Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 28 décembre 2022 n° 2209412

28/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 avril 2022 et un mémoire complémentaire, enregistré le 28 novembre 2022, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2021 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a prélevé sur les ressources fiscales de la ville une somme de 7 486 347 euros au titre de la recentralisation du dispositif de lutte contre la tuberculose pour l'exercice 2021, ensemble la décision du 21 février 2022 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 26 août 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 29 septembre 2022, la ville de Paris demande au Tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 252, I., 4°, c) de la loi no 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, codifié à l'article L.3334-1 du code général des collectivités territoriales.

Elle soutient que :

-ces dispositions sont applicables au litige ;

-elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

-le moyen revêt un caractère sérieux :

- ces dispositions portent atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales consacrés par les articles 72 et 72-2 de la Constitution ; en effet, les dispositions contestées ont pour objet et pour effet de lui imposer de reverser à l'État une somme que ce dernier ne lui verse plus depuis longtemps et ont une incidence particulièrement négative sur ses finances dans un contexte particulièrement difficile qui restreint l'autonomie financière des collectivités territoriales ;

-elles méconnaissent également les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de

l'homme et du citoyen de 1789.

Par des mémoires en défense, enregistré le 13 septembre 2022 et le 17 octobre 2022, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée ne soit pas transmise au Conseil d'Etat.

Il soutient que la question prioritaire de constitutionnalité ne revêt pas de caractère sérieux.

Vu :

-la délégation du président du tribunal accordé en application de l'article R. 771-7 du code de justice administrative,

-les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1,

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789,

- le code général des collectivités territoriales,

- la loi n°2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 252, I de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021: " 4° Le second alinéa de l'article L. 3334-1 est ainsi modifié : c) Sont ajoutées trois phrases ainsi rédigées : En 2021, le montant de la dotation globale de fonctionnement des départements est minoré des montants correspondant aux réductions de dotation à prévoir en application du IX du même article 77. A compter de 2021, la dotation de compensation des départements prévue à l'article L. 3334-7-1 du présent code est minorée en application de l'article 57 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020. Si le montant de la dotation de compensation est insuffisant, la différence est prélevée sur les douzièmes prévus à l'article L. 3332-1-1 du présent code. ". Ces dispositions ont été codifiées à l'article L.3334-1 du code général des collectivités territoriales.

3. La Ville de Paris soutient que ces dispositions sont contraires aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales, garantis par les articles 72 et 72-2 de la Constitution et méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 72 de la Constitution : " Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. () Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. () ". Aux termes de l'article 72-2 : " Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. () Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. () ".

5. En application de l'article 95 de la loi du 7 janvier 1983 la compétence relative à la lutte contre la tuberculose a été transférée aux départements qui ont été, de ce fait, autorisés à financer cette nouvelle compétence par des prélèvements d'impôts et taxes. L'article 71 de la loi 2004-809 du 13 août 2004 a prévu une recentralisation à la " carte " vers l'Etat, en laissant toutefois la possibilité aux départements de signer une convention avec l'Etat afin de continuer à la gérer. Ainsi le département de Paris a conclu le 19 août 2005 une convention avec l'Etat dont l'article 4 précisait que la ville conservait la dotation globale de fonctionnement qui lui avait été versée au titre de cette compétence. En application de l'article L.334-7-1 alinéa 2 le montant de la compensation couvrant ces dépenses a été gelé à compter de 2011 au montant fixé initialement, soit la somme de 7 486 347 euros. La part départementale de la dotation globale de fonctionnement de la Ville de Paris étant nulle, à compter de 2014, la Ville de Paris n'a plus perçu la somme de 7 486 347 euros due au titre de la compensation financière pour l'exercice des compétences en matière de lutte contre la tuberculose. L'article 57 de la loi n°2019-1446 du 24 décembre 2019, entré en vigueur finalement au 1er janvier 2021 en raison de la crise sanitaire, a modifié ce dispositif et a prévu la recentralisation générale et obligatoire de cette compétence, le dispositif étant désormais piloté par les Agences régionales de santé. Le décret 2020-1466 a permis toutefois aux organismes relevant d'un département d'être habilités en tant que centre de lutte anti tuberculose, CLAT, option exercée par la Ville de Paris qui a conclu pour 2021 une convention avec l'ARS fixant la dotation forfaitaire annuelle perçue à ce titre à 2,5 millions d'euros. Par un arrêté du 8 novembre 2021, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a décidé de l'application d'un prélèvement sur la fiscalité de la Ville de Paris d'un montant de 7 486 347 euros, à raison de la recentralisation de la compétence " lutte contre la tuberculose " résultant de l'article 57 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

6. Ainsi le reversement résultant de la recentralisation de la compétence " lutte contre la tuberculose " a pour objectif d'assurer la neutralité de l'opération de transfert de compétence et ne porte donc pas atteinte à la libre administration des collectivités territoriales ni à leur autonomie financière. Si la Ville de Paris fait valoir que les dispositions contestées ont pour objet et pour effet de lui imposer de reverser à l'État une somme qu'il ne lui verse plus depuis 2014 et que le mouvement de décentralisation puis de recentralisation d'une compétence a ainsi une conséquence budgétaire pour les collectivités concernées portant atteinte à leur autonomie financière, elle ne fournit aucun élément permettant d'établir sérieusement que la perte financière résultant des dispositions contestées serait d'une ampleur telle qu'elle serait susceptible d'entraver la libre administration qui lui est reconnue et de porter atteinte à son autonomie financière alors que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris fait valoir en défense que, initialement les départements avaient été autorisés à financer cette nouvelle compétence par des prélèvements d'impôts et taxes et que dans le cadre de la recentralisation de la compétence, une mission inter-inspection a estimé que le département de Paris avait reçu de l'Etat une somme évaluée en 2021 à 7 486 347 euros. Par ailleurs, il est constant que la Ville de Paris a perçu une dotation forfaitaire annuelle de 2,5 millions d'euros à la suite de la conclusion en 2021 d'une convention avec l'ARS pour les organismes habilités en tant que centre de lutte anti tuberculose. La Ville de Paris ne peut, dès lors, soutenir que les articles 72 et 72-2 de la Constitution ont été méconnus.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose.

8. La Ville de Paris soutient que les dispositions critiquées règlent de façon différente des situations différentes et souligne que " les départements ayant conservé la compétence de lutte contre la tuberculose et dont la dotation globale de fonctionnement est supérieure à 7 486 347 euros voient celle-ci être minorée, tandis que les départements ayant conservé cette compétence et dont la dotation globale de fonctionnement est inférieure à 7 486 347 euros voient leur dotation globale de fonctionnement être réduite à néant, mais encore leurs ressources fiscales propres être amputées de la différence. ". Elle ajoute que ces dispositions entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, dans la mesure où seulement certaines collectivités voient leur situation budgétaire se dégrader en application des dispositions litigieuses.

9. Toutefois, les dispositions litigieuses ont pour objet, ainsi qu'il vient d'être dit, de procéder pour l'ensemble des collectivités locales au reversement des dotations liées à la compétence " lutte contre la tuberculose " recentralisée. La circonstance que certaines collectivités locales soient prélevées sur leur ressource financières résulte de ce qu'elles sont placées dans une situation différente, le défaut de dotation globale sur laquelle pourrait s'imputer le reversement litigieux étant la conséquence de leur richesse. Contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, ces dispositions destinées à assurer la neutralité de l'opération de transfert de compétence sont en rapport direct avec l'objet de la loi et n'entrainent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait être regardé comme présentant un caractère sérieux.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Ville de Paris.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ville de Paris et au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris.

Fait à Paris, le 28 décembre 2022.

La présidente de la 2ème section,

J. EVGENAS