Cour d'Appel de Poitiers

Arrêt du 12 janvier 2023 n° 22/01420

12/01/2023

Autre

VC/PR

 

ARRET N° 19

 

N° RG 22/01420

 

N° Portalis DBV5-V-B7G-GR2G

 

[M]

 

C/

 

S.A. CLINIQUE [5]

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE POITIERS

 

Chambre Sociale

 

ARRÊT DU 12 JANVIER 2023

 

Décision déférée à la Cour : Ordonnance de référé du 20 mai 2022 rendue par le Conseil de Prud'hommes de SAINTES

 

APPELANTE :

 

Madame [S] [M]

 

née le 24 janvier 1970 (PORTUGAL)

 

[Adresse 4]

 

[Localité 2]

 

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

 

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandra DUPUY, avocat au barreau de la ROCHELLE-ROCHEFORT

 

INTIMÉE :

 

S.A. CLINIQUE [5]

 

N° SIRET : 715 450 052

 

[Adresse 3]

 

[Localité 1]

 

Ayant pour avocat postulant Me François-Xavier GALLET de la SELARL GALLET & GOJOSSO AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS

 

Ayant pour avocat plaidant Me Maiwenn LE GLEAU du CABINET ACTANCE, avocat au barreau de PARIS

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 19 octobre 2022, en audience publique, devant :

 

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

 

Madame Valérie COLLET, Conseiller qui a présenté son rapport

 

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

 

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

 

Madame Valérie COLLET, Conseiller

 

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

 

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE

 

ARRÊT :

 

- CONTRADICTOIRE

 

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

 

- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE

 

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er avril 2018, la SA Clinique [5] a engagé Mme [S] [M] en qualité d'employée administrative.

 

La loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire publiée au Journal Officiel le 6 août 2021 est venue fixer une nouvelle obligation vaccinale afin d'exercer certaines fonctions, notamment pour les personnes qui travaillent dans les établissements de santé.

 

Au cours du mois d'août puis en début du mois de septembre 2021, la Clinique [5] a attiré l'attention de son personnel sur les obligations prévues aux termes de la loi du 5 août 2021 ainsi que sur les conséquences du non-respect de ces obligations, et notamment sur la suspension du contrat de travail en cas de non-présentation du justificatif imposé par la loi.

 

Le 17 septembre 2021, la Clinique [5] a informé sa salariée, par courrier remis en main propre, que faute pour elle de produire un justificatif de vaccination contre le virus de la COVID19, son contrat de travail était suspendu et sa rémunération cessait de lui être versée. Cette suspension a ensuite été confirmée par lettre recommandée avec avis de réception du 20 septembre 2021.

 

Par courrier du 28 septembre 2021, Mme [M] a contesté auprès de son employeur la suspension de son contrat de travail, estimant qu'il s'agissait d'une sanction pécuniaire prohibée ne reposant sur aucun fondement. La Clinique [5] a répondu le 6 octobre 2021 en rappelant les textes en vigueur fondant la décision de suspension du contrat de travail.

 

Par requête du 27 janvier 2022, Mme [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saintes en sa formation de référé, d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 14-2 de la loi du 5 août 2021 n°2021-1040 et dans l'attente, d'une demande de réintégration, de reprise du paiement de son salaire et du paiement à titre provisionnel d'un rappel de salaires.

 

Par ordonnance du 20 mai 2022, le conseil de prud'hommes a :

 

- déclaré que la question prioritaire de constitutionnalité est dénuée de caractère serieux et dit n'y avoir lieu à transmettre à la cour de cassation,

 

- dit que la Clinique [5] a parfaitement appliqué les dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021,

 

- dit que les demandes de Mme [S] [M] n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions des articles R 1455-6 et R 1455-7 du code du travail,

 

- dit qu'il n'y a pas lieu à référé et jugé irrecevables les demandes de Mme [S] [M],

 

- l'a déboutée en conséquence de l'intégralité de ses demandes,

 

- dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté en conséquence Mme [S] [M] et la Clinique [5] de leurs demandes à ce titre,

 

- laissé les dépens à la charge de Mme [S] [M].

 

Mme [M] a interjeté appel de cette ordonnance le 2 juin 2022.

 

Par conclusions notifiées le 11 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [M] demande à la cour d'infirmer l'ordonnance attaquée et de :

 

- Voir transmise au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 14-2 de la loi du 5 aout 2021 n° 2021-1040,

 

- Dans l'attente de la position de la Cour de Cassation et du Conseil Constitutionnel et en tout état de cause dire que la suspension de son contrat de travail constitue un trouble manifestement illicite,

 

En conséquence,

 

- Faire interdiction à la Clinique [5] de maintenir la suspension de son contrat de travail,

 

- Ordonner sa réintégration sous astreinte de 150 € par jour à compter de la décision à intervenir,

 

- Ordonner la reprise du paiement de son salaire,

 

- Ordonner le paiement d'une provision sur rappel de salaire au titre des salaires impayés de septembre à décembre 2021 et janvier 2022 : 8201,20 € bruts outre 820,12 € bruts de congés payés afférents,

 

- Débouter la Clinique [5] de toutes ses demandes,

 

- Condamner la Clinique [5] à lui payer une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, outre 3000 € en cause d'appel et les dépens,

 

Se fondant sur les articles 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 23-2 et 23-4 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sur le préambule de la Constitution de 1946, sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république, et sur la Charte de l'environnement de 2004, elle explique que :

 

- la disposition contestée est applicable au litige puisque dans un arrêt du 15 décembre 2021 (Pourvoi n° 21-40.02), la Cour de cassation a jugé que l'article 14-2 de la loi du 5 aout 2021 n° 2021-1040 était applicable au litige,

 

- l'article 14-2 de la loi du 5 aout 2021 n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

 

- la suspension de son contrat de travail résulte directement de l'application de l'article 14-2 de la loi du 5 août 2021 et qu'en raison de ses opinions, elle se retrouve privée de son emploi et de sa rémunération de sorte que la question est sérieuse et nouvelle.

 

Elle soutient que l'article 14-2 de la loi du 5 août 2021 n'est manifestement pas conforme à la constitution. Elle estime que le fait d'être privée de son travail et de sa rémunération constitue un trouble manifestement illicite. Elle prétend que la suspension de son contrat de travail constitue d'une part, une sanction pécuniaire discriminatoire en raison de son état de santé qui est disproportionnée par rapport au but recherché et d'autre part, une atteinte à sa vie privée et à son droit de refuser un traitement médical.

 

Par conclusions notifiées le 25 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la Clinique [5] demande à la cour de confirmer l'ordonnance de référé sauf en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes à ce titre. Elle sollicite alors la condamnation de Mme [M] à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Elle soutient tout d'abord que le conseil constitutionnel a déjà validé le principe de l'obligation vaccinale dans sa décision n°2021-824 DC du 5 août 2021, précisant que le conseil constitutionnel a examiné tant l'article 1er que l'article 14 I A de la loi du 5 août 2021 qui fixent le principe de la suspension du contrat de travail d'un salarié qui ne présente pas les justificatifs imposés par ladite loi et l'une de ses conséquences immédiate et principale, à savoir l'interruption du versement de la rémunération. Elle ajoute que l'article 14-2 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 a, quant à lui, pour objet de fixer les modalités d'application de cette règle et la procédure à suivre et fait valoir que le Conseil d'Etat a récemment refusé de transmettre au Conseil constitutionnel plusieurs questions prioritaires des constitutionnalité soulevées par des soignants portant sur l'obligation vaccinale contre la COVID 19. Elle affirme que le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du droit à l'emploi et du droit à la protection de la santé pour en conclure que la question posée par Mme [M] n'est ni nouvelle ni sérieuse.

 

Elle prétend par ailleurs que Mme [M] formule des demandes devant la formation de référé sans pour autant rapporter la preuve que les conditions encadrant la compétence de cette juridiction sont réunies. Elle estime que la preuve du trouble manifestement illicite n'est pas établie puisqu'elle n'a fait qu'appliquer la loi et a été contrainte de suspendre le contrat de travail de Mme [M], sous peine de sanction. Elle explique qu'il est en outre totalement impossible de réintégrer la salariée si cette dernière ne satisfait pas à son obligation vaccinale, eu égard à l'impératif de santé et de sécurité incombant à l'employeur. Elle en conclut qu'il n'y a pas lieu à référé.

 

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 19 octobre 2022 lors de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 12 janvier 2023.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

Aux termes des articles 23-1 de la loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la constitution modifiant l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 : 'Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.'

 

Selon l'article 126-2 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile : 'A peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé, y compris à l'occasion d'un recours contre une décision réglant tout ou partie du litige dans une instance ayant donné lieu à un refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Le juge doit relever d'office l'irrecevabilité du moyen qui n'est pas présenté dans un écrit distinct et motivé.'

 

L'article 126-4 du code de procédure civile prévoit également que le juge statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, le ministère public avisé et les parties entendues ou appelées.

 

En l'espèce, contrairement à ce qu'indique Mme [M] dans ses conclusions, la cour n'a été destinataire d'aucun écrit distinct et motivé présentant la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle pose, ni au stade de la déclaration d'appel ni postérieurement jusqu'à la clôture des débats. Il y a donc lieu d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur le moyen soulevé d'office par la cour d'appel tendant à l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [M] à défaut de l'avoir présentée dans un écrit distinct de ses conclusions.

 

La cour ordonne par ailleurs la communication du dossier à M. le procureur général près la cour d'appel afin qu'il fasse connaître son avis éventuel.

 

PAR CES MOTIFS

 

Ordonne avant-dire-droit la réouverture des débats et invite les parties à présenter leurs observations sur le moyen soulevé d'office par la cour tiré de l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [S] [M] à défaut d'écrit distinct et motivé,

 

Ordonne la communication du dossier à M. le procureur général près la cour d'appel de Poitiers pour avis éventuel,

 

Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience collégiale de la chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers du :

 

mercredi 8 mars 2023

 

à 9 heures 15,

 

Réserve les dépens.

 

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,