Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 2 février 2023 n° 22/05425

02/02/2023

Renvoi

Chambre Conflits d'Entreprise

 

ARRÊT N°03

 

N° RG 22/05425 -

 

N° Portalis DBVL-V-B7G-TDAP

 

- SYNDICAT NATIONAL DES PILOTES DE LIGNE FRANCE ALPA (SNPL F-ALPA)

 

C/

 

S.A.S. VALLJET

 

Q.P.C. Fait droit à la demande de transmission à la Cour de Cassation

 

Copie exécutoire délivrée

 

le : 02 fevrier 2023

 

à :

 

Me Christine JULIENNE

 

Me Dominique LE COULS-BOUVET

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE RENNES

 

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

 

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

 

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

 

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

 

GREFFIER :

 

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée : (Avis de M. l'Avocat Général Laurent FICHOT du 18/10/2022)

 

DÉBATS :

 

A l'audience publique du 17 Novembre 2022

 

ARRÊT :

 

Contradictoire, prononcé publiquement le 02 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

****

 

DEMANDEUR à la question prioritaire de constitutionnalité - INTIMÉ :

 

Le SYNDICAT NATIONAL DES PILOTES DE LIGNE FRANCE ALPA (SNPL F-ALPA) pris en la personne de son Secrétaire en exercice et ayant son siège :

 

[Adresse 4]

 

[Adresse 4]

 

[Localité 3]

 

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Ilan MUNTLAK, Avocat plaidant du Barreau de PARIS

 

.../...

 

DÉFENDERESSE à la question prioritaire de constitutionnalité- APPELANTE:

 

La S.A.S. VALLJET prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

 

[Adresse 1]

 

[Localité 2]

 

Ayant Me Christine JULIENNE de la SELARL MENARD-JULIENNE, Avocat au Barreau de NANTES, pour postulant et représentée par Me Estelle HUGUIN substituant à l'audience Me Nicolas FISCHEL, Avocats plaidants du Barreau de SEINE-SAINT-DENIS

 

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En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

En l'espèce, le Syndicat National des Pilotes de Ligne France Alpa (ci-après SNPL F-ALPA) soutient que l'interprétation constante de l'article L. 2132-3 du Code du travail par la Cour de cassation (arrêt du 6 juillet 2022 n°21-15.189) porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce qu'il porte atteinte au principe de liberté syndicale garanti par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui implique que notamment que les représentants du personnel disposent de moyens nécessaires à leur mission, au principe de responsabilité garanti par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, que la défense de l'intérêt collectif ne peut se résumer à une indemnisation financière du syndicat mais doit conduire à la régularisation de la situation individuelle des salariés lésés qui seule permet la réparation du préjudice collectif, que la conception de la défense syndicale résultant de ce revirement de jurisprudence est non conforme au bloc de constitutionnalité, que le syndicat doit permettre à un salarié de faire défendre ses intérêts sans s'exposer individuellement.

 

En réplique, la SAS VALLJET soutient que la QPC est irrecevable, qu'elle ne peut porter que sur la conformité d'une loi à la constitution, que la jurisprudence invoquée se borne à constater l'absence d'intérêt collectif à défendre, s'agissant du rétablissement de chaque salarié dans ses droits, que la contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l'interprétation qu'en fait la juridiction suprême et non pas comme en l'espèce de critiquer la jurisprudence.

 

La SAS VALLJET ajoute que la question posée est dépourvue de caractère sérieux dans la mesure où l'interprétation donnée par la Cour de cassation ne méconnaît ni l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789, ni les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1958, que la jurisprudence considère que si un syndicat peur agir en justice pour faire constater une irrégularité commise par l'employeur et solliciter l'allocation de dommages et intérêts en réparation à l'atteinte portée à l'intérêt collectif, il ne peut prétendre obtenir la condamnation de l'employeur à régulariser la situation des salariés concernés, qu'hors le cas de l'exercice d'une action en substitution, un syndicat ne peut exercer des droits attachés à la seule personne du salarié, que la limitation de l'exercice de l'action syndicale à son strict objet n'entre pas en concurrence avec la libre participation des salariés à la vie de l'entreprise par l'intermédiaire de leurs représentants, que l'action collective ne peut avoir pour objet d'obtenir à la place des salariés, la réparation individuelle de l'atteinte à leur droit par l'employeur.

 

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 9 septembre 2022, qui a fait connaître son avis le 18 octobre 2022. Le ministère public soutient que la requête est recevable, que la disposition législative telle qu'interprétée par la Cour de cassation est bien applicable à la procédure, que l'interprétation jurisprudentielle constante critiquée de la disposition législative n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, qu'étant dépourvue de caractère sérieux en ce qu'elle ne porte atteinte ni au principe de participation des travailleurs ni au principe de responsabilité invoqué, dès lors qu'elle n'empêche pas les syndicats de demander la régularisation de la situation des salariés ni de les représenter, en ce que la demande a pour finalité la défense de l'intérêt collectif de la profession, il n'y a pas lieu de lieu de la transmettre.

 

MOTIFS DE LA DECISION :

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution invoqué par le SNPL F-ALPA :

 

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l'audience dans un écrit distinct des autres observations du SNPL F-ALPA et motivé. Il est donc recevable.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

 

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

 

1° La disposition contestée est applicable à la procédure ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif

 

d'une décision du Conseil constitutionnel ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative à l'action engagée par le syndicat SNPL-ALPA en application de cet article, en se prévalant de la défense de l'intérêt collectif de la profession pour demander à la juridiction d'enjoindre la société VALLJET de régulariser sous forme monétaire des droits personnels des salariés que l'employeur n'aurait pas respectés. Il appert que l'interprétation par la Cour de cassation de l'article L. 2132-3 du Code du travail n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

En outre, elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que, appliquée strictement à l'espèce, l'interprétation des dispositions précitées au litige portant en partie sur le non respect par l'employeur de dispositions relatives au temps de service de vol maximum, des temps d'arrêt visés aux articles D422-5-1 du Code de l'aviation civile et L.6525-4 du Code des transports ainsi que de la planification et de la durée des astreintes, au motif qu'il est également demandé d'enjoindre à la société VALLJET de procéder à la régularisation, sous forme monétaire, des droits des personnels navigants techniques concernés, correspondant aux jours de repos éludés depuis le 26 mars 2018, elle prive le syndicat requérant de la faculté de défendre l'intérêt collectif de la profession, alors que l'injonction critiquée concerne la régularisation de la situation de personnels qui ne sont pas individuellement désignés.

 

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

 

L'interprétation par la Cour de cassation de l'article L. 2132-3 du Code du travail porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789, ainsi qu'aux alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1958 '

 

Sur les autres demandes des parties et les dépens :

 

En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre

 

1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise,

 

la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

 

Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

 

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

 

Il sera donc sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

 

PAR CES MOTIFS :

 

LA COUR,

 

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, insusceptible de recours indépendamment de l'arrêt sur le fond,

 

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : L'interprétation par la Cour de cassation de l'article L. 2132-3 du Code du travail porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789, ainsi qu'aux alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1958 '

 

DIT que le présent arrêt sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité remis à l'audience du 17 novembre 2022 ;

 

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

 

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

 

-5-

 

DIT que l'affaire sera rappelée à l'audience du 05 octobre 2023 à 14h00 si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l'audience du 08 juin 2023 à 14h00 dans le cas contraire ;

 

RESERVE les dépens ;

 

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.