Tribunal administratif de Polynésie Française

Jugement du 7 février 2023 n° 2200329

07/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er et 26 août, 19 septembre et 28 octobre 2022 et 20 décembre 2022, M. M K, M. O K, M. P K et M. Q K, représentés par Me Bourion et Me Boussier, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler l'arrêté n° 1167 CM du 5 juillet 2022, publié le 12 juillet suivant au journal officiel de la Polynésie française, édicté par le président de la Polynésie française et le ministre des finances, de l'économie, en charge de l'énergie, de la protection sociale généralisée, de la coordination de l'action gouvernementale et des télécommunications, fixant le prix de cession des quinze parts sociales numérotées 1 à 15 de M. F K dans la Scp " Office Notarial Bernard K et Alexandre A, notaires associés ", à 14 002 291 F CFP ;

2°) d'enjoindre au conseil des ministres de procéder à une nouvelle instruction du dossier ainsi qu'à une nouvelle fixation du prix de cession des parts sociales susmentionnées ;

3°) de mettre dans la cause, pour observations, la chambre des notaires de Polynésie française ;

4°) de mettre à la charge de M. A la somme de 1 198 343 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la requête est recevable ;

- la Scp ne démontre pas l'intérêt qu'elle aurait à s'opposer à l'annulation de l'arrêté litigieux et l'ensemble de ses demandes doit donc être écarté des débats ;

- il n'est pas démontré que le ou la signataire de la décision bénéficie valablement d'une délégation de signature lui permettant de signer en lieu et place du ministre des finances ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les articles L. 211-2 et L. 211-6 du code des relations entre le public et les administrés en ce qu'il ne motive nullement la façon dont la fixation du prix de cession des parts sociales a été effectuée ; ils devaient au moins être à même de comprendre les modalités de fixation de ce prix ;

- l'arrêté en litige a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que le principe du contradictoire a été méconnu à défaut de production préalable des rapports d'expertise comptable établis sur la base des seuls éléments transmis par M. A et dissimulés à la succession de M. F K ;

- l'arrêté litigieux se fonde notamment sur la lettre de " Me Usang du 18

février 2022 " qui a été adressée au cabinet de Me Bourion ; or, les consorts K n'ont jamais élu domicile chez Me Bourion et cette lettre est donc inefficiente pour pallier la méconnaissance du respect du contradictoire auquel M. A était tenu ;

- l'évaluation des parts par l'acte attaqué est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; le 16 décembre 2013, une convention était signée entre Me K, M. H E et M. J A dans laquelle la valeur de l'office notarial avait été évaluée à la somme de 220 000 000 F CFP ; dans son projet de rapport du mois de février 2022, l'expert judiciaire, M. B, a valorisé les parts sociales à hauteur de 203 680 414 F CFP ; une évaluation finale également basse des parts de M. F K, ne représentant même pas la moitié de la valeur totale de l'office est impensable ; il est d'autant plus difficile de comprendre la méthode d'évaluation qui a été effectuée lorsque le seul rapport d'expertise dont ils ont eu finalement connaissance est celui de l'expert judiciaire précité, évaluant les parts sociales de M. K à la somme de 101 840 207 F CFP CFP, soit 7 fois plus que la somme retenue par le conseil des ministres deux mois plus tard ; la valorisation de l'office notarial est réelle d'autant plus que l'article LP 36 de la loi du pays n° 2018-25 du 25 juillet 2018 prévoit la taxation des cessions d'offices, et, par conséquent, reconnaît tacitement leur vénalité ; au regard du rapport de l'expert judiciaire, le conseil des ministres a commis une erreur d'appréciation dans la fixation du prix de cession, bien inférieure à l'évaluation comptable effectuée ; il est flagrant que le Pays a été trompé par M. A ; la cession des parts est bien réelle et une libéralité ne se présume pas ; la convention précitée du 16 décembre 2013 portant création d'une SCP entre Me Bernard K et MM. A et E, qui propose une tranche de valeur se rapprochant de celles effectuées par l'expert judiciaire et le cabinet Audit et Conseil, participe à un faisceau d'indice de l'évaluation réelle des parts et n'a pas lieu d'être exclue du débat ; à titre indicatif, le produit brut de l'étude notariale est de 270 000 000 F CFP depuis 2016 ; l'erreur manifeste d'appréciation apparaît encore plus évidente après la lecture des quatre rapports d'expertise sur lesquels l'administration s'est fondée ; le prix fixé en conseil des ministres et décidé dans l'arrêté litigieux est la reprise arbitraire d'un seul de ces rapports, celui du cabinet FIDECO du 29 octobre 2021 ; il convient d'écarter le rapport du cabinet d'expertise comptable Moral-Oudet du 28 octobre 2020 dès lors qu'il ne se fonde que sur l'exercice 2018, non représentatif de l'activité de la SCP, ainsi que le rapport précité du cabinet FIDECO dont la méthodologie est incohérente au regard de l'exercice comptable de référence de 2020, soit trois ans après le décès de M. K, alors que le rapport du cabinet Audit et Conseil du 20 mai 2022, s'il se fonde également sur le résultat comptable de 2020, effectue pourtant un calcul radicalement différent des parts sociales ; le rapport d'expertise judiciaire précité de M. B a permis d'établir une évaluation dans le respect de la règlementation polynésienne applicable et fondée sur les bilans comptables les plus pertinents, soit à partir des exercices 2016 et 2017 de la SCP, ce qui permet de fixer une date de valorisation au plus près de la date de cession ou de décès de l'associé ; l'évaluation de cet expert apparaît cohérente au regard des autres éléments d'évaluation versés aux débats ;

- la chambre des notaires de Polynésie française n'ayant pas été consultée à propos de la fixation du prix des parts sociales par le conseil des ministres, il convient de l'appeler dans la cause ; cette exclusion de la chambre des notaires est " délétère " et vient à l'appui des moyens tenant à l'annulation de l'arrêté litigieux pour erreur manifeste d'appréciation et défaut de motivation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 août, 3 septembre et 28 décembre 2022, M. N J A et la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A ", représentés par Me Usang, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 550 000 F CFP soit mise à la charge des consorts K au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir notamment qu'à défaut de convenir d'un prix de cession, le conseil des ministres a fixé le prix " après avis d'experts ", que les requérants ne peuvent utilement se fonder sur la convention du 16 décembre 2013 portant création d'une SCP entre Me Bernard K et MM. A et E d'autant que cette convention, soumise au demeurant à l'exécution de conditions suspensives, est devenue caduque par la création de la SCP K et A et par l'article 4 de l'arrêté n° 1499 CM du 31 août 2017 mettant fin à la nomination de Me K en qualité de seul notaire, qu'ils ne démontrent rien sauf à indiquer l'existence de trois rapports d'évaluation et, qu'à la date du 1er décembre 2017, jour du décès de Me K, ses parts sociales ne valaient rien dès lors que l'activité de la SCP a commencé le 1er octobre 2018 en vertu d'un jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 18 septembre 2018. Ils indiquent en outre que le mémoire signé par le président de la chambre des notaires de la Polynésie française est irrecevable dès lors que la chambre des notaires n'a jamais statué sur la question dont elle est saisie et que le président de cet organe ne peut engager seul l'ensemble de la profession sur une analyse qui s'éloigne de l'intérêt général de la profession.

Par des mémoires, enregistrés les 1er septembre, 7 octobre, 15 novembre et 30 décembre 2022, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés tant en fait qu'en droit, que l'appel en cause pour observation de la chambre des notaires de Polynésie française n'est absolument pas utile à la résolution du litige, qu'il est possible, dans le silence des textes régissant expressément les modalités d'évaluation de la valeur des parts sociales d'une société civile professionnelle titulaire d'un office notarial, de raisonner par analogie avec le régime alsacien-mosellan fondé sur la règle de non-patrimonialité des offices notariaux conduisant à exclure la valeur représentative de la clientèle civile de la valorisation des parts sociales d'une SCP, déconnectant ainsi la valeur " nominale " d'une part sociale de sa valeur " réelle " ou " vénale ", que les rapports d'expertise en question dans la présente instance ont donné lieu à des modalités d'évaluation et à des conclusions fort disparates, que l'expert judiciaire, M. B, n'a pas respecté la règle de non valorisation de la clientèle. Elle sollicite à titre subsidiaire la désignation d'un expert afin, le cas échéant, de régler le litige au fond.

Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2022, la chambre des notaires de Polynésie française, représentée par son président, a fait valoir des observations.

Elle indique notamment que l'assimilation du notariat polynésien et celui de l'Alsace-Moselle ne repose sur aucun fondement historique et juridique, que l'article 25 de la délibération du 27 juillet 1989 précitée trouve à s'appliquer en l'espèce et que, pour la profession, le métier de notaire, " n'a de sens que dans le respect de la parole donnée, le respect de la volonté des morts, la discrétion, le sens du devoir et la justice ".

Par des mémoires, enregistrés les 9 et 20 janvier 2023, M. M K, M. O K, M. P K et M. Q K, représentés par Me Bourion, demandent au tribunal, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité formulée selon les termes suivants : " Les dispositions des délibérations n° 89-104 AT du 27 juillet 1989 et n° 99-54 APF du 22 avril 1999 - lesquelles excluent l'application sur le territoire polynésien de la vénalité des charges notariales -, portent-elles atteinte d'abord au principe constitutionnel d'égalité des citoyens face à la loi, ensuite, au droit de propriété et, enfin, aux principes économiques et sociaux, tels qu'ils sont respectivement garanties par l'article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, les articles 1 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et le point 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ' ".

Ils font valoir que les conditions de recevabilité de la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité susmentionnée sont en l'espèce vérifiées, que les dispositions des délibérations susvisées portent atteinte au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi dès lors qu'elles instituent une différence de traitement injustifiée entre les notaires exerçant sur le territoire métropolitain et en outre-mer et ceux qui exercent sur le territoire polynésien qui sont soumis au principe de non vénalité des charges notariales, que ces dispositions méconnaissent directement le droit de propriété et portent atteinte aux principes économiques et sociaux à défaut, pour les notaires polynésiens, de pouvoir valoriser pleinement leur investissement professionnel lors de la cessation de leur activité professionnelle. Ils soutiennent en outre qu'il est évident que le législateur entend faire appliquer la " procédure QPC " aux délibérations et n'entend pas refuser aux citoyens polynésiens le droit d'avoir recours à cette procédure lorsqu'un texte contraignant, adopté par son assemblée, est susceptible de contrevenir à la Constitution.

Par un mémoire en réponse, enregistré le 16 janvier 2023, M. N J A et la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A ", représentés par Me Usang, concluent au rejet des conclusions des requérants tendant à la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité susmentionnée et à ce qu'il leur soit adjugé le bénéfice de leurs précédentes écritures.

Ils font valoir que la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable en ce qu'elle ne vise aucune disposition législative qui porterait atteinte aux droits et libertés et qu'elle est dépourvue de caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2023, la Polynésie française conclut au rejet des conclusions des requérants tendant à transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité susmentionnée.

Elle fait valoir que les dispositions visées ne présentent pas de caractère législatif et que la question soulevée est dénuée de caractère sérieux.

Vu la décision attaquée et les autres pièces du dossier.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code civil ;

- la délibération n° 89-104 AT du 27 juillet 1989 ;

- la délibération n° 99-54 APF du 22 avril 1999 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L,

- les conclusions de Mme I de Saint-Germain, rapporteure publique,

- les observations de Me Lombardet pour les consorts K, celles de Me Usang pour M. J A et la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A " et celles de M. D pour la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. Nommé le 17 septembre 2009 en qualité de notaire salarié au sein de l'office notarial de Me Bernard K à Papeete, M. A a signé avec Me K, le 16 décembre 2013, une convention portant valorisation de l'office notarial de Me K à la somme de 220 000 000 F CFP et création d'une SCP dont MM. A et E détiennent respectivement 10 % des parts. Par cette convention, Me K s'engageait à céder à MM. A et E, dans le mois de la création de la société, moyennant un prix payable comptant évalué proportionnellement au nombre de parts cédées, le complément de parts sociales de la SCP de façon à ce que chacun détienne 40 % du capital social. Cette convention prévoyait même, au plus tard dans le délai d'un an du jour de la constitution de la SCP, une répartition du capital social à hauteur respective de 55 % pour M. A, et 45 % pour M. E. Cette convention était consentie et acceptée sous les conditions suspensives de l'agrément conféré par le gouvernement de la Polynésie française, la création de la SCP titulaire de l'office notarial et l'agrément des deux cessions de parts à intervenir au profit de MM. A et E. Cette cession tripartite n'est toutefois jamais intervenue et Me K a décidé de créer une SCP avec M. A uniquement. Les statuts de la SCP " Office notarial Bernard K et Alexandre A, notaires associés ", ont ainsi été établis le 11 avril 2017. L'article 7 de ces statuts dispose que le capital social est fixé à la somme de 1 500 000 F CFP, égal au montant des apports effectués par les associés, qu'il est divisé en 30 parts sociales de 50 000 F CFP chacune, numérotées de 1 à 30, souscrites en totalité par les associés et attribuées à chacun d'eux dans la proportion de leurs apports respectifs, à savoir 15 parts numérotées de 1 à 15 en représentation des apports en numéraire de M. F K et 15 parts numérotées de 16 à 30 en représentation des apports en numéraire de M. A. Le 1er décembre 2017 survenait le décès de M. F K. Ses ayants-droits, les consorts K, présents requérants et Me A ne sont pas parvenus à s'entendre à l'amiable pour un prix de cession des parts sociales dont Me Bernard K était titulaire. Dès lors, en application du 5ème alinéa de l'article 25 de la délibération du 27 juillet 1989 [0]modifiée portant application à la profession de notaire de la loi n° 66-679 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, le conseil des ministres de la Polynésie française, dans son arrêté n° 1167 CM du 5 juillet 2022, a fixé la valeur des parts sociales de Me Bernard K, numérotées 1 à 15, dans la SCP précitée, à la valeur de 14 002 291 F CFP. Par la présente requête, les consorts K susmentionnés demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ". Il résulte de ces dispositions que le juge administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, procède à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. Les requérants font porter leur demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité sur les seules dispositions des délibérations n° 89-104 AT du 27 juillet 1989 et n° 99-54 APF du 22 avril 1999. Or, les textes ainsi visés ne relèvent pas d'une " disposition législative " au sens et pour l'application de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, la demande distincte des requérants tendant à ce que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes susvisés est irrecevable et doit être rejetée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. En se bornant à faire valoir qu'il n'est pas démontré que la SCP " Office notarial Bernard K et Alexandre A " aurait un intérêt à s'opposer à l'annulation de l'arrêté litigieux en ce que la procédure en cause touche aux modalités d'une transaction personnelle, les requérants n'établissent pas le défaut de justification de la qualité de partie à l'instance de la SCP précitée dont les parts sociales, objet du présent litige, numérotées 1 à 15, appartenaient à Me K, l'un des associés fondateurs. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à solliciter que l'ensemble des demandes de ladite SCP doit être écarté des débats.

6. Il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait, l'arrêté en litige étant pris par les autorités compétentes comme mentionné dans sa forme originale publiée au Journal officiel de la Polynésie française.

7. Aux termes de l'article 3 de la délibération n° 89-104 AT du 27 juillet 1989 modifiée portant application à la profession de notaire de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles : " Des personnes physiques remplissant les conditions requises pour exercer la profession de notaire peuvent constituer entre elles une société civile professionnelle, qui peut être nommée titulaire d'un office notarial existant et vacant, ou d'un office à créer ". L'article 30 de cette délibération, relatif à la " Cession après décès ", dispose que : " La société n'est pas dissoute par le décès d'un associé. Les ayants-droits de l'associé n'acquièrent pas la qualité d'associé. Toutefois, ils ont la faculté, dans le délai d'un an à compter du décès de l'associé, de céder ses parts sociales dans les conditions prévues aux articles 24, 26 et 27 ci-dessus. () / Si à l'expiration du délai d'un an à compter du décès, aucune cession ou attribution préférentielle n'est intervenue, les autres associés sont tenus, dans les quatre mois suivants, d'acquérir ou de faire acquérir les parts dont il s'agit selon le processus défini par les dispositions des alinéas 2 et suivants de l'article 25 dans la mesure où celles-ci sont de nature à recevoir application. ". Aux termes de l'alinéa 5 de l'article 25 de la délibération précitée : " () Dans tous les cas prévus au présent article, si les parties n'ont pu convenir du prix de cession, ce prix est fixé en conseil des ministres, après avis d'experts. Le cessionnaire s'engage par écrit envers le cédant à payer le prix ainsi fixé, et son engagement à cet effet est joint à la requête prévue à l'article 24 ainsi que le texte du projet d'acte de cession tenant lieu de l'expédition ou de l'un des originaux visés au même article. Ladite requête contient, s'il y a lieu, la demande de fixation du prix de cession, elle est même limitée à cet objet lorsque la cession n'entraîne pas le retrait du cédant ni l'entrée dans la société d'un nouvel associé () ". Il résulte ainsi de ces dispositions que cette délibération délègue au conseil des ministres de la Polynésie française, en cas de désaccord entre les parties, et après expertise, le soin de fixer la valeur des parts sociales de société civiles professionnelles titulaires d'un office notarial.

8. Il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire, notamment pas de la délibération du 27 juillet 1989 modifiée précitée ni des dispositions invoquées du code des relations entre le public et l'administration, qui ne sont pas applicables aux actes de la Polynésie française, que l'autorité compétente pour fixer le prix de cession des parts sociales d'une société civile professionnelle titulaire d'un office notarial soit contrainte d'expliciter les modalités de fixation de ce prix dans son arrêté. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'acte en litige doit être écarté.

9. S'il est constant que plusieurs rapports d'expertise comptable ont été produits entre 2020 et 2022 tendant à l'évaluation des parts sociales de la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A, notaires associés ", antérieurement à l'arrêté litigieux, il ne résulte là encore d'aucune disposition législative ou réglementaire que l'autorité administrative compétente pour fixer le prix de cession des parts sociales précitées doive préalablement communiquer lesdits rapports aux parties concernées. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière faute d'avoir respecté le principe du contradictoire, ainsi d'ailleurs que le grief complémentaire tenant à ce que la lettre de Me Usang du 18 février 2022 a été adressée au cabinet de Me Bourion, doivent être écartés.

10. Aux termes de l'article 74 de la délibération n° 99-54 APF du 22 avril 1999 portant refonte du statut du notariat en Polynésie française : " Les notaires ne peuvent présenter de successeurs à l'agrément du gouvernement de la Polynésie française. Mais ils peuvent proposer pour leurs [0]charges, la nomination de titulaires supplémentaires avec qui ils acceptent de s'associer dans les conditions permises par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. ".

11. L'article 9 de la délibération du 27 juillet 1989 précitée dispose que " Peuvent faire l'objet d'apport à la société : a. Les immeubles devant servir de siège à l'office et ceux destinés au logement du personnel de la société ; b. Le matériel de bureau, les équipements professionnels, les meubles et objets mobiliers nécessaires aux activités de l'office et au logement du personnel ; c. Toutes sommes en numéraire nécessaires à constituer : - le cautionnement prévu au chapitre IV du décret du 12 septembre 1957 () ; - les fonds de roulement de l'office. ".

12. Il résulte de ces dispositions qu'en Polynésie française, la valeur de la clientèle ainsi que les droits de présentation n'ont pas à être retenus dans la détermination de la valorisation des parts sociales d'une société titulaire d'un office de notaire au sein duquel les associés exercent en commun leur profession.

13. Dès lors, le principe de non patrimonialité des offices de notaires prévalant en Polynésie française, les éléments d'actif appartenant à la SCP qui détient un office notarial ne peuvent pas être cédés. Seules les parts sociales du notaire associé cédant peuvent être vendues au prix de leur valeur nominale figurant au dernier bilan.

14. Si les requérants se prévalent de la convention du 16 décembre 2013 mentionnée au point 1, conclue entre Me K, M. H E et M. J A dans laquelle la valeur de l'office notarial avait été évaluée à la somme de 220 000 000 F CFP, il ressort des pièces du dossier, en tout état de cause, que cette convention n'a pas reçu de commencement d'exécution et que les conditions suspensives qu'elle prévoyait n'ont pas été exécutées. Cette caducité a été confirmée par la suite par la création de la SCP K et A dont les statuts ont été établis le 11 avril 2017, ainsi qu'il a été dit, ainsi que par l'article 4 de l'arrêté n° 1499 CM du 31 août 2017 portant nomination de la société civile professionnelle " Office notarial Bernard K et Alexandre A, notaires associés ", mettant notamment fin à la nomination de Me K en qualité de seul notaire. Il ne peut dès lors utilement être tiré argument de ce que la valorisation de l'office notarial proposée à hauteur de 220 000 000 F CFP dans la convention précitée, qui n'est restée qu'au stade de projet, serait de nature à établir l'erreur manifeste d'appréciation dans la détermination du prix de cession des parts sociales susmentionnées dans l'arrêté en litige.

15. La circonstance que l'article LP 36 de la loi du pays n° 2018-25 du 25 juillet 2018 portant réglementation générale des droits d'enregistrement et des droits de publicité foncière, expressément invoqué par les requérants, dispose notamment que les traités ou conventions ayant pour objet la présentation à titre onéreux, de la clientèle d'un office, sont soumis à un droit d'enregistrement de 1 %, n'est pas de nature, à elle seule, à valoir reconnaissance tacite de la vénalité des offices notariaux en Polynésie française et à remettre en cause le principe de leur non patrimonialité.

16. Les requérants font également valoir que la " tranche de valeur " de l'office notarial mentionnée dans la convention précitée de 2013 se rapproche de celle proposée par l'expert judiciaire, M. B, dans son projet de rapport du mois de février 2022, dans lequel il valorise cet office à hauteur de 203 680 414 F CFP. Toutefois, alors que la procédure applicable en l'espèce, telle que régie par l'article 25 de la délibération du 27 juillet 1989 précitée, impose avant d'arrêter en conseil des ministres le prix de cession des parts sociales d'une société détenant un office notarial, de recueillir préalablement des avis d'experts, l'administration y a procédé notamment en faisant appel à certains cabinets d'expertise-comptable en vue de l'évaluation des parts sociales dont M. F K était titulaire. Ainsi, les cabinets d'expertise comptable FIDECO et Audit et Conseil ont rendu en ce sens une note et un rapport d'évaluation, à la demande de la direction générale des affaires économiques (DGAE), les 29 octobre 2021 et 20 mai 2022. Un autre rapport a été remis, le 28 octobre 2020, par le cabinet Morel et Oudet, société d'expertise comptable, à la demande de M. A. Les rapports ainsi mentionnés ainsi que celui établi par le cabinet d'expertise-comptable B Expertises du 14 avril 2022 ont été expressément visés dans l'arrêté litigieux du 5 juillet 2022.

17. En conséquence des dispositions qui précèdent et de ce qui a été dit aux points 12 et 13, les évaluations comptables proposées par les cabinets Audit et Conseil et B Expertises doivent être écartées du mode de détermination des parts sociales détenues par M. F K dès lors qu'au regard des modes de calculs retenus, fondés sur la valorisation d'ensemble de l'office de Me K et sur le chiffre d'affaires annuel réalisé ainsi que des évaluations finales proposées, il est constant que ces expertises n'ont pas tenu compte de la règle d'exclusion de la clientèle civile dans la valorisation des parts sociales de la société. Le rapport de la société d'expertise comptable Morel et Oudet doit également être écarté en ce qu'il s'est borné à arrêter la valeur des parts de la SCP précitée, au 1er octobre 2018, en se référant au seul montant du capital de la société, à savoir à la somme de 1 500 000 F CFP. En revanche, en proposant de fixer le montant de valorisation des parts sociales susvisées à la somme de 14 002 291 F CFP en tenant compte de la part des capitaux propres et donc de la valeur nominale des quinze parts sociales revenant à Me K ainsi que de la valeur de son compte courant d'associé à la date du 31 décembre 2020, le cabinet FIDECO s'est conformé aux textes ci-dessus mentionnés applicables en Polynésie française. Si les requérants soutiennent, alors que le décès de M. F K est survenu le 1er décembre 2017, qu'en 2020, le résultat net de l'office notarial concerné entrant dans le calcul des capitaux propres et, par suite, de la valeur nominale d'une part, " était seulement de 34 152 F CFP pour 23 276 215 F CFP au 30 novembre 2017 " quand M. F K était encore en activité au sein de la société de notaires, ils ne l'établissent pas et ne permettent pas d'en déduire que l'évaluation du cabinet FIDECO fondée sur l'exercice comptable de 2020 serait erronée. En conséquence, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration aurait été " trompée " par M. A ainsi que l'affirment les requérants sans le démontrer, en retenant l'évaluation opérée par ce dernier cabinet d'expertise, l'arrêté attaqué du 5 juillet 2022 ne peut être regardé comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la détermination du prix de cession des quinze parts sociales numérotées 1 à 15 de M. F K dans la Scp " Office Notarial Bernard K et Alexandre A, notaires associés ".

18. Enfin, si les consorts K soutiennent que la chambre des notaires de Polynésie française n'a pas été consultée par le conseil des ministres dans le cadre de la détermination du prix des parts sociales en litige, il ne résulte pas des dispositions mentionnées au point 7, lesquelles ne prescrivent qu'une consultation préalable d'experts, que l'organisme consulaire précité devait être sollicité pour avis. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un courrier du 4 décembre 2020 de la direction générale des affaires économiques que la chambre des notaires de Polynésie française a été consultée à propos de l'évaluation de l'office notarial en question. Pour ce motif, notamment, M. J A et la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A " ne peuvent d'ailleurs opposer l'irrecevabilité du mémoire produit dans l'instance par lequel le président de la chambre des notaires de la Polynésie française a formulé certaines observations.

19. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts K ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté susvisé n° 1167 CM du 5 juillet 2022 qu'ils contestent.

Sur les autres conclusions de la requête :

20. L'exécution du présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions de la requête à fin d'injonction tendant à ce qu'il soit ordonné au conseil des ministres de la Polynésie française de procéder à une nouvelle instruction du dossier ainsi qu'à une nouvelle fixation du prix de cession des parts sociales en litige, doivent être rejetées.

21. La chambre des notaires de Polynésie française étant enregistrée dans la présente instance en qualité d'" observateur " à même de transmettre des écritures au tribunal, les conclusions des consorts K tendant à ce que cet organisme soit mis dans la cause, doivent être rejetées.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces mêmes dispositions à l'encontre des consorts K.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des consorts K est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. N J A et la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. M K, M. O K, M. P K et M. Q K, à M. N J A, à la Scp " Office notarial Bernard K et Alexandre A " et à la Polynésie française. Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française et à la chambre des notaires de Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumendjel, premier conseiller,

Rendu par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.

Le rapporteur,

A. L

Le président,

P. Devillers

Le greffier,

M. C

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2200329

Code publication

C