Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 30 décembre 2022 n° 21PA01113

30/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née le 7 juin 2020 du silence du président de l'Assemblée nationale sur sa demande, en date du 7 avril 2020, visant à ce que le bureau de l'Assemblée nationale prononce la rétractation de la levée de son immunité parlementaire et, d'autre part, d'enjoindre au président de l'Assemblée nationale de réexaminer cette demande.

Par une ordonnance n° 2012165 du 21 janvier 2021, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 4 mars 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 11 juin 2021, M. A, représenté par la société civile professionnelle d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation Spinosi, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 21 janvier 2021 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née le 7 juin 2020 du silence du président de l'Assemblée nationale sur sa demande du 7 avril 2020 visant à ce que le bureau de l'Assemblée nationale prononce la rétractation de la levée de son immunité parlementaire ;

3°) d'enjoindre au président de l'Assemblée nationale de réexaminer la demande dont il a été saisi ;

4°) de mettre à la charge de l'Assemblée nationale le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance est irrégulière en ce que le tribunal administratif a décliné la compétence de la juridiction administrative, alors que la décision contestée a été prise par le président de l'Assemblée nationale dans le cadre d'une fonction purement administrative et qu'étaient en cause le droit à un recours effectif et l'interprétation des normes constitutionnelles ;

- elle est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle se fonde sur un mémoire du président de l'Assemblée nationale non communiqué, en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure suivie, prévu à l'article R. 611-1 du code de justice administrative ;

- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de base légale, dès lors qu'elle a été prise sur le fondement de dispositions qui méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

Par deux mémoires, enregistrés les 6 mars et 27 juillet 2021, M. A demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du quatrième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Il soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au présent litige ;

- le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011, ne s'est prononcé que sur la conformité à la Constitution du caractère limitatif de la notion de " litiges d'ordre individuel " au regard du statut de l'action syndicale au sein des assemblées parlementaires ;

- la notion de " changement des circonstances " inclut le cas où, en raison d'une nécessité impérieuse affectant le principe même de la séparation des pouvoirs, comme en l'espèce, une disposition législative déjà déclarée conforme doit pouvoir faire l'objet d'un réexamen par le juge constitutionnel ;

- les dispositions contestées, en limitant la possibilité de saisir le juge administratif s'agissant des actes d'une assemblée parlementaire, méconnaissent tant la garantie des droits que la séparation des pouvoirs protégées par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Par deux mémoires, enregistrés les 6 mars et 27 juillet 2021, M. A demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 9 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

Il soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au présent litige ;

- aucune décision du Conseil constitutionnel n'a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans ses motifs et son dispositif ;

- en ne prévoyant pas que le bureau de chaque assemblée puisse réexaminer et, le cas échéant, rétracter une autorisation de levée d'immunité parlementaire, lorsqu'il apparaît postérieurement à cette autorisation que la demande présentée à cette fin ne présentait pas de caractère sérieux, loyal et sincère, le législateur a méconnu sa compétence dans des conditions qui privent de garantie le principe de séparation des pouvoirs protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mai 2021, l'Assemblée nationale, représentée par Me Fergon (SELAS ARCO-LEGAL) conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par deux mémoires, enregistrés les 12 mai et 30 août 2021, l'Assemblée nationale soutient que les conditions posées pour la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une telle question lorsque le litige ne relève pas de la juridiction administrative, que ces dispositions ont déjà été jugées conformes à la Constitution et que le requérant n'est fondé à invoquer aucun changement de circonstance. Elle conclut en outre à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par deux mémoires, enregistrés les 12 mai et 30 août 2021, l'Assemblée nationale soutient que les conditions posées pour la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l'article 9 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une telle question lorsque le litige ne relève pas de la juridiction administrative et que la question ne présente pas de caractère sérieux. Elle conclut en outre à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses article 26 et 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Fergon, avocat de l'Assemblée nationale.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 26 de la Constitution : " Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ".

2. Par une décision du 11 juillet 2018, le bureau de l'Assemblée nationale a, à la requête du procureur général près la cour d'appel de Versailles en date du 19 juin 2018, autorisé l'audition de M. B A, député, sous le régime de la garde à vue en application du deuxième alinéa de l'article 26 de la Constitution. Arguant de ce que la demande adressée au bureau de l'Assemblée nationale aurait été délibérément entachée de " mensonges " et de " déloyauté ", l'intéressé a, le 7 avril 2020, demandé au président de l'Assemblée qu'il saisisse à nouveau le bureau aux fins de reconsidérer la décision du 11 juillet 2018 et de la " rétracter ". Le président de l'Assemblée nationale n'ayant pas répondu à cette demande, M. A a contesté devant le tribunal administratif de Paris la décision implicite de rejet née de ce silence gardé. La présidente de la 4ème section de cette juridiction a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître par une ordonnance du 21 janvier 2021, dont l'intéressé relève appel devant la Cour.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Il ressort des pièces de la procédure devant le premier juge que, après s'être constitué le 11 décembre 2020, l'avocat chargé de représenter l'Assemblée nationale a seulement, par un courrier du 17 décembre 2020, demandé la communication du mémoire du requérant soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, enregistré au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2020. Par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir que, faute de lui avoir communiqué le document enregistré le 17 décembre 2020, la présidente de la 4ème section du tribunal aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure et, ce faisant, entaché son ordonnance d'irrégularité.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition tant le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif que la séparation des pouvoirs, entre lesquels le législateur doit assurer une conciliation qui ne soit pas disproportionnée.

5. Le régime de levée de l'immunité dont il bénéficie fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières résultent de la nature de ses fonctions et qui se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Eu égard à la nature de cette activité, il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs au régime de la levée de l'immunité parlementaire.

6. M. A fait valoir, il est vrai, que l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires donne compétence à la juridiction administrative pour connaître de certains litiges relatifs aux assemblées parlementaires, en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité contre les dispositions de son quatrième alinéa, qui donnent un caractère limitatif à l'énumération de ces litiges. Il invoque, également, le droit au procès équitable tel que le garantit l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

8. Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, prise sur le fondement de l'article 92 de la Constitution alors en vigueur et modifiée par la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine : " L'État est responsable des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires. / Les actions en responsabilité sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître. / Les agents titulaires des services des assemblées parlementaires sont des fonctionnaires de l'État dont le statut et le régime de retraite sont déterminés par le bureau de l'assemblée intéressée, après avis des organisations syndicales représentatives du personnel. Ils sont recrutés par concours selon des modalités déterminées par les organes compétents des assemblées. La juridiction administrative est appelée à connaître de tous litiges d'ordre individuel concernant ces agents, et se prononce au regard des principes généraux du droit et des garanties fondamentales reconnues à l'ensemble des fonctionnaires civils et militaires de l'État visées à l'article 34 de la Constitution. La juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics. / Dans les instances ci-dessus visées, qui sont les seules susceptibles d'être engagées contre une assemblée parlementaire, l'État est représenté par le président de l'assemblée intéressée, qui peut déléguer cette compétence aux questeurs. () ".

9. L'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 a déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011. La circonstance que ce dernier s'est prononcé, dans sa décision, sur une critique portant sur un point différent de celui contesté par la présente question prioritaire de constitutionnalité est, à cet égard, dépourvue d'incidence. Par ailleurs, les circonstances de fait invoquées par le requérant et résultant du caractère prétendument falsifié de certaines pièces ayant fondé les poursuites pénales engagées à son encontre, pas davantage que la circonstance selon laquelle le principe même de la séparation des pouvoirs pourrait, à son sens, être en cause, ne peuvent être regardées comme un " changement des circonstances " au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-2 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Par suite, la condition posée au 2° de cet article ne peut être regardée comme satisfaite et il n'y a donc pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par M. A, portant sur le quatrième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

10. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. () ".

11. Ainsi que l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme, l'immunité accordée aux parlementaires vise les buts légitimes que sont la protection de la liberté d'expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, pour assurer l'indépendance du Parlement dans l'accomplissement de sa mission, et la décision de levée ou de non-levée de l'immunité s'inscrit dans l'exercice de l'autonomie parlementaire. La circonstance que le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de la décision par laquelle le président de l'Assemblée nationale a refusé de saisir le bureau de cette assemblée de la demande de M. A tendant à la " rétractation " de la levée de son immunité parlementaire, qui est sans incidence sur le droit du requérant de bénéficier d'un procès équitable devant le juge pénal, ne peut être regardée comme portant au droit de l'intéressé à un tribunal une atteinte qui serait disproportionnée au but légitime poursuivi.

12. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l'article 9 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958, que M. A n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à l'Assemblée nationale, au titre des frais exposés par elle du fait de la présente instance et non compris dans les dépens. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. A présentées aux mêmes fins.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité à la Constitution du quatrième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Article 2 : La requête de M. A est rejetée.

Article 3 : M. A versera une somme de 1 500 euros à l'Assemblée nationale.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et à l'Assemblée nationale.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- M. C, premier vice-président,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2022.

Le président rapporteur,

J. CLa présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C