Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 2 février 2023 n° 22/07244

02/02/2023

Non renvoi

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

 

Chambre 3-3

 

ARRÊT SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

DU 02 FEVRIER 2023

 

N° 2023/21

 

Rôle N° RG 22/07244 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJNSN

 

[G] [Y] [U] [C]

 

C/

 

S.A. SOCIETE GENERALE

 

Organisme FONDS COMMUN DE TITRISATION CEDRUS

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Me Olivier TARI

 

Me Marie BELUCH

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 28 Décembre 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2018F02767.

 

DEMANDEUR

 

Monsieur [G] [Y] [U] [C]

 

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 5],

 

demeurant [Adresse 3]

 

représenté par Me Olivier TARI de la SCP BBLM, avocat au barreau de MARSEILLE

 

DEFENDEURS

 

S.A. SOCIETE GENERALE, prise en la pesonne son Directeur général,

 

dont le siège social est sis [Adresse 2]

 

représentée par Me Marie BELUCH de la SELARL CABINET PASSET - BELUCH, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

 

FONDS COMMUN DE TITRISATION CEDRUS, ayant pour société de gestion la société EQUITIS GESTION, et représenté par son recouvreur la société MCS ET ASSOCIES, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, venant aux droits de la SOCIETE GENERALE,

 

dont le siège social est sis [Adresse 4]

 

représentée par Me Marie BELUCH de la SELARL CABINET PASSET - BELUCH, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

 

*-*-*-*-*

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

L'affaire a été débattue le 22 Novembre 2022 en audience publique devant la cour composée de :

 

Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre

 

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

 

Madame Françoise PETEL, Conseillère

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

 

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Février 2023.

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

 

ARRÊT

 

Contradictoire,

 

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Février 2023,

 

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

***

 

EXPOSÉ DU LITIGE

 

La SAS Scala, dont le président est M. [G] [C], a souscrit le 7 octobre 2015 un billet à ordre d'un montant de 200 000 euros en faveur de la SA Société Générale, à échéance du 7 décembre 2015, garanti par l'aval de M. [G] [C].

 

Le billet à ordre est resté impayé à l'échéance et une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au profit de la SAS Scala par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 2 mai 2016.

 

Après mise en demeure de payer restée infructueuse, la SA Société Générale a fait assigner M. [G] [C] en sa qualité d'avaliste devant le tribunal de commerce de Marseille, lequel a, par jugement du 28 décembre 2021 :

 

- pris acte de ce que le fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion, la SAS Equitis Gestion et représenté par son recouvreur la SAS MCS intervient volontairement à la présente procédure ;

 

- reçu le fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion, la SAS Equitis Gestion et représenté par son recouvreur la SAS MCS en son intervention volontaire ;

 

en conséquence,

 

- constaté que le fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion, la SAS Equitis Gestion et représenté par son recouvreur la SAS MCS vient aux droit de la Société Générale S.A. en vertu d'un bordereau de cession de créances du 29 novembre 2019 ;

 

- pris acte, qu'à la demande de M. [G] [C], l'exemplaire original du billet à ordre litigieux lui a été présenté à l'audience et qu'il est soumis à l'appréciation du tribunal ; que la mention « bon pour aval '' rédigée de sa main ainsi que sa signature ne sont pas contestées ;

 

en conséquence,

 

- constaté que le formalisme de validation a été respecté ;

 

* sur la question prioritaire de constitutionnalité :

 

- dit que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [G] [C] est dépourvue de caractère sérieux ;

 

en conséquence,

 

- dit n'y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ;

 

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

 

* sur le fond :

 

- débouté M. [G] [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

 

- condamné M. [G] [C] au paiement de la somme de 200 810,80 € (deux cent mille huit cent dix euros et quatre-vingt centimes), arrêtée au 2 mai 2016, outre intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2016, ainsi qu'à la somme de 5 000 € (cinq mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

 

- conformément aux dispositions de l'article 1343 -2 du Code civil, ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal ;

 

- conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, laissé à la charge de M. [G] [C] les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile,

 

- conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

 

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.

 

M. [G] [C] a interjeté appel par déclaration du 17 février 2022.

 

Par conclusions du 9 août 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [G] [C] a demandé au magistrat chargé de la mise en état de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

Les articles L. 511-21, L. 512-1 et L. 512-4 du code de commerce qui consacrent les règles applicables à l'aval du billet à ordre :

 

- contreviennent-ils aux dispositions de l'article 1er de la Constitution du 4/10/1958, 1 et 6 de la DDHC en privant le dirigeant de société, avaliste d'un billet à ordre souscrit par sa société, des dispositions protectrices :

 

- du Code de la consommation instaurant l'exigence de mentions manuscrites protectrices à peine de nullité de l'engagement, le principe du contrôle préalable de la proportionnalité de l'engagement souscrit à ses biens et revenus à peine d'impossibilité pour l'établissement de crédit de pouvoir se prévaloir de cet engagement, le droit à une information annuelle,

 

- du Code civil, instaurant pour la caution le droit d'opposer au créancier les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, droits reconnus par ailleurs au dirigeant de société agissant en qualité de caution solidaire de droit commun pour le compte d'une même société dans un même but '

 

- contreviennent-ils aux dispositions de l'article 1er de la Constitution du 4/10/1958, 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) en distinguant les différentes règles du cautionnement applicables à l'aval alors que l'identité de nature de l'engagement - à savoir la garantie personnelle d'une dette d'un tiers - entre l'aval et le cautionnement devrait conduire à une identité de protection '

 

Par conclusions du 29 août 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, le fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion, la SAS Equitis Gestion et représenté par son recouvreur la SAS MCS et associés, conclut à la confirmation du jugement déféré, au rejet de la question prioritaire de constitutionnalité dépourvue de caractère sérieux et ayant déjà été rejetée par la Cour de cassation dans son arrêt n°18-40047 du 7 mars 2019.

 

L'affaire a été communiquée au ministère public et par conclusions du 24 mai 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme la procureure générale près la cour d'appel d'Aix-en-Provence est d'avis qu'il plaise à la cour d'appel de dire n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité dont elle est saisie.

 

Par ordonnance d'incident du 3 novembre 2022, le magistrat de la mise en état a renvoyé l'affaire devant la formation collégiale de la cour.

 

Les parties n'ont pas conclu à nouveau à la suite de ce renvoi.

 

MOTIFS

 

Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, il est procédé à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité si les conditions suivantes sont remplies :

 

1. La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3. La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il n'est pas discutable que les dispositions contestées relatives à l'aval d'un billet à ordre, telles qu'issues des articles L. 511-21, L. 512-1 et L. 512-4 du Code de commerce, sont applicables à l'espèce et constituent le fondement des poursuites du fonds commun de titrisation Cedrus venu aux droits de la SA Société Générale à l'encontre de M. [G] [C].

 

Contrairement à ce que soutiennent les intimés, la Cour de cassation n'a pas déjà été saisie d'une question identique pour la rejeter. En effet, la question posée par M. [G] [C] précise les droits reconnus à la caution dont l'avaliste ne peut bénéficier soit : les dispositions du Code de la consommation relatives au formalisme respectif du cautionnement et de l'aval, au contrôle de proportionnalité et du droit à une information annuelle, ainsi que les dispositions du Code civil relatives à l'opposabilité des exceptions inhérentes à la dette. Il en déduit que l'identité de la nature de l'engagement devrait conduire à une identité des règles de protection sauf à violer les dispositions de l'article 1er de la Constitution du 4/10/1958, 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC).

 

Comme l'a rappelé Mme la procureure générale dans ses conclusions, le principe d'égalité des citoyens devant la loi ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

En l'espèce si les parties et le ministère public s'accordent pour reconnaitre des similarités entre le cautionnement et l'aval, il n'en demeure pas moins, qu'il existe une différence fondamentale qui résulte de la spécificité du droit cambiaire.

 

Les dispositions relatives à la lettre de change et au billet à ordre répondent en effet à des besoins spécifiques des échanges commerciaux en terme de rapidité, de simplicité et de sécurité. L'incorporation de la créance au titre, qui permet sa circulation, instaure entre les parties des rapports différents de ceux existant entre un débiteur principal, son créancier et son garant éventuel.

 

Les rapports cambiaires issus d'une lettre de change ou d'un billet à ordre se substituent aux rapports initiaux entre le créancier et son débiteur et les mécanismes de paiement ou les recours en cas de défaut de paiement ne sont pas les recours du droit commun.

 

Dans ce cadre, si l'avaliste peut apparaitre à première vue comme un garant similaire à une caution, cette garantie s'exerce dans le cadre des recours cambiaires du porteur de l'effet (lettre de change ou billet à ordre) et elle ne peut en conséquence s'exercer dans les mêmes conditions qu'une caution confrontée au créancier du débiteur garanti, créancier qu'elle connait dès son engagement de caution, ce qui n'est pas le cas de l'avaliste qui peut ne pas connaitre le porteur de l'effet qui viendra lui réclamer paiement en cas de défaillance du tireur.

 

Il n'est pas possible dans ces conditions, étant rappelé que la créance est incorporée au titre, que l'avaliste puisse bénéficier des dispositions relatives au contrôle de la proportionnalité de son engagement ou à une information annuelle sur l'état de la dette du tireur.

 

Il en va de même pour les exceptions pouvant être opposées par l'avaliste actionné en vertu d'une lettre de change ou d'un billet à ordre : la circulation possible de l'effet par endossements successifs et les impératifs de sécurité liés à la circulation d'un tel titre, ne permettent pas plus à l'avaliste d'opposer au porteur des exceptions nées du rapport fondamental entre le tireur et le tiré, sauf à dénier aux effets de commerce toute leur spécificité.

 

Enfin, l'avaliste a un recours direct résultant de la lettre de change contre le garanti et contre ceux qui sont tenus envers ce dernier en vertu de la lettre de change (L 511-21 du Code de commerce) ce qui lui confère une situation plus favorable que celle de la caution puisqu'il ne peut, comme le porteur de bonne foi, se voir opposer aucune exception.

 

Il résulte de ces éléments que la différence de traitement alléguée n'est due qu'à la différence des situations de l'avaliste et de la caution, qu'il n'y a aucune différence de traitement non justifiée entre l'avaliste et la caution, que les différences de traitement ne sont dues qu'au régime différent auquel obéissent les effets de commerce, régime dicté par leur nature de titre de créance pouvant librement circuler, de sorte que la question est dépourvue de tout caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour statuant par arrêt contradictoire,

 

Dit n'y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [G] [C],

 

Dit que les dépens suivront ceux de l'instance au fond.

 

LE GREFFIER LE PRESIDENT