Tribunal administratif de Nîmes

Jugement du 20 janvier 2023 n° 2003742

20/01/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2020, et un mémoire, enregistré le 25 mars 2021, M. B C, représenté par Me Civalleri, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charges au titre de l'année 2017 en droits et pénalités ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il remplit les conditions fixées par l'article 150-0 D du code général des impôts pour bénéficier, sur la plus-value qu'il a réalisée le 15 novembre 2017 en vendant 500 actions de la SAS comacom, de l'abattement fixe de 500 000 euros et, pour le surplus éventuel, de l'abattement pour durée de détention renforcé ;

- dans sa version applicable à l'année en litige, l'article 150-0 D ter du code général précisait que la condition d'exercice d'une fonction de direction dans la société de manière continue durant les cinq années précédant la cession dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis du code général des impôts n'était pas exigée lorsque l'exercice d'une profession libérale revêtait la forme d'une société et que les parts ou actions de cette société constituaient des biens professionnels pour leur détenteur ; tel était le cas, puisque ce texte renvoyait à la définition des biens professionnels donnée par l'article 885 N du code général des impôts en matière d'impôt de solidarité sur la fortune ;

- pour tenir compte de l'article 17 du code de déontologie de sa profession, qui prévoit que lorsque les comptes d'une personne ou d'une entité sont certifiés par plusieurs commissaires aux comptes, ceux-ci doivent appartenir à des structures d'exercice professionnel distinctes, il a été amené à intervenir, pour certains clients, dans le cadre de mandats personnels de commissaire aux comptes ainsi qu'au travers de la société Comacom ; la condition de rémunération doit donc s'apprécier en faisant masse de l'ensemble des rémunérations perçues au titre de l'exercice de son activité professionnelle, celle-ci constituant un seul et unique bien professionnel ;

- le service a reconnu le caractère de bien professionnel des titres de Comacom dans le cadre du contrôle de ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2013 à 2017 ;

- ne pas admettre le cumul des différentes rémunérations qu'il a ainsi perçues dans l'exercice activités similaires, connexes et complémentaires à la fois à titre individuel et au travers de sa société d'exercice professionnel pour apprécier la condition de rémunération prévue à l'article 150-0 D ter du code général des impôts le priverait du bénéfice des abattements fixe et renforcé et conduirait à une rupture d'égalité devant l'impôt.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2021, le directeur départemental des finances publiques du Gard, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de Mme Lellig, rapporteure publique,

- et les observations de Me Basmadjian, représentant M. C.

Une note en délibéré a été présentée pour M. C le 11 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 novembre 2017, M. C, expert-comptable et commissaire aux comptes, président de la société Comacom, a cédé 500 parts qu'il détenait dans cette société, réalisant ainsi une plus-value de 561 710 euros, qu'il a déclaré sous le régime de faveur prévu à l'article 150-0 D ter du code général des impôts, applicable en cas de départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises. Considérant non réunies les conditions pour bénéficier de cet abattement fixe de 500 000 euros, le service a procédé à une rectification de la base imposable à l'impôt sur le revenu de M. C à hauteur 180 844 euros. En conséquence, l'administration fiscale lui a notifié des cotisations supplémentaires en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2017 à hauteur de 90 298 euros en droits et pénalités, mis en recouvrement le 31 janvier 2020. Suite au rejet le 5 octobre 2020 de sa réclamation préalable, M. C demande la décharge de ces impositions, en droits et pénalités.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 150-0 D ter du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " I - 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 D et déterminés dans les conditions prévues au même article retirés de la cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits portant sur ces actions ou parts sont réduits d'un abattement fixe de 500 000 € et, pour le surplus éventuel, de l'abattement prévu au 1 quater dudit article 150-0 D lorsque les conditions prévues au 3 du présent I sont remplies. () / 3. Le bénéfice des abattements mentionnés au 1 est subordonné au respect des conditions suivantes : / 1° La cession porte sur l'intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de 50 % des droits de vote () ; / 2° Le cédant doit : / a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions mentionnées à ce même 1° ; / Toutefois, cette condition n'est pas exigée lorsque l'exercice d'une profession libérale revêt la forme d'une société anonyme ou d'une société à responsabilité limitée et que les parts ou actions de ces sociétés constituent des biens professionnels pour leur détenteur qui y a exercé sa profession principale de manière continue pendant les cinq années précédant la cession ; / b) Avoir détenu directement (), de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote () de la société dont les titres ou droits sont cédés ; / c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession ; () ". Selon l'article 885 O bis alors applicable : " Les parts et actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option, sont également considérées comme des biens professionnels si leur propriétaire remplit les conditions suivantes : / 1° Etre, soit gérant nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, soit associé en nom d'une société de personnes, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions. / Les fonctions mentionnées au premier alinéa du présent 1° doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale, dans les catégories imposables à l'impôt sur le revenu des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux et revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62, au regard des rémunérations du même type versées au titre de fonctions analogues dans l'entreprise ou dans des entreprises similaires établies en France. Cette rémunération doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu dans les mêmes catégories, à l'exclusion des revenus non professionnels ; () ". Enfin, selon l'article 885 N du même code alors en vigueur : " Les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels. / Sont présumées constituer une seule profession les différentes activités professionnelles exercées par une même personne et qui sont soit similaires, soit connexes et complémentaires. / Sont considérées comme des biens professionnels les parts ou actions détenues par une personne mentionnée au premier alinéa dans une ou plusieurs sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés lorsque chaque participation, prise isolément, satisfait aux conditions prévues à l'article 885 O bis pour avoir la qualité de biens professionnels ".

3. Il résulte de ces dispositions, qui compte tenu de leur caractère dérogatoire, doivent être interprétées strictement, que le bénéfice de l'abattement prévu à l'article 150-0 D ter du code général des impôts est subordonné au respect de plusieurs conditions relatives à la personne du cédant, tenant notamment à l'exercice effectif de fonctions de direction normalement rémunérées au sein de la société dont les titres sont cédés et à ce qu'il ait cessé toute fonction au sein de cette même société et fait valoir ses droits à la retraite au cours d'une période de quatre années allant de deux ans avant à deux ans après la cession.

4. Si les dispositions précitées du 1er alinéa du a) du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts subordonnent le bénéfice de cet abattement à la condition que les fonctions de direction confiées au cédant soient effectivement exercées par celui-ci et aient donné lieu au versement d'une rémunération normale, qui doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62, le cédant est toutefois dispensé du respect de cette condition par le second alinéa du a du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, uniquement dans le cas de l'exercice d'une profession libérale revêtant la forme d'une société anonyme ou d'une société à responsabilité limitée et sous réserve que le détenteur des parts ou actions de cette société ait exercé au sein de cette même société sa profession principale de manière continue pendant les cinq années précédant la cession.

5. Il résulte de l'instruction, notamment du grand livre des comptes pour les exercices 2012 à 2016 inclus, que M. C, associé à 99,99% de la société Comacom, qui lui versait des honoraires pour ses prestations d'expert-comptable et de commissaire aux comptes, n'a pas été rémunéré pour les fonctions de président de cette société dont il a cédé ses parts, ce qu'il indique d'ailleurs lui-même dans ses écritures. Il ne remplit donc pas la condition, fixée au 1er alinéa du a) du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, d'exercice effectif de fonctions de direction donnant lieu à rémunération normale représentant plus de la moitié des revenus à raison desquelles il était soumis à l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues à l'article 885 O bis du code général des impôts.

6. En admettant que la société Comacom, qui est n'est ni une société anonyme ni une société à responsabilité limitée mais une société par actions simplifiée, entre dans le champ d'application de l'exception prévue au 2nd alinéa du a) du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts alors que ces dispositions dérogatoires sont d'interprétation stricte, M. C, qui facturait ses prestations à ladite société, agissait en qualité de sous-traitant de la société Comacom et ne pouvait, par conséquent, être regardé comme ayant exercé sa profession au sein de cette société.

7. Par ailleurs, si M. C soutient que le caractère de bien professionnel des titres de Comacom dans le cadre du contrôle de ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2013 à 2017, l'administration fiscale fait à juste valoir en défense, sans être contredite, qu'aucune prise de position formelle dont il pourrait se prévaloir ne lui a été communiquée suite au dépôt de ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune. Ce moyen doit donc être écarté.

8. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (). L'article R 771-3 du code de justice administrative dispose : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que le cas échéant l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". L'article R 771-4 du même code prévoit que " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R 611-7 et R 612-1 ".

9. Si le requérant se prévaut d'une rupture d'égalité devant l'impôt, ce moyen, qui doit être regardé comme tiré de la méconnaissance par la loi des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, n'a pas été présenté dans un mémoire distinct portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité " contrairement aux exigences des dispositions précitées. Il n'est par suite pas recevable et doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que M. C ne remplit pas au moins une des conditions cumulatives fixées à l'article 150-0 D ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition 2017, pour bénéficier de l'abattement en litige. Sa requête doit donc être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1 er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B C et au directeur départemental des finances publiques du Gard.

Délibéré après l'audience du 6 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Peretti, président,

M. Parisien, premier conseiller,

Mme Bertrand, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2023.

La rapporteure,

B. A

Le président,

P. PERETTILe greffier,

D. BERTHOD

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.