Tribunal administratif de Nantes

Ordonnance du 27 décembre 2022 n° 2209989

27/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 1er août 2022, M. A B demande au tribunal, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur son recours contre la décision du préfet de police de Paris du 24 novembre 2021 déclarant irrecevable sa demande d'acquisition de la nationalité française, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article 21-26 du code civil.

Il soutient que :

- en prévoyant que sont désignés par décret les pays en union douanière avec la France dans lesquels le séjour est assimilé à la résidence en France lorsque cette résidence constitue une condition de l'acquisition de la nationalité française, le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer pour quels pays, parmi ceux en union douanière avec la France, la résidence est assimilée à la résidence en France et, ce faisant, méconnu la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant la nationalité ;

- la nationalité, qui conditionne la citoyenneté française, permet d'accéder à de nombreux droits fondamentaux et libertés fondamentales, parmi lesquels le droit de vote et d'éligibilité, ce dont résulte que cette méconnaissance de l'article 34 de la Constitution entraîne une méconnaissance de l'article 3 de la Constitution.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, auxquels la question prioritaire de constitutionnalité a été transmise, n'a pas produit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. / () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. ". Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant : / () / -la nationalité () ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

3. Aux termes de l'article 3 de la Constitution : " La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. / Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. / Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. / Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. ".

4. Aux termes de l'article 21-16 du même code : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation. ". Aux termes de l'article 21-26 du code civil, qui est au nombre des dispositions communes à certains modes d'acquisition de la nationalité française : " Est assimilé à la résidence en France lorsque cette résidence constitue une condition de l'acquisition de la nationalité française : / 2° Le séjour dans les pays en union douanière avec la France qui sont désignés par décret ; / () ". Aux termes de l'article 65 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Est assimilé à la résidence en France pour l'application de l'article 21-26 du code civil le séjour dans la Principauté de Monaco. ".

5. Il résulte de l'article 21-16 du code civil que la résidence en France est une condition de l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique. Dès lors, le 2° de l'article 21-26 du code civil est applicable au litige en tant que ce texte s'applique à l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique, par naturalisation en application de l'article 21-15 du code civil.

6. La naturalisation, qui n'est pas une liberté dès lors que son bénéfice est subordonné à une décision préalable de l'autorité publique, n'est pas non plus un droit. Elle n'est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution. Dès lors, le 2° de l'article 21-26 du code civil, en ce qu'il prévoit que sont désignés par décret les pays en union douanière avec la France dans lesquels le séjour est assimilé à la résidence en France lorsque cette résidence constitue une condition de la naturalisation, n'affecte pas par lui-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Ne privant d'aucune garantie les droits et libertés attachés à la nationalité française ou en découlant, il ne méconnaît pas non plus l'article 3 de la Constitution.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. B est, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

 

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Nantes, le 27 décembre 2022.

Le président,

A. DURUP DE BALEINE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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