Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 9 janvier 2023 n° 2014392

09/01/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2020, la société Hôtel Grill Lyon Ecully, représenté par Me Zapf, demande au tribunal :

1°) de prononcer la restitution partielle des impositions primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie à hauteur d'un montant de 8.632 euros au titre de l'année 2018 et d'un montant de 8.197 euros au titre de l'année 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1.500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les dispositions de l'article 15-I de la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont contraires aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2021, la directrice chargée de la direction des grandes entreprises conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 17 juin 2021, la société Hôtel Grill Lyon Ecully demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 15-I de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, dans sa rédaction issue de la loi

organique du 10 décembre 2009 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;

- la décision QPC n° 2017-629 du Conseil constitutionnel du 19 mai 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thobaty, premier conseiller,

- les conclusions de M. Iss, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Hôtel Grill Lyon Ecully a déclaré et liquidé la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) due au titre des années 2018 et 2019. Cette société a présenté deux réclamations tendant à la restitution partielle des impositions primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie acquittées au titre des années 2018 et 2019, qui ont fait l'objet de décisions de rejet. Par la présente requête, la société requérante demande la restitution partielle de ces impositions primitives à hauteur d'un montant de 8.632 euros au titre de l'année 2018 et d'un montant de 8.197 euros au titre de l'année 2019.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. La société Hôtel Grill Lyon Ecully soutient que le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts est contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques consacrés par les dispositions des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, reprises dans le préambule de la Constitution.

3. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaitraient le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques en ce qu'elles instaureraient une différence de traitement uniquement fondée sur le mode de détention de la société redevable de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises. A cet effet, elle produit un tableau montrant cette différence de traitement dans le cas d'une société en nom collectif dont le montant de la contribution contestée serait significativement augmenté dès lors qu'elle aurait opté pour l'impôt sur les sociétés, qu'elle appartienne ou non à un groupe d'intégration fiscale au sens des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts. Toutefois, ce résultat est la conséquence d'un choix de gestion de telle société, qui lui est opposable, et non celui d'une inégalité devant les charges publiques ou devant la loi que les dispositions en litige auraient induite.

4. En deuxième lieu, la société requérante relève que les dispositions du I bis de l'article 1586 quater entraineraient une inégalité de traitement face aux exonérations de contribution à la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, et afin de respecter les capacités contributives de chaque entreprise, les dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts prévoient un mécanisme de plafonnement de la contribution économique territoriale, participant ainsi directement à la modération de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises, dont elle est une composante.

5. En troisième lieu, la société requérante soutient que le dispositif du I bis de l'article 1586 quater serait inconstitutionnel en ce qu'il aboutirait dans certains cas, à une double imposition du fait de l'absence de neutralisation des facturations intragroupes. Toutefois, ce moyen manque en fait comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité visée précédemment dès lors que la contribution à la valeur ajoutée des entreprises est une imposition distincte de l'impôt sur les sociétés.

6. En quatrième lieu, la société Hôtel Grill Lyon Ecully ne peut utilement souligner la rupture d'égalité instaurée par les dispositions contestées à l'égard des sociétés en participation, en l'absence de capital ne permettant pas la consolidation avec ses associés dès lors qu'une telle consolidation peut être opérée avec le chiffre d'affaires des entreprises dont elle détient le capital dans les conditions prévues par le I de l'article 223 A du code général des impôts.

7. En cinquième lieu, la société Hôtel Grill Lyon Ecully estime que les dispositions litigieuses ne répondent pas à un critère rationnel en poursuivant un objectif de lutte contre d'éventuels montages d'optimisation fiscale, déjà prévu par les dispositions du III de l'article 1586 quater du code général des impôts. Cependant ces dernières dispositions sont réservées aux situations d'apport, de cession d'activité, de transmission universelle de patrimoine prévues à l'article 1844-5 du code civil intervenues après le 1er janvier 2010 ou de scission réalisées à compter du 22 octobre 2009. Les dispositions critiquées ne sont donc pas redondantes et répondent à un critère rationnel.

8. En sixième lieu, si la société requérante soutient que les différences de traitement qu'elle a relevées ne sont pas justifiées par des critères objectifs et rationnels, il résulte de l'instruction qu'en réservant ce dispositif aux sociétés ayant entre elles un lien capitalistique fort et appartenant à un groupe économique, le législateur a retenu un critère objectif et économiquement cohérent, un tel dispositif répondant à un but d'intérêt général, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision visée précédemment.

9. En dernier lieu, le dispositif critiqué ne peut être regardé comme ayant pour unique but un rendement budgétaire dès lors qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, ce dispositif ne s'applique qu'en cas de chiffre d'affaires supérieur à 7 630 000 euros et, d'autre part, il respecte les capacités contributives des sociétés auquel il s'applique, comme il a été indiqué au point 5 du présent jugement, le seuil d'application de la contribution étant par ailleurs maintenu à 152 200 euros de chiffre d'affaires et les écarts obtenus entre les montants de contribution à la valeur ajoutée des entreprises exigibles en présence de groupe économique et ceux exigibles en l'absence de tel groupe n'étant pas disproportionnés au regard de l'intérêt général qui s'attache à ce dispositif.

10. Par suite, la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les conclusions à fin de décharge :

11. D'une part, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " et en vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi.

12. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 1586 quater du code général des impôts, telles que modifiées par les dispositions du I de l'article 15 de la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " I. - Les entreprises bénéficient d'un dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il est égal à la différence entre le montant de cette cotisation et l'application à la valeur ajoutée mentionnée au 1 du II de l'article 1586 ter d'un taux calculé de la manière suivante : () I bis.- Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 €. ".

13. En premier lieu, la société requérante soutient que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, caractérise une discrimination prohibée par les stipulations ci-dessus reproduites.

14. Il résulte toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de laquelle sont issues les dispositions contestées qu'en prévoyant des règles de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe en ce qu'elles remplissent les conditions de détention prévues par le I de l'article 223 A du code général des impôts, quels que soient leur régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. Le moyen n'est dès lors pas fondé et doit, par suite, être écarté.

15. En second lieu, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière des groupes de sociétés, indépendamment de la date de leur constitution, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour leur appliquer les règles de droit commun pour la détermination, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. Les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts n'ont, contrairement à ce que soutient la société requérante, aucune incidence sur l'appréciation du seuil d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, fixé à l'article 1586 ter du code général des impôts, et n'ont nullement pour effet de soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui, sans ces dispositions, en seraient exclues faute d'atteindre le seuil d'assujettissement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander la décharge d'une partie de ces impositions primitives établies au titre des années 2018 et 2019. L'Etat n'étant pas la partie perdante, les conclusions présentées par la société requérante et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Hôtel Grill Lyon Ecully.

Article 2 : La requête de la société Hôtel Grill Lyon Ecully est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Hôtel Grill Lyon Ecully et à la directrice chargée de la direction des grandes entreprises.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Toutain, président,

- M. Thobaty, premier conseiller,

- M. Puechbroussou, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2023.

Le rapporteur,

G. Thobaty

Le président,

E. Toutain

La greffière,

 

S. Desplan

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C