Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 9 février 2023 n° 2005883

09/02/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er juillet 2020, 9 septembre 2022 et 26 décembre 2022, M. B A, représenté par Me Sabado, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 22 mai 2020 par laquelle la société La Poste a confirmé sa décision de lui appliquer la règle du " trentième indivisible " pour des faits de grève d'une heure le 21 décembre 2019 ;

2°) d'enjoindre à la société La Poste de lui verser le salaire de la journée illégalement prélevé, diminué de la fraction du salaire correspondant à l'heure de grève ;

3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'une erreur de droit, dès lors que la règle dite du " trentième indivisible " n'est pas applicable aux fonctionnaires de la Poste, le paiement des jours de grève étant régi par les dispositions de l'article L. 2512-5 du code du travail ;

- elle méconnaît le principe d'égalité des traitements des personnels de la Poste, dès lors que la différence de traitement en matière de paiement des jours de grève entre les fonctionnaires et les salariés de droit privé ne repose sur aucun motif ;

- elle méconnaît l'exercice du droit de grève, tel que garantie par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, puisque l'application de la règle du " trentième indivisible " aux agents publics autre que les agents de l'État et des établissements publics administratifs a été jugée anticonstitutionnelle par le Conseil constitutionnel ;

- elle méconnaît le paragraphe 4 de l'article 6 de la charte sociale européenne, dès lors qu'elle implique une retenue sur son salaire qui est disproportionnée par rapport aux faits de grèves.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 décembre 2022, la société La Poste conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.

Par une ordonnance du 26 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la charte sociale européenne, signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 62-765 du 8 juillet 1962 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de Mme Monteagle, rapporteure,

-les conclusions de M. Lebdiri, rapporteur public,

- les observations de M. A, présent,

- et les observations de Me Tastard, représentant la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, fonctionnaire employé au sein de l'entreprise La Poste, a fait grève pendant une heure le 21 décembre 2019. Son employeur lui a prélevé un trentième de son traitement en conséquence. Par un courrier du 29 avril 2020, M. A a demandé à La Poste que ne lui soit retirée qu'une heure de sa rémunération, demande qui a été rejetée le 22 mai 2020 par son employeur. M. A demande l'annulation de cette dernière décision.

2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, qui comportent des dispositions spécifiques dans les conditions prévues aux alinéas ci-après, ainsi qu'à l'article 29-1 ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que de la performance collective des services. S'y ajoutent les prestations familiales obligatoires ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 de finance rectificative pour 1961, dans sa version issue de la loi du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d'ordre social : " Le traitement exigible après service fait, conformément à l'article 22 (premier alinéa) de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires est liquidé selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique. / L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. / Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements./ Les dispositions qui précèdent sont applicables au personnel de chaque administration ou service doté d'un statut particulier ainsi qu'à tous bénéficiaires d'un traitement qui se liquide par mois". Aux termes de l'article 1er du décret du 6 juillet 1962 portant règlement sur la comptabilité publique en ce qui concerne la liquidation des traitements des personnels de l'État : " Les traitements et les émoluments assimilés aux traitements () se liquident par mois et sont payables à terme échu. Chaque mois, quel que soit le nombre de jours dont il se compose, compte pour trente jours. Le douzième de l'allocation annuelle se divise, en conséquence, par trentième ; chaque trentième est indivisible ".

4. Il résulte de ces dispositions, applicable aux fonctionnaires de l'État, que l'absence de service fait pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappé d'indivisibilité, c'est-à-dire au trentième de la rémunération mensuelle.

5. Il résulte des dispositions citées au point 2 que les fonctionnaires employés au sein de la société La Poste se voient appliquer les dispositions des lois susvisées du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984 applicables aux fonctionnaires de l'État, lorsque leur statut particulier n'y déroge pas. Par conséquent, et dès lors qu'il est constant que M. A a fait une heure de grève le 21 décembre 2019, la société La Poste pouvait, en application des dispositions citées au point 3 applicables aux fonctionnaires de l'État, opérer une retenue d'un trentième de son salaire mensuel. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, M. A ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance du principe d'égalité entre agents de droit public et agents de droit privé de la société La Poste, dès lors que les premiers agents, qui restent régis, du fait même de leur option en faveur du maintien de leur statut de droit public, par leur statut antérieur, sont dans une situation différente de celle des salariés de droit privé de la société. Son moyen ne peut donc qu'être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

8. M. A soutient que les dispositions citées au point 4, portent atteinte au principe du libre-exercice du droit de grève, garanti par le 7ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Toutefois, en vertu des dispositions rappelées au point 7 du présent jugement, de tels moyens sont irrecevables faute d'avoir été présentés dans un mémoire distinct et motivé et doivent, pour ce motif, être écartés.

9. En dernier lieu, l'article 6 relatif au droit de négociation collective de la charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996 stipule que " En vue d'assurer l'exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties () reconnaissent: () / 4 le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d'intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur ".

10. Eu égard aux termes dans lesquelles elles sont rédigées, les stipulations du paragraphe 4 de l'article 6 de la charte sociale européenne laissent une marge d'appréciation aux États parties à cette convention internationale et requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers. Elles sont, en conséquence, dépourvues d'effet direct. Par suite, M. A ne peut utilement invoquer leur méconnaissance à l'encontre de la décision attaquée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'annulation de la requête de M. A doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

12. D'une part, il n'y a pas lieu, de mettre à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais liés à l'instance et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A la somme demandée par La Poste au titre des mêmes frais.

Par ces motifs, le tribunal décide :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société La Poste présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à la société La Poste.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Van Muylder, présidente,

Mme C et M. D, premiers conseillers,

Assistés de Mme Nimax, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2023.

La rapporteure,

signé

M. CLa présidente,

signé

C. Van Muylder

La greffière,

signé

S. Nimax

 

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 2005883

Code publication

C