Tribunal administratif de Paris

Jugement du 31 janvier 2023 n° 1918905

31/01/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 août 2019 et le 4 juin 2020, la société QMG, représentée par Me Antomarchi, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de l'amende prévue par l'article 1788 A du code général des impôts auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er août 2014 au 31 juillet 2017 ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge à hauteur de 119 824 euros et de l'amende prévue par l'article 1788 A du code général des impôts ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de prononcer la décharge de l'amende prévue par l'article 1788 A du code général des impôts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-la procédure est entachée d'irrégularité dès lors que le service ne lui a pas communiqué la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ;

-la procédure est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle n'a pas pu saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

-c'est à tort que l'administration a refusé de prendre en compte une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 107 552 euros pour la période du 1er août 2015 au 31 juillet 2016 ;

-une taxe sur la valeur ajoutée déductible d'un montant de 12 272 euros doit être prise en compte pour la période 1er août 2016 au 31 juillet 2017 ;

-l'amende prévue par le 4 de l'article 1788 A du code général des impôts n'était pas applicable car elle est contraire au principe de proportionnalité garanti par le droit communautaire et le droit constitutionnel.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 mars et 9 septembre 2020, l'administrateur général des finances publiques de la direction régionale de contrôle fiscal Ile-de-France, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

-le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de Mme A,

-et les conclusions de M. Charzat, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société QMG, qui exerce une activité de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service lui a notifié, par une proposition de rectification du 23 mai 2018, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des amendes au titre des exercices clos les 31 juillet 2015, 2016 et 2017. La société QMG demande la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure :

2. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. / L'avis informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consultée sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande. () ".

3. Il résulte de l'instruction que l'avis de vérification de comptabilité adressé à la société QMG le 22 décembre 2017 mentionne que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, millésime février 2017, est consultable sur le site www.impots.gouv.fr ou peut être adressée sur simple demande du contribuable. La société soutient ne pas avoir pu télécharger ce document sur le site et produit un constat d'huissier daté du 15 mai 2018 indiquant que ce même jour, l'huissier n'a pas pu consulter la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sur le site internet de l'administration fiscale. Toutefois, ce seul constat ne saurait suffire à démontrer que la société n'aurait pas pu consulter ce document en ligne à compter de la réception de l'avis de vérification de comptabilité et pendant la période au cours de laquelle la vérification s'est déroulée. En outre, si la société soutient avoir demandé en vain au vérificateur à plusieurs reprises lors du contrôle un exemplaire papier de la charte, elle ne l'établit pas par la seule production d'un courriel du 21 juin 2018 adressé au vérificateur en réponse à la proposition de rectification et donc après l'achèvement des opérations de vérification de comptabilité. Par suite, la société QMG n'est pas fondée à soutenir que la procédure est irrégulière pour ce motif.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition () II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit () ". Les dispositions du 1º du I de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales n'attribuent compétence à la commission départementale, en matière de taxes sur la valeur ajoutée, que lorsque le désaccord entre l'administration et le redevable porte sur le montant du chiffre d'affaires.

5. La société QMG soutient qu'elle a été indûment privée de la possibilité de voir soumis à l'examen de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le différend qui l'opposait à l'administration fiscale concernant l'ensemble des redressements qui lui ont été notifiés. Toutefois, il résulte de l'instruction que, dans le courrier du 21 juin 2018 par lequel elle a formulé des observations en réponse à la proposition de rectification du 23 mai 2018, la société a indiqué qu'elle acquiesçait à l'ensemble des rectifications à l'exception de celles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée déductible 2015 et à celles relatives au passif injustifié, tant en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée collectée non déclarée que les taxes annexes. Dans la réponse aux observations du contribuable du 27 juillet 2018, le service n'a pas maintenu le rehaussement au titre de l'impôt sur les sociétés correspondant au passif injustifié de taxe sur la valeur ajoutée et de taxes annexes. Ainsi, ne restait plus en litige que la prise en compte de la taxe sur la valeur ajoutée déductible de 107 552 euros au titre de l'année 2015 et de 12 272 euros au titre de l'année 2016. Or, ce différend, qui ne porte pas sur la détermination du montant du chiffre d'affaires réalisé par la requérante, ne relève pas de la compétence de la commission mentionnée à l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales. Dans ces conditions, la société QMG n'est pas fondée à soutenir que la procédure de redressement est entachée d'irrégularité au motif que l'administration ne lui aurait pas permis de saisir cette commission.

Sur le bien-fondé des impositions :

6. Aux termes du I de l'article 271 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. () / 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance ". Aux termes du 1 de l'article 287 du même code : " Tout redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de remettre au service des impôts dont il dépend et dans le délai fixé par arrêté une déclaration conforme au modèle prescrit par l'administration ". En outre, aux termes de l'article 208 de l'annexe II audit code dans sa version applicable : " I. - Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. Les régularisations prévues à l'article 207 doivent également être mentionnées distinctement sur ces déclarations. () ".

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts, qui assure en droit interne la transposition de celles de l'article 179 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, que le droit à déduction par un redevable de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé ses opérations taxables prend naissance lorsque la taxe devient exigible chez son fournisseur et doit, en principe, être opéré par imputation sur la taxe due par le redevable au titre de la période pendant laquelle le droit à déduction a pris naissance. Le principe de neutralité, principe général du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, tel que rappelé, notamment, par les décisions C-95/07 et C-96/07 du 8 mai 2008 et C-332/15 du 28 juillet 2016, ne fait pas obstacle à ce que, afin d'assurer le respect du principe de sécurité juridique, les autorités étatiques, exerçant la faculté prévue par les dispositions des articles 180 et 182 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, soumettent à un délai la possibilité pour le redevable de corriger ses omissions de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée déductible. Toutefois, en vertu du principe d'effectivité du droit de l'Union européenne, un tel délai ne doit pas avoir pour effet de rendre l'exercice du droit à déduction impossible ou excessivement difficile. Tel n'est pas le cas du délai prévu par les dispositions de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts, aux termes desquelles l'omission ne peut être réparée que sur les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée déposées au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant l'omission, c'est-à-dire suivant celle au cours de laquelle la taxe sur la valeur ajoutée est devenue exigible chez le fournisseur.

8. La société QMG soutient qu'au titre de la période du 1er août 2015 au 31 juillet 2016, le service aurait dû retenir une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 107 552 euros qui correspond à la taxe sur la valeur ajoutée déductible de l'année 2015 régularisée en comptabilité le 20 décembre 2016. Toutefois, l'administration indique que la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse n'avait pas été mentionnée dans les déclarations CA3 au plus tard le 31 décembre 2017 et que le droit à déduction était forclos. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, l'administration était fondée pour ce motif à refuser la déduction litigieuse, quand bien même la taxe sur la valeur ajoutée en cause avait été inscrite en comptabilité par la société.

9. D'autre part, la société QMG soutient qu'au titre de la période du 1er août 2015 au 31 juillet 2016, le service aurait dû prendre en compte une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 12 272 euros comptabilisée au titre de la période du 1er janvier au 31 juillet 2017. Toutefois, l'administration indique, sans être sérieusement contredite, qu'aucune taxe sur la valeur ajoutée déductible n'a été mentionnée par la société requérante sur ses déclarations CA3 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2017. En outre, la société QMG n'établit pas le caractère déductible de la taxe en question et ne précise pas la nature des dépenses qui auraient été grevées de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur les pénalités :

10. Aux termes de l'article 1788 A du code général des impôts : " () 4. Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible. / Toutefois, lorsque l'opération mentionnée au premier alinéa est une livraison à soi-même de biens prévue par l'article 257, le montant de l'amende est multiplié par le rapport entre les coûts ou les dépenses non grevés de taxe sur la valeur ajoutée figurant dans la base d'imposition de la livraison à soi-même telle qu'elle résulte de l'article 266 et la totalité de cette base d'imposition. () ".

11. L'objectif de l'amende prévue à l'article 1788 A du code général des impôts, éclairé par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1994 portant loi de finances rectificative pour 1994 dont ses dispositions sont issues, est essentiellement, dans un cas où la taxe non déclarée est elle-même immédiatement déductible, d'inciter les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée à s'acquitter avec exactitude de leurs obligations déclaratives, afin de permettre le bon fonctionnement des procédures d'échanges d'informations entre administrations fiscales des Etats membres de la Communauté européenne, prévues par le système communautaire de taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, cette amende présente le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise. Par suite, le litige relatif à son application procède d'une accusation en matière pénale au sens des stipulations précitées Cependant, d'une part, le législateur, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, a prévu aux articles 1728, 1729 et au 4 de l'article 1788 A du code général des impôts plusieurs sanctions selon que le redevable a éludé des droits en omettant de souscrire une déclaration, a éludé des droits en omettant de mentionner des opérations sur une déclaration ou a omis de déclarer des opérations sans toutefois éluder de droits en raison du caractère immédiatement déductible de la taxe afférente aux opérations omises. Le taux de la pénalité fiscale prévue au 4 de l'article 1788 A est de 5 % alors que les taux prévus aux articles 1728 et 1729 sont, selon les cas, de 10 %, 40 % ou 80 %. La loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. D'autre part, le juge de l'impôt exerce un plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration pour appliquer l'amende et décide, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d'en prononcer la décharge. Ainsi, la société QMG n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 1788 A en vertu desquelles des amendes lui ont été infligées méconnaitraient le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même que ces dispositions ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation du taux de l'amende qu'elles prévoient.

12. En outre, la société soutient que les dispositions du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts sont contraires au principe de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, à l'exception des cas où, en application de l'article 61-1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité est présentée par mémoire distinct, il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la question de la conformité d'une loi à la Constitution ou à des principes à valeur constitutionnelle. En tout état de cause, par une décision n° 2022-1009 QPC du 22 septembre 2022, le Conseil constitutionnel a jugé que, d'une part, en fixant l'amende encourue en proportion de la somme que le redevable est en droit de déduire au titre de l'opération non déclarée, le législateur a instauré une sanction dont l'assiette est en lien avec la nature de l'infraction et que, d'autre part, le taux de 5 % retenu n'est pas manifestement disproportionné au regard de la gravité du manquement que le législateur a entendu réprimer.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin de décharge de la société QMG doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E

Article 1er : La requête de la société QMG est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société QMG et à l'administrateur général des finances publiques de la direction régionale de contrôle fiscal Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Bachoffer, président,

Mme Dousset, première conseillère,

M. Khansari, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2023.

La rapporteure,

A. A

Le président,

B.R. BACHOFFER

La greffière,

L. REGNIER

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C