Cour d'Appel de Dijon

Arrêt du 9 février 2023 n° 20/00024

09/02/2023

Non renvoi

KG/CH

 

[B] [P]

 

C/

 

CAISSE D'ALLOCATION FAMILALE DE SAONE ET LOIRE

 

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE DIJON

 

CHAMBRE SOCIALE

 

ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023

 

MINUTE N°

 

N° RG 20/00024 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FM5T

 

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de MACON, décision attaquée en date du 26 Décembre 2019, enregistrée sous le n° 19/00097

 

APPELANTE :

 

[B] [P]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 4]

 

représentée par Me Lionel COUTACHOT, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

 

INTIMÉ :

 

CAISSE D'ALLOCATION FAMILALE DE SAONE ET LOIRE

 

[Adresse 1]

 

[Localité 3]

 

représentée par Mme Sylvia PETIT-BIGUEURE (Chargé d'audience) en vertu d'un pouvoir général

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

 

Olivier MANSION, Président de chambre,

 

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

 

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

 

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

 

ARRÊT : rendu contradictoirement,

 

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

 

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE

 

La caisse d'allocations familiales de Saône-et-LOire (la CAF) a adressé à Mme [P] une mise en demeure le 10 décembre 2018 pour le montant de 8 923,01 euros correspondant à un indû d'allocation de complément de libre choix d'activité pour la période du 1er octobre 2014 au 29 juillet 2016.

 

Le 1er février 2019, la CAF a émis une contrainte à l'encontre de Mme [P] pour le montant de 8 923,01 euros.

 

Par requête en date du 13 février 2019, Mme [P] a formé opposition à cette contrainte devant le pôle social du tribunal de grande instance de Mâcon et a présenté une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Par ordonnance en date du 26 décembre 2019, le juge délégué par le président du tribunal de grande isntance de Mâcon a :

 

- déclaré le moyen d'inconstitutionnalité soulevé par Mme [P] irrecevable en la forme,

 

- rappelé n'y avoir lieu à condamnation aux dépens.

 

Par jugement en date du 26 décembre 2019, ce tribunal a :

 

- déclaré Mme [P] recevable en son opposition,

 

- validé la contrainte émise le 1er février 2019 par la CAF, notifiée à Mme [P] par lettre recommandée avec accusé de réception dûment signé le 7 février 2019 pour un montant de 8 923,01 euros pour la période du 1er octobre 2014 au 31 juillet 2016,

 

- condamné Mme [P] à payer la somme de 8 923,01 euros,

 

- débouté la CAF de Saône-et-Loire de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- débouté Mme [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- condamné Mme [P] aux dépens de l'instance.

 

Par déclaration enregistrée le 2 janvier 2020, Mme [P] a relevé appel de ces décisions.

 

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [P] demande à la cour de :

 

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Mâcon, pôle social, daté du 26 décembre 2019 en ce qu'il a :

 

- rejeté l'annulation de la contrainte en date du 1er février 2019,

 

- rejeté la demande de débouter la CAF de toute demande de répétition de l'indu,

 

- rejeté sa demande de la rétablir dans l'intégralité de ses droits et condamner la CAF à lui payer la somme de 9 256,25 euros,

 

- omis de statuer à titre subsidiaire, s'il était retenu que sa situation correspond à une cessation partielle d'activité professionnel et, à ce titre, sur la demande de la rétablir dans l'intégralité de ses droits et condamner la CAF à lui payer la somme de 5 786,23 euros,

 

statuant à nouveau,

 

- annuler la contrainte en date du 1er février 2019,

 

- débouter la CAF de toute demande de répétition d'indû,

 

- la rétablir dans l'intégralité de ses droits et condamner la CAF à lui payer la somme de 9 256,25 euros de reliquats de droits,

 

subsidiairement,

 

- s'il était retenu que sa situation correspond à une cessation partielle d'activité professionnelle, la rétablir dans le reliquat de ses droits et condamner la CAF à lui payer la somme de 5 786,23 euros,

 

à titre infiniment subsidiaire,

 

- surseoir à statuer du chef de la question prioritaire de constitutionnalité à former quant à la rupture d'égalité de traitement et devant les charges publiques au préjudice des travailleurs non-salariés du fait de l'application défendue par la CAF des dispositions de l'article 531-4 du code de sécurité sociale aux gérants relevant de ce régime,

 

en toute hypothèse,

 

- condamner la CAF aux entiers dépens à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Par conclusions distinctes aux fins de question prioritaire de constitutionnalité (éventuelle) reçues au greffe le 11 mai 2022, Mme [P] indique qu'elle a satisfait au formalisme exigé par les dispositions de l'article 126-2 du code de procédure civile en déposant un écrit distinct et motivé et pose la question prioritaire de constitutionnalité suivante à transmettre : "relative à l'interprétation par la caisse d'allocation familiale des dispositions de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale qui exclurait du bénéficie du complément de libre choix d'activité les mères affiliées au régime des travailleurs non salariés".

 

Par ses dernières écritures concernant la question prioritaire de constitutionnalité formée par Mme [P] notifiées reçues à la cour le 25 mars 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la CAF demande à la cour de :

 

- refuser la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

 

Elle maintient oralement sa demande de confirmer le jugement en date du 26 décembre 2019.

 

Le Ministére public s'est borné à viser la question prioritaire de constitutionnalité le 13 octobre 2022.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

 

MOTIFS

 

- Sur la question prioritaire de constitutionnalité

 

Mme [P] demande à la cour de déclarer recevable la question prioritaire de constitutionnalité et de transmettre ladite question au conseil constitutionnel.

 

Elle pose la question suivante : "défaut de conformité de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale notamment, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 1er, 6 et 13) au Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 (alinéa 1er et 11), à la constitution du 4 octobre 1958 (préambules, articles 1er et 2)" à savoir l'interprétation de la caisse sur les dispositions de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale crée-t-elle une rupture d'égalité entre les mères relevant du régime général et les mères affiliées au régime des travailleurs non salariés ''

 

Mme [P] soutient qu'il existe une rupture d'égalité dans la mesure où la caisse exclut du bénéfice du complément du libre choix d'activité les mères affiliées au régime des travailleurs non salariés et qui sont gérantes d'une société.

 

La caisse fait valoir que le texte susvisé ne fait aucune distinction entre travailleurs indépendants et salariés et que la condition pour bénéficier de cette allocation est une absence d'activité professionnelle, que Mme [P] n'a pas justifié ses revenus et ne peut bénéficier du complément d'activité à taux partiel.

 

L'article L 531-4 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2015, dispose que :

 

" I. - 1. La prestation partagée d'éducation de l'enfant est versée à taux plein à la personne qui choisit de ne plus exercer d'activité professionnelle pour s'occuper d'un enfant ou qui suit une formation professionnelle non rémunérée.

 

Les conditions d'assimilation d'un mandat d'élu à une activité professionnelle au sens de l'alinéa précédent sont définies par décret.

 

2. La prestation est attribuée à taux partiel à la personne qui exerce une activité ou poursuit une formation professionnelle rémunérée, à temps partiel. Son montant est fonction de la quotité de l'activité exercée ou de la formation suivie. Les quotités minimale et maximale de l'activité ou de la formation sont définies par décret.

 

La prestation à taux partiel est attribuée au travailleur non salarié en fonction de la quotité d'activité déclarée sur l'honneur, dès lors que cette activité ne lui procure pas une rémunération mensuelle nette ou un revenu professionnel excédant des montants définis par décret. La prestation à taux partiel peut également être attribuée lorsque la rémunération ou le revenu perçus sont supérieurs à ces montants, dès lors qu'ils sont proportionnels à la réduction de l'activité déclarée.

 

Les modalités selon lesquelles cette prestation à taux partiel est attribuée aux élus locaux sont adaptées par décret.

 

Cette prestation à taux partiel est attribuée au même taux pendant une durée minimale déterminée par décret. Il ne peut y avoir révision de ce taux au cours de cette durée qu'en cas de cessation de l'activité ou de la formation."

 

Tout d'abord, il convient de dire que la question soulevée par Mme [P] est conforme sur la forme, ayant adressé un écrit motivé distinct des mémoires et conclusions des parties.

 

Puis, au fond, ces dispositions sont applicables au litige en cours puisque la disposition législative contestée, dans sa rédaction en vigueur à la date d'exigibilité des cotisations faisant l'objet d'une mise en demeure litigieuse, est applicable au litige.

 

Ces dispositions n'ont pas été déclarées conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

 

Au regard des textes visés, il n'y a pas de rupture d'égalité car la loi prévoit d'une part, aucune distinction entre les mères affiliées au régime général et les mères travailleurs indépendants et, d'autre part, subordonne le bénéfice du complément de libre choix d'activité à l'absence d'activité professionnelle tout en précisant que l'allocation peut être attribuée à taux partiel à la personne qui excerce une activité ou poursuit une formation professionnelle rénumérée à temps partiel.

 

En conséquence, la différence de traitement est justifiée par des situations précises ce qui exclut la rupture d'égalité invoquée.

 

La question n'est donc pas sérieuse et ne sera pas transmise à la cour de cassation.

 

- Sur la contrainte

 

- sur la recevabilité de la contrainte

 

Mme [P] estime que la contrainte est nulle dans la mesure où la motivation portée sur les mises en demeure et la contrainte est erronnée par la mention "absence de réponse à la demande d'informations complémentaires du 29 juillet 2016" alors qu'elle a communiqué les justificatifs de ses revenus.

 

Il est constant que la mise en demeure et la contrainte doivent avoir les mentions nécessaires pour que le débiteur puisse avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de ses obligations, ce qui est le cas en l'espèce pour les mises en demeure du 14 octobre 2016 et du 10 décembre 2018 et la contrainte du 1er février 2019.

 

Si la CAF a porté la mention "absence de réponse à la demande d'informations complémentaires du 29 juillet 2016", c'est qu'elle considérait que les éléments fournis ne correspondaient pas aux critères exigés (déclarations tardives et incohérentes) pour remettre en cause l'indû réclamé .

 

Ce moyen est inopérant et ne peut fonder l'annulation de la contrainte.

 

La contrainte est régulière dans la forme et le jugement sera donc confirmé de ce chef.

 

- sur le bien fondé de la contrainte

 

Mme [P] soutient que sa qualité de gérante non rémunérée ne peut l'exclure du bénéfice de l'allocation de complément de libre choix d'activité.

 

La CAF estime que Mme [P] n'a pas justifié son absence d'activité professionnelle alors qu'elle est gérante d'une société.

 

L'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale prévoit que le complément de libre choix d'activité de la prestation d'accueil du jeune enfant est attribué à taux plein aux personnes qui ont choisi de ne plus exercer d'activité professionnelle ou à taux partiel à celles qui exercent une activité à temps partiel.

 

Il n'est pas contesté que Mme [P] est gérante majoritaire de la société [5] depuis novembre 2009 et qu'elle a déclaré aux services fiscaux au titre de l'année 2014 le montant de 7 000 euros correspondant à des dividendes.

 

Le gérant majoritaire d'une société gère les activités de la société aussi bien les actes d'administration, que de disposition des biens de la société et il s'agit bien d'une activité professionnelle, peu importe la rénumération ou pas de la gérante.

 

Cependant, Mme [P] peut bénéficier du complément de libre choix d'activité à taux partiel selon les dispositions du paragraphe 2 de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale dans la mesure où elle justifie d'une activité professionnelle à temps partiel au vu de sa déclaration fiscale de l'année 2014 (7 000 euros) représentant 30% de son activité professionnelle de l'année précédente.

 

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

 

Les droits de Mme [P] à ce titre seront recalculés par la CAF sur la période d'octobre 2014 à octobre 2016 et dans les conditions posées aux articles L 531-4, R 531-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

 

- Sur les autres demandes

 

Mme [P] conteste le quantum de la somme réclamée en soutenant qu'elle aurait dû bénéficier de l'allocation jeune enfant d'un montant plus élevé.

 

Cette demande est irrecevable puisqu'elle correspond à une prétention nouvelle qui n'a pas été soumise aux premiers juges.

 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la CAF à verser à Mme [P] la somme de 1 500 euros.

 

La CAF supportera les dépens d'appel.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant par décision contradictoire,

 

- Dit n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée : "défaut de conformité de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale notamment, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 1er, 6 et 13) au Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 (alinéa 1er et 11), à la constitution du 4 octobre 1958 (préambules, articles 1er et 2)" à savoir l'interprétation de la caisse sur les dispositions de l'article L 531-4 du code de la sécurité sociale crée-t-elle une rupture d'égalité entre les mères relevant du régime général et les mères affiliées au régime des travailleurs non salariés '" à la Cour de cassation,

 

- Infirme le jugement en date du 26 décembre 2019,

 

Statuant à nouveau :

 

- Dit que Mme [P] bénéficie du complément de libre choix d'activité à taux partiel,

 

- Dit que la caisse recalculera les droits de Mme [P] sur la période d'octobre 2014 à octobre 2016 et dans les conditions posées aux articles L 531-4, R 531-1 et suivants du code de la sécurité sociale,

 

Y ajoutant :

 

- Dit irrecevable la demande de Mme [P] sur le calcul de ses droits concernant l'allocation jeune enfant,

 

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse d'allocations familiales de Saône-et-Loire (CAF) à verser à Mme [P] la somme de 1 500 euros,

 

- Condamne la caisse d'allocations familiales de Saône-et-Loire aux dépens d'appel.

 

Le greffier Le président

 

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION