Tribunal administratif de Rennes

Jugement du 22 décembre 2022 n° 2105771

22/12/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 novembre 2021 et le 28 novembre 2022, Mme B C, représentée par Me Mandroyan, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 20 septembre 2021 par laquelle la directrice des ressources humaines de l'établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidences Mareva l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, à compter du 24 septembre 2021 et jusqu'à production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ;

2°) d'enjoindre à l'EHPAD de la réintégrer dans ses fonctions et de lui verser ses salaires depuis sa suspension dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'EHPAD Résidences Mareva la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 est anticonstitutionnelle ;

- en imposant une intervention médicale sans le consentement libre et éclairé de la personne, cette loi contrevient à plusieurs textes internationaux et européens ;

- la décision est entachée d'un vice de procédure : les garanties disciplinaires s'imposant à tout sanction disciplinaire n'ont pas été respectées ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision est dépourvue de base légale, dès lors que l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 n'était pas en vigueur au moment de son édiction ;

- il existe une impossibilité matérielle de se faire vacciner ;

- elle a refusé de se faire vacciner pour préserver sa santé, compte tenu des risques induits par ces vaccins ;

- la vaccination nécessite son consentement libre et éclairé.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2022, l'EHPAD Résidences Mareva représenté par le cabinet d'avocat Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme C la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A ;

- les conclusions de M. Met, rapporteur public ;

- et les observations de Mme C et de Me Guillon-Coudray pour l'EHPAD Résidences Mareva.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C aide-médico-psychologique au sein de l'EHPAD Résidences Mareva, demande au tribunal d'annuler la décision du directeur des ressources humaines du 20 septembre 2021, la suspendant de ses fonctions à compter du 24 septembre 2021 pour ne pas avoir présenté de schéma vaccinal contre la covid-19.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ".

3. Mme C, qui n'a pas présenté devant le tribunal de mémoire distinct tendant à ce que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité, est irrecevable à soulever l'inconstitutionnalité éventuelle des dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

4. En deuxième la loi du 5 août 2021 n'imposant aucune intervention médicale sans le consentement libre et éclairé de la personne, le moyen tiré de ce que pour ce motif, elle contreviendrait à plusieurs textes internationaux et européens doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. () ".

6. La mesure de suspension prévue par ces dispositions ne revêt pas le caractère d'une sanction. Par suite, l'ensemble des moyens soulevés contre la décision attaquée tendant à établir son illégalité à raison de sa nature disciplinaire doivent être écartés comme inopérants.

7. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que la procédure suivie par l'EHPAD Résidences Mareva aurait méconnu le droit garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant dès lors que cet article n'est pas applicable aux procédures administratives.

8. En cinquième lieu, aux termes du II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises () ". Aux termes de l'article 49-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire créé par décret du 7 août 2021 : " Hors les cas de contre-indication médicale à la vaccination mentionnés à l'article 2-4, les éléments mentionnés au second alinéa du II de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont : / 1° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ; / 2° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2 ; / 3° A compter de la date d'entrée en vigueur de la loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus et à défaut de pouvoir présenter un des justificatifs mentionnés aux présents 1° ou 2°, le résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest mentionné au 1° de l'article 2-2 d'au plus 72 heures. A compter 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ce justificatif doit être accompagné d'un justificatif de l'administration d'au moins une des doses d'un des schémas vaccinaux mentionnés au 2° de l'article 2-2 comprenant plusieurs doses. / Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 3° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2. / La présentation de ces documents est contrôlée dans les conditions mentionnées à l'article 2-3 ".

9. Il résulte des dispositions précitées que les conditions de vaccination des personnels des établissements de santé ont été précisées par un décret du 7 août 2021, pris après des avis de la Haute Autorité de Santé des 4 et 6 août 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée ne pouvait être prise sur le fondement de la loi du 5 août 2021 avant la publication du décret mentionné au II de l'article 12, intervenu le 22 septembre 2021, doit être écarté.

10. En sixième lieu, Mme C soutient qu'elle était dans l'impossibilité matérielle de se faire vacciner, dès lors qu'il n'existe pas sur le territoire national de vaccin contre la covid-19, le substantif vaccin étant entendu au sens de la définition qui en est donnée par les sources du droit tant international que national et que les " substances géniques injectables " disponibles sur le territoire national sont toujours en phase d'essai clinique. S'il est constant que les vaccins contre la covid-19 administrés en France n'ont fait l'objet que d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l'Agence européenne des médicaments, celle-ci procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité. Par ailleurs, la vaccination contre la covid-19, dont l'efficacité au regard des objectifs poursuivis par le législateur - de garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et de protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants - est établie en l'état des connaissances scientifiques, réduit les risques de contamination, même si elle ne les supprime pas totalement, et cette vaccination n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Ainsi, alors même que les vaccins disponibles n'avaient fait l'objet que d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché, Mme C n'était pas, dans l'impossibilité matérielle de bénéficier d'une vaccination. Par suite, ce moyen doit être écarté comme manquant en fait.

11. En septième lieu, il est constant qu'aucun traitement médical n'a été administré à Mme C et, notamment, qu'elle n'a pas été contrainte de subir une injection de vaccin contre la covid-19 mais seulement suspendue de ses fonctions pour s'être soustraite à l'obligation vaccinale prévue par la loi. Par suite, les moyens tirés, d'une part, de ce que la décision contestée méconnaît le principe du consentement préalable, libre éclairé du patient à tout traitement médical, garanti par le droit international, européen et interne, et d'autre part, que la directrice de l'établissement ne peut pas la contraindre à se faire vacciner, doivent être écartés.

12. En dernier lieu, est également sans incidence sur la légalité de cette décision les motifs pour lesquels Mme C a refusé de se faire vacciner.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme C doit être rejetée, y compris les conclusions d'injonction et celles présentées au titre de frais liés au litige.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'EHPAD Résidences Mareva présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C et les conclusions présentées par l'EHPAD Résidences Mareva sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme C et à l'établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes Résidences Mareva.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Tronel, président,

Mme Allex, première conseillère,

M. Dayon, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.

Le président-rapporteur,

signé

N. AL'assesseure la plus ancienne,

signé

A. Allex

La greffière,

signé

C. Salladain

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C