitement licite dès lors qu'elle correspond aux critères de l'arrêté du 31 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique, étant précisé qu'il justifie de factures d'achat de cannabis CBD en quantité importante, tant il est vrai qu'âgé de 77 ans et souffrant d'arthrose, il a trouvé un soulagement dans l'utilisation de cette plante qui, n'ayant pas de propriété psychotrope, n'affecte en rien la capacité de conduire de son consommateur ;

- il existe des moyens propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée dès lors, d'une part, que s'il a fait savoir, conformément aux dispositions de l'article R. 235-6 du code de la route qu'il entendait se réserver la possibilité de demander l'examen technique ou l'expertise prévus par l'article R. 235-11 du code de la route et que l'alinéa 3 du même article précise que si la réponse est positive, il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin dans les conditions fixées au II, il n'a, en l'espèce, été procédé à aucun prélèvement sanguin lors du contrôle et, d'autre part, qu'il interroge la constitutionnalité des dispositions des dispositions des articles L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route qui fondent la décision critiquée ;

- si le juge des référés peut, lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est soulevée devant lui, rejeter la demande qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence et décider, ainsi, de ne pas transmettre cette question au Conseil d'Etat, il y a lieu de considérer que la condition d'urgence est remplie puisque l'intérêt de la QPC dépasse l'intérêt du cas d'espèce, les juridictions pénales relaxant les conducteurs de véhicule poursuivis pour des faits de conduite après avoir fait usage de stupéfiants lorsque ceux-ci affirment n'avoir consommé que du cannabis CBD et la presse locale comme nationale s'en faisant écho ;

- ces décisions judiciaires impliquant que les préfets prennent de nombreux arrêtés de suspension de permis de conduire illégaux, la QPC soulevée pourrait être utile à la résolution de difficultés récurrentes et à la solution du contentieux des suspensions administratives et judiciaires des permis de conduire ;

- si le juge des référés devait estimer que la condition d'urgence à ordonner la suspension des effets de la décision critiquée dans le dossier d'espèce, notamment au regard de la gravité des faits et des exigences de la protection et de la sécurité routières ou encore au regard du principe qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur l'existence même d'une infraction mais sur la seule disproportion entre les faits constatés par les services de gendarmerie et la décision administrative contestée, tout en reconnaissant l'existence d'une urgence propre au débat juridique, alors il pourrait suspendre sa décision concernant la suspension des effets de l'acte attaqué à la décision du Conseil d'Etat et, s'il est saisi, à celle du Conseil constitutionnel comme le lui permettent les dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 et la jurisprudence du Conseil d'Etat ;

- ainsi, le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, peut ou ne pas prendre les mesures provisoires sollicitées compte tenu de l'urgence dans la situation du requérant à voir la décision suspendue et de l'urgence dans la situation de l'administration à voir la décision exécutée, tout en transmettant la QPC dont il est saisi et qui est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision ;

- il ressort des articles L. 224-1, L. 224-2, L. 224-9, L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route que la compétence de l'administration en matière de suspension du permis de conduire est caractérisée par l'ingérence du droit pénal et les dispositions des articles L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route qui fondent la décision administrative déférée sont applicables au litige puisque la constitutionnalité de ces textes conditionne la validité de l'arrêté préfectoral contesté et ces dispositions n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision du Conseil constitutionnel sauf changements de circonstances, sachant, d'une part, que l'article L. 235-1 a été modifié, la possibilité d'établir l'usage de stupéfiants par une analyse sanguine ou salivaire et non plus simplement sanguine constituant un changement des circonstances au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 et, d'autre part, que l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités de dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route a abrogé l'arrêté du 5 septembre 2001 modifié et baissé les taux de détection de certains produits stupéfiants ;

- par ailleurs, la cour de justice de l'Union européenne ayant, dans une décision du 19 novembre 2020, relevé que le CBD en cause au principal ne constituait un stupéfiant au sens de la convention unique et qu'il n'apparaissait pas avoir d'effet psychotrope et d'effet nocif sur la santé humaine sur la base des données scientifiques disponibles, la chambre criminelle de la cour de cassation a su tirer les conséquences de cette jurisprudence et les juridictions du fond ont été amenées à relaxer les commerçants en CBD poursuivis au titre de la législation des stupéfiants ;

- toutefois, en application des dispositions de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique, l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants classe comme tels, sans faire mention du cannabidiol (CBD), le cannabis et la résine de cannabis sans distinction entre les variétés de la plante et, dès lors, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 463256 du 29 décembre 2022, le cannabis, quelle que soit sa variété, reste formellement un stupéfiant, étant toutefois précisé qu'aux termes de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique sont autorisées la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation à des fins industrielles et commerciales, de variétés de cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés, le Conseil d'Etat ayant précisé que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées quand leur concentration en delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas supérieure à 0,30 % ;

- par ailleurs, dans ses décisions QPC des 7 janvier et 11 février 2022, le Conseil constitutionnel a retenu que la notion de stupéfiants désigne des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé ;

- de plus, au-delà du changement des circonstances de droit rappelées ci-dessus, il y a lieu de considérer que la modification des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées au regard du nombre de condamnations pour dépistage positif au volant qui a déjà augmenté de 75 % entre 2016 et 2019 dont la tendance ne peut que s'accélérer avec la simplification des dépistages alors que la doctrine s'interroge sur le fait de continuer à sanctionner indistinctement tous les usagers même lorsque leur consommation est ancienne et sans influence sur la conduite ;

- l'augmentation significative des procédures judiciaires et donc des suspensions administratives de permis de conduire qui leur sont liées exige donc un réexamen de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route ;

- si l'arrêté déféré ne précise pas la nature des stupéfiants consommés, il précise que le dépistage réalisé aurait fait état, d'après les agents verbalisateurs, de trace de cannabis sans autres précisions alors que le terme cannabis a fait l'objet de précisions depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités de dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, étant précisé que dans la mesure où cet arrêté a été promulgué antérieurement à la nouvelle réglementation du cannabis, cet arrêté ne peut plus fonder la mesure administrative déférée ;

- enfin, l'arrêté contesté, d'une part, ne précise pas à quelle date celui-ci a été transmis au Parquet et sa notification a été effectuée par lettre simple et, d'autre part, indique que le permis suspendu a été délivré par la préfecture de Bordeaux alors qu'il l'a été par la préfecture d'Auch.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête n° 2300761, enregistrée le 9 février 2023, par laquelle M. A demande l'annulation de l'arrêté du 11 janvier 2023 susmentionné.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". L'article L. 522-3 du même code dispose : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 " et, enfin, aux termes de l'article R. 522-8-1 dudit code : " Par dérogation aux dispositions du titre V du livre III du présent code, le juge des référés qui entend décliner la compétence de la juridiction rejette les conclusions dont il est saisi par voie d'ordonnance." .

2. A cet égard, aux termes de l'article R.312-8 du code précité : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions. () et aux termes de l'article R. 221-3 de ce code : " Le siège et le ressort des tribunaux administratifs sont fixés comme suit : () Toulouse : Ariège, Aveyron, Haute-Garonne, Lot, Tarn, Tarn-et-Garonne ; () ".

3. M. A demande la suspension de l'exécution de l'arrêté en date du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Lot a prononcé pour une durée de cinq mois la suspension de son permis de conduire à la suite d'une infraction relevée à son encontre le 8 janvier 2023 à 20h00 à Gourdon/46/Vezes. En application des dispositions précitées de l'article R. 312-8 du code de justice administrative, le présent litige relève de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence de la personne qui a fait l'objet de la mesure de police attaquée au jour de cette décision. Ainsi, la requête de M. A, qui demeurait, à la date de la décision litigieuse à La Romieu dans le département du Gers, ne relève pas de la compétence territoriale du tribunal administratif de Toulouse et ne peut, dès lors, qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en application de l'article R. 522-8-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Fait à Toulouse, le 16 février 2023.

La présidente, juge des référés,

Isabelle Carthé Mazères

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme :

Le greffier en chef.

Code publication

D