Tribunal administratif de Nîmes

Jugement du 2 février 2023 n° 2103710

02/02/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 novembre 2021 et les 15 mars 2022 et 28 octobre 2022, Mme B D, représentée par Me Lê et Me Bizon Francesconi, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération, avec effet au 15 septembre 2021 et jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier d'hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis de lui verser rétroactivement sa rémunération et de rétablir l'ensemble de ses droits à compter du 15 septembre 2021, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent jugement ;

3 de mettre à la charge du centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une personne non habilitée ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée de vices de procédure, en méconnaissance des dispositions du III de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 dès lors que la suspension litigieuse n'a pas été précédée d'une information préalable suffisante ;

- elle méconnaît le principe du contradictoire, faute d'avoir pu faire valoir ses arguments lors d'un entretien préalable ; le principe du contradictoire est également méconnu dès lors que l'entretien postérieur dont elle a bénéficié, sur sa demande, a été conduit plus de trois semaines après la suspension litigieuse et était insuffisant ; elle n'a pas été mise en mesure de s'y faire assister d'une personne de son choix et aucune solution alternative ne lui a été proposée durant cet entretien ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 dès lors qu'elle n'a pas été mise à même d'utiliser ses jours de congés payés ou ses jours ARTT, qu'aucun moyen permettant de régulariser sa situation ne lui a été proposé, que la possibilité de poursuivre ses fonctions conformément au protocole mis en place antérieurement à cette loi ne lui a pas été proposée, et que des agents du centre hospitalier en congé maladie antérieurement au 15 septembre 2021 ont également été suspendus ;

- elle constitue une sanction disciplinaire déguisée et est entachée de détournement de pouvoir ;

- elle fait application de dispositions législatives contraires à la Constitution dès lors qu'elles portent atteinte au principe d'égalité et à l'interdiction de priver un agent de sa rémunération ;

- la loi du 5 août 2021 est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle a été adoptée sans consultation préalable du conseil commun de la fonction publique ;

- elle fait application de dispositions législatives et réglementaires contraires au principe de non-discrimination, garanti par l'article 2 du traité sur l'Union européenne, par les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par l'article 1er du protocole 12 additionnel de cette même convention, par l'article 23 de la déclaration universelle des droits de l'homme, par l'article 1er de la charte sociale européenne et par la résolution 2361 (2021) du 27 janvier 2021 de l'assemblée parlementaire du Conseil d'Europe ; ces dispositions législatives et réglementaires portent également une atteinte disproportionnée au libre consentement et à la libre circulation ;

- elle fait application de dispositions législatives et réglementaires portant une atteinte disproportionnée au principe d'égalité entre agents publics dès lors que certaines catégories d'agents n'y sont pas soumises ;

- le centre hospitalier a méconnu le principe d'égalité dès lors que la loi du 5 août 2021 n'est plus appliquée au sein du centre hospitalier universitaire de la Martinique depuis le 18 octobre 2021 ;

- le centre hospitalier a méconnu le champ d'application de la loi et le principe d'égalité de traitement en distinguant les " agents pertinents " et les " agents non pertinents " en fonction de leur état de santé ; une telle distinction méconnait les articles 225-1 et 225-2 du code pénal et l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ;

- le centre hospitalier a méconnu le secret médical dès lors que des éléments du dossier médical de ses agents ont été communiqués à des personnes n'appartenant pas au service de la médecine du travail ;

- aucune des vaccinations obligatoires prévues par les articles L. 3111-1 et suivants du code de la santé publique n'a été contrôlée par le centre hospitalier, démontrant ainsi des disparités dans les contrôles vaccinaux en méconnaissance du principe d'égalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2021, le centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis, représenté par Me Laillet de la selarl Carlini et associés, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués dans la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la charte sociale européenne ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E,

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,

- les observations de Me Lê et Me Bizon Francesconi, représentant Mme D, en présence de cette dernière.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D est infirmière titulaire du centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis. Par décision du 15 septembre 2021, le directeur de cet établissement a prononcé la suspension de l'intéressée de ses fonctions sans rémunération, avec effet à la même date et jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19 répondant aux conditions réglementaires. Mme D demande l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision contestée :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; () ". Aux termes de l'article 13 de cette loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / Un décret détermine les conditions d'acceptation de justificatifs de vaccination, établis par des organismes étrangers, attestant de la satisfaction aux critères requis pour le certificat mentionné au même premier alinéa ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. () III. - Le certificat médical de contre-indication mentionné au 2° du I du présent article peut être contrôlé par le médecin conseil de l'organisme d'assurance maladie auquel est rattachée la personne concernée. Ce contrôle prend en compte les antécédents médicaux de la personne et l'évolution de sa situation médicale et du motif de contre-indication, au regard des recommandations formulées par les autorités sanitaires. / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. / Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. / V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public. Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension. ".

3. Il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté. L'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions ne résulte pas d'un simple constat, mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la régularité du justificatif produit au regard de ces dispositions et de celles des dispositions réglementaires prises pour leur application. Par suite, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis, l'administration n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la mesure litigieuse.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 :

4. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".

5. Mme D soutient que la décision de suspension fait application de dispositions législatives contraires à la Constitution, dès lors qu'elles portent atteinte au principe d'égalité, garanti par les articles 1er de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et à l'interdiction de priver un agent de sa rémunération. Il n'appartient toutefois pas au juge administratif d'examiner la conformité à la Constitution de dispositions législatives, en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité prévue aux dispositions R. 771-3 et suivantes du code de justice administrative.

6. Pour les mêmes motifs, et dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la procédure d'adoption des lois, le moyen tiré de ce que la loi du 5 août 2021 aurait été adoptée sans consultation préalable du conseil commun de la fonction publique ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 :

7. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion, allant jusqu'à l'interdiction temporaire des déplacements non essentiels de toute personne hors de son domicile. Néanmoins, selon les données publiées par Santé Publique France, le nombre de décès liés au covid-19 au 24 novembre 2021 était de 91 792 déclarés par les établissements de santé et de 26 912 déclarés par les établissements sociaux et médico-sociaux. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage.

8. En premier lieu, aux termes de l'article 2 du traité sur l'Union européenne : " L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. ". Aux termes de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toutes les personnes sont égales en droit ". Aux termes de l'article 21 de la même charte : " 1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. ". Aux termes de l'article 51 de cette même Charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. / () ".

9. Il résulte des stipulations de son article 51 que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse " aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union ". Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 20 et 21 de cette même charte par la loi du 5 août 2021, qui ne met pas en œuvre le droit de l'Union, ne peut être utilement invoqué. Au surplus, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les dispositions de la loi du 5 août 2021 servant de base légale à la décision attaquée sont justifiées par une exigence de santé publique et sont, en l'état des connaissances scientifiques, nécessaires et appropriées à la réalisation de ce but.

10. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du protocole n°12 additionnel à cette même convention : " 1. La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. 2. Nul ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autorité publique quelle qu'elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1. ".

11. Eu égard à ce qui a été dit au point 7, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne créent aucune discrimination prohibée par les articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par l'article 1er du protocole n° 12 annexé à cette convention et par la résolution 2361 (2021) du 27 janvier 2021 de l'assemblée parlementaire du Conseil d'Europe. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

12. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 23 de la déclaration universelle des droits de l'homme ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que ce texte ne figure pas au nombre des traités et accords qui ont été régulièrement ratifiés ou approuvés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution. Tel est également le cas de l'article 1er de la Charte sociale européenne, ces stipulations ne produisant pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne des Etats.

13. En quatrième lieu, en se bornant à invoquer la méconnaissance des principes de libre circulation et de libre consentement, Mme D, qui ne se prévaut de la méconnaissance d'aucune disposition ou stipulation, n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes permettant au tribunal d'en apprécier la portée et le bien-fondé.

14. En cinquième lieu, la requérante soutient que l'obligation vaccinale porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité de traitement entre agents publics dès lors que certaines catégories d'agents, tels les agents de la police nationale et de la police municipale, n'y sont pas soumis. Toutefois, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Par ailleurs, s'agissant des règles régissant les fonctionnaires, le principe d'égalité n'est en principe susceptible de s'appliquer qu'entre les agents appartenant à un même corps. Les agents de police nationale et municipale sont, en tout état de cause, dans une situation différente de celle des agents des établissements de santé du point de vue tant de leurs missions que de leur proximité avec des personnes vulnérables. La différence de traitement entre agents publics ainsi instituée par la loi du 5 août 2021 est par ailleurs proportionnée et en rapport avec l'objectif d'intérêt général de protection de la santé, en particulier des personnes vulnérables, que s'est assigné le législateur. Par suite, le moyen tiré, par la voie de l'exception d'inconventionnalité, de la méconnaissance du principe d'égalité par le législateur doit être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens :

15. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par M. F C A, directeur des ressources humaines et des affaires médicales du centre hospitalier du Pays d'Aix. Par un arrêté du 30 juillet 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Bouches-du-Rhône le 14 août 2021, le directeur général du centre hospitalier du Pays d'Aix a donné délégation à M. C A pour signer tous les actes individuels et collectifs de l'établissement en matière de ressources humaines, à l'exclusion des sanctions disciplinaires de toute nature. Par suite, et dès lors que la décision attaquée ne constitue pas une sanction disciplinaire, le moyen tiré de l'incompétence de son auteur doit être écarté.

16. En deuxième lieu, la mesure de suspension de fonctions attaquée prise à l'encontre d'un agent n'est pas une sanction, et, en tout état de cause, vise les textes dont il est fait application et mentionne les faits sur lesquels elle se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

17. En troisième lieu, il résulte du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 cité au point 2 que l'employeur, qui constate que l'agent ne peut plus exercer son activité en application du I du même article, informe celui-ci sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi, ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Cette information, qui doit intervenir à compter du constat d'impossibilité d'exercer de l'agent, est nécessairement personnelle et préalable à l'édiction de la mesure de suspension. Toutefois, cette procédure d'information préalable n'impose nullement une obligation pour l'employeur de tenir un entretien. Par ailleurs, il résulte des dispositions précitées que, eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur et aux obligations qui pèsent sur les établissements de santé en matière de protection des personnes vulnérables, les moyens de régulariser sa situation ne peuvent que concerner les modalités par lesquelles les personnes qui y exercent leur activité s'engagent dans un processus de vaccination. La faculté qui est offerte à l'agent d'utiliser des jours de congés payés, sous réserve de l'accord de son employeur, n'a que pour objet de permettre à l'agent de différer la date d'effet de la mesure de suspension découlant de l'impossibilité dans laquelle il s'est placé d'exercer ses fonctions, mais n'est pas une modalité de régularisation de la situation de l'agent au regard de son obligation vaccinale.

18. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision du 15 septembre 2021 suspendant Mme D de ses fonctions mentionne que cette suspension intervient pour défaut de production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination répondant aux conditions définies par le décret du 7 août 2021. Il est par ailleurs constant que Mme D a été destinataire, le 26 août 2021 et le 10 septembre 2021, de courriers l'informant, en application de la loi du 5 août 2021, de la nécessité de présenter à compter du 15 septembre 2021, un certificat de statut vaccinal ou à défaut le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises et de la possibilité, jusqu'au 15 octobre 2021, de justifier avoir reçu au moins une des doses requises, des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer en cas de non transmission des documents requis et enfin, de la nécessité de faire parvenir les justificatifs requis avant le 15 septembre 2021. Dans ces conditions le moyen tiré du défaut d'information préalable doit être écarté.

19. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 15 que la procédure d'information préalable applicable en l'espèce n'impose aucune obligation pour l'employeur de tenir un entretien. Mme D ne peut ainsi utilement se prévaloir d'une absence d'entretien préalable à la décision attaquée. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant.

20. En quatrième lieu, Mme D soutient qu'un entretien visant à examiner les moyens permettant de régulariser sa situation lui a été accordé postérieurement à la décision attaquée. Elle soutient également qu'à cette occasion, elle n'a pas été mise à même de se faire assister par une personne de son choix durant cet entretien, en méconnaissance du principe du contradictoire. Toutefois, la légalité d'une décision s'appréciant à la date de son édiction, les circonstances ainsi invoquées, postérieures à l'intervention de la décision attaquée du 15 septembre 2021, sont en tout état de cause sans incidence sur sa légalité. Au surplus, aucune disposition législative ou règlementaire n'impose à l'administration la tenue d'un entretien postérieurement au prononcé d'une suspension d'un agent pour non-respect de l'obligation vaccinale.

21. En cinquième lieu, Mme D soutient qu'aucun moyen permettant de régulariser sa situation ne lui a été proposé, que ses demandes de congés et de jours de repos conventionnels en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ont été systématiquement refusés, que la possibilité de poursuivre ses fonctions conformément au protocole mis en place antérieurement à la loi du 5 août 2021 ne lui a pas été proposée, que les agents du personnel en congé maladie antérieurement au 15 septembre 2021 ont également été suspendus. Toutefois, il résulte de ce qu'il a été dit que la faculté d'utiliser des jours de congés payés est sans incidence sur l'interdiction d'exercer à laquelle s'exposent les agents non vaccinés. Par ailleurs, la possibilité de poursuivre des fonctions conformément au protocole mis en place antérieurement à la loi du 5 août 2021 ne constitue pas une modalité de régularisation prévue par cette loi. Enfin, Mme D ne démontre pas, ainsi qu'elle l'allègue, la suspension par le centre hospitalier d'agents placés en congé maladie antérieurement au 15 septembre 2021. Par suite, les moyens ainsi soulevés ne peuvent qu'être écartés.

22. En sixième lieu, lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application des dispositions contestées et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle ne prononce pas une sanction mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait, dès lors, être regardée comme une sanction déguisée.

23. En septième lieu, si la requérante soutient que la mesure de suspension attaquée est constitutive d'un détournement de pouvoir, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

24. En huitième lieu, Mme D soutient que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité de traitement dès lors que les dispositions de la loi du 5 août 2021 et du décret d'application du 7 août 2021 ne sont plus appliquées au sein du centre hospitalier universitaire de la Martinique depuis le 18 octobre 2021, le directeur général de l'établissement ayant autorisé l'accès aux locaux sur présentation d'un test de dépistage. Toutefois, il n'est pas démontré ni même allégué que le centre hospitalier de Pertuis et celui de la Martinique se trouvaient, à la date du 18 octobre 2021, dans la même situation de tension sur les effectifs. Par ailleurs, la mise en œuvre de l'obligation vaccinale des personnels des établissements de santé en Martinique a été reportée au 31 décembre 2021. Ainsi, en présence de situations de fait et de droit différentes, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ainsi soulevé ne peut qu'être écarté.

25. En neuvième lieu, aux termes de l'article L. 225-1 du code pénal : " Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée (). ". Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ".

26. Mme D soutient qu'elle a été victime d'une discrimination à raison de son état de santé dès lors que le centre hospitalier a distingué les " agents pertinents " et les " agents non pertinents " au regard de leur statut vaccinal. Si la requérante se prévaut d'un courriel du 1er septembre 2021, mentionnant une liste d'agents ayant produit les justificatifs imposés par la loi du 5 août 2021, aux fins de se rapprocher des agents n'ayant pas souscrit à cette obligation, ce document ne la mentionne pas et ne mentionne nullement une catégorie d'agent non pertinent. Par suite, le moyen, à le supposer même opérant, doit être écarté.

27. En dixième lieu, le moyen tiré de ce que le centre hospitalier ne contrôlerait pas, le respect d'autres obligations vaccinales en méconnaissance du principe d'égalité est dépourvu de précisions et de pièces justificatives permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut, par suite, qu'être écarté.

28. En dernier lieu, le 9° du I de l'article 3 du décret du 25 décembre 2020 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux vaccinations contre la Covid-19 autorise les établissements de santé à accéder au statut vaccinal de l'agent pour contrôler l'obligation vaccinale des personnes mentionnées au I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaitrait le secret médical doit être écarté.

29. Il résulte de ce qui précède que Mme D n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 15 septembre 2021 prononçant sa suspension de fonctions.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

30. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que qu'une somme soit mise, à ce titre à la charge du centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B D et au centre hospitalier du Pays d'Aix - centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Ciréfice, président,

M. Chevillard, premier conseiller,

Mme Galtier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.

Le rapporteur,

F. E

Le président,

C. CIRÉFICE

La greffière,

F. DESMOULIÈRES

La République mande et ordonne à la préfète de Vaucluse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C