Cour administrative d'appel de Douai

Ordonnance du 21 décembre 2022 n° 20DA01814

21/12/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1803281 du 31 mars 2020, le tribunal administratif de Lille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance, et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 novembre 2020, M. B, représenté par Me Deloffre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne lui donne pas entière satisfaction ;

2°) de prononcer la décharge des impositions demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance, de même que la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- alors même que le jugement attaqué a été mis à la disposition de son conseil le 31 mars 2020, par l'application Télérecours, et que celui-ci en a pris connaissance le 1er avril suivant, cette seule formalité, accomplie à une période où le fonctionnement des cabinets d'avocats était perturbé par le contexte de la sortie d'un confinement, dans le cadre de la crise sanitaire, n'a pu suffire à faire courir le délai d'appel, alors qu'il n'a été informé du rejet de sa demande que par une lettre que lui a adressée l'administration le 12 octobre 2020, dans le cadre de démarches destinées à obtenir le recouvrement des impositions et contributions sociales en litige ; il conteste l'opposabilité des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 dérogeant à l'article R. 751-3 du code de justice administrative, dès lors que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la justice et de droit à un recours effectif, qui découlent respectivement de l'article 6 et de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; sa requête est, en conséquence, recevable ;

- ni la proposition de rectification qui lui été adressée, ni la réponse apportée à ses observations, ne font état, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, de l'exercice, par le service, de son droit de communication, tant en ce qui concerne l'année 2012 qu'en ce qui concerne l'année 2013, ni ne portent à sa connaissance la teneur et l'origine des renseignements obtenus dans ce cadre ; ce vice substantiel de procédure entache la régularité de la procédure d'imposition ;

- le service a omis de lui restituer, avant de lui adresser une demande d'éclaircissements et de justifications, les relevés de compte bancaire qu'il lui avait communiqués ;

- c'est à tort que, à l'issue d'un examen des relevés de ses comptes bancaires et de ceux de ses filles mineures, l'administration a retenu que des crédits bancaires représentant, au titre de l'année 2012, une somme de 124 775 euros et, au titre de l'année 2013, une somme de 134 368 euros, correspondaient à des recettes non commerciales, imposables sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts ; l'administration, à qui incombe la charge de prouver que ces crédits avaient cette nature, n'a pas rapporté cette preuve, qui ne peut résulter de la seule absence de justification de la cause et de l'origine de ces crédits ; en tout état de cause, certains de ces crédits, qui étaient suffisamment identifiables par le service, sont, par nature, non imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et ne sont pas davantage susceptibles d'être imposés dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée ;

- les rehaussements qui lui ont été notifiés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ne sont pas davantage fondés, dès lors que des versements, mis en évidence sur ses comptes bancaires et sur ceux de ses filles mineures, pour les montants totaux de 237 452 euros, en ce qui concerne l'année 2012, et de 42 200 euros, en ce qui concerne l'année 2013, ne peuvent être regardés comme correspondant à des revenus distribués imposables sur le fondement du 2° du 1. de l'article 109 du code général des impôts ; l'administration, qui n'a pas opéré de vérification de comptabilité des sociétés versantes, n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les versements en cause ont cette nature, ni que l'assiette de l'imposition correspondante a été exactement déterminée ; en agissant ainsi, l'administration a, en outre, commis une irrégularité de procédure ;

- le rehaussement de ses revenus fonciers, qui correspondent à des versements opérés, sur ses comptes bancaires et sur ceux de ses filles mineures, au titre de leurs quotes-parts de leurs participations dans les sociétés civiles immobilières (SCI) AA et B, ne pouvait lui être régulièrement notifié sans que des procédures de rectification aient été mises en œuvre à l'égard de chacune de ces SCI.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de M. B, qui a été présentée plus de deux mois après la notification à son conseil, par l'application Télérecours, du jugement attaqué, laquelle formalité a été de nature à faire valablement courir le délai d'appel, est tardive et, par suite, irrecevable ; les difficultés qu'aurait rencontrées le cabinet du conseil de M. B au cours du confinement, qui a été progressivement levé à compter du 11 mai 2020, ne peuvent expliquer, à elles seules, le retard avec lequel la requête a été présentée à la cour ;

- contrairement à ce qu'il soutient, M. B a été informé, par la proposition de rectification qui lui a été adressée le 25 juillet 2015, de l'exercice, par le service, auprès des établissements bancaires détenteurs de ses comptes, de son droit de communication ainsi, conformément à l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, que de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus dans ce cadre ;

- le moyen tiré de l'absence de restitution des relevés de comptes bancaires est inopérant, dès lors que l'ensemble des relevés bancaires remis par M. B au service vérificateur étaient des copies ;

- M. et Mme B n'ayant formulé que tardivement des observations sur la proposition de rectification qui leur a été notifiée, M. B supporte, en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère exagéré des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales en litige ;

- c'est à bon droit que l'administration, en l'absence de réponse aux demandes de justifications qui ont été adressées à M. et Mme B, a, sous réserve des dégrèvements prononcés au vu de justificatifs fournis après le contrôle, imposé d'office, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, certains des crédits identifiés sur leurs comptes bancaires ainsi que sur ceux de leurs filles mineures, dont, après substitution de base légale, une partie a finalement été imposée en tant que revenus d'origine indéterminée ;

- c'est à bon droit que l'administration a imposé, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, des sommes que M. B a perçues, sur ses comptes bancaires, de sociétés dont il est associé, sans qu'il ait été nécessaire de procéder, au préalable, à la vérification des comptabilités des sociétés versantes ;

- le rehaussement des revenus fonciers de M. B, opéré à raison de versements reçus par l'intéressé de SCI dont il détenait des parts, est tout autant fondé, a d'ailleurs été accepté par l'intéressé et ne nécessitait aucun contrôle préalable des sociétés versantes ; en tant que de besoin, l'administration sollicite, dans le cadre d'une demande de substitution de base légale, l'imposition des sommes correspondantes dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A B ont fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Au cours de ce contrôle, le service vérificateur a mis en évidence l'existence, sur des comptes bancaires ouverts au nom des intéressés et de leurs filles mineures, de versements effectués par diverses sociétés commerciales et par des sociétés civiles immobilières au capital desquelles M. B avait souscrit. L'administration, qui a estimé que la nature et la cause de ces versements n'étaient pas établies par les seules justifications produites, a regardé les sommes correspondantes comme ayant la nature, pour certaines, de revenus distribués, pour d'autres, de bénéfices non commerciaux, pour d'autres encore, de revenus d'origine indéterminés, pour d'autres enfin, de revenus fonciers, imposables au sein du foyer fiscal de M. et Mme B, ce dont elle a informé les intéressés par une proposition de rectification qu'elle leur a adressée le 20 juillet 2015. M. et Mme B n'ayant formulé que tardivement des observations sur les rehaussements ainsi notifiés, les suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux résultant des rehaussements ainsi notifiés ont été mis en recouvrement le 31 décembre 2015, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 551 559 euros. Aucune réponse expresse n'ayant été apportée à sa réclamation, M. B a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a ainsi été assujetti au titre des années 2012 et 2013. M. B relève appel du jugement du 31 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge desdites impositions à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () les premiers vice-présidents () des cours () peuvent, par ordonnance : / () / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / () ".

3. D'une part, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. / () ". Aux termes de l'article R. 751-3 de ce code : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d'huissier de justice. / () ". En outre, aux termes de l'article R. 751-4-1 du même code : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-6 aux parties qui en ont accepté l'usage pour l'instance considérée. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles. / () ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif : " Durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée, il est dérogé aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives dans les conditions prévues au présent titre.". Aux termes de l'article 13 de la même ordonnance : " Lorsqu'une partie est représentée par un avocat, la notification prévue à l'article R. 751-3 du code de justice administrative est valablement accomplie par l'expédition de la décision à son mandataire. / () ". Enfin, en vertu des articles 1er et 3 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, les délais expirant entre le 12 mars 2020 et une date située un mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire sont prorogés de deux mois.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance que M. B se serait inscrit dans l'application informatique, dénommée Télérecours, mentionnée à l'article R. 414-1 du code de justice administrative, ni qu'il aurait accepté l'usage, dans le cadre de la procédure introduite par lui devant le tribunal administratif de Lille, du téléservice mentionné à l'article R. 414-6 en ce qui concerne la réception des notifications adressées par le greffe du tribunal, quand bien même son conseil était lui-même inscrit dans l'application Télérecours. Dès lors, il appartenait, en principe, au greffe du tribunal administratif de lui adresser une notification du jugement du 31 mars 2020 par lettre recommandée avec avis de réception. Toutefois, à la date à laquelle le jugement a été mis à la disposition des parties par le greffe, les dispositions précitées de l'article 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des procédures à la situation d'urgence sanitaire étaient applicables, en vertu de l'article 2 de cette ordonnance, et elles prévoyaient que, lorsqu'une partie était représentée par un avocat, ce qui était le cas de M. B devant le tribunal administratif de Lille, la formalité de notification des jugements prévue à l'article R. 751-3 du code de justice administrative était réputée valablement accomplie à l'égard du seul avocat. Si M. B soutient que ces dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 méconnaissent les principes d'égalité devant la justice et de droit à un recours effectif, qui découlent respectivement de l'article 6 et de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces moyens, que M. B n'a pas soulevés dans un mémoire distinct afin qu'ils puissent être examinés dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure applicable aux questions prioritaires de constitutionnalité, ne peuvent qu'être écartés comme irrecevables, en application de l'article R. 771-4 du code de justice administrative. En outre, les dispositions précitées de l'article R. 751-4-1 de ce code, également applicables à la date de la mise à disposition par le greffe du tribunal administratif de Lille du jugement attaqué, prévoyaient que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 751-3 du même code, la notification des jugements pouvait être valablement accomplie par une mise à disposition de ces jugements au moyen de l'application Télérecours. Or, il ressort, en l'espèce, des pièces du dossier de première instance qu'une copie du jugement attaqué a été mise, par l'application Télérecours, à la disposition du conseil de M. B, qui était inscrit dans cette application, le 31 mars 2020, et que cet avocat en a pris connaissance le 1er avril 2020, ce qui, en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, a eu pour effet de faire courir, à l'égard de M. B, le délai d'appel prorogé de deux mois prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période. Ainsi et alors que les perturbations qu'ont pu connaître les cabinets d'avocat dans le contexte de la sortie d'un confinement et de la reprise progressive d'une activité normale ne peuvent expliquer, à elles seules, que M. B n'ait pu saisir la cour, même par une requête sommaire, avant l'expiration, le 2 août 2020 à minuit, du délai qui lui était imparti, la requête, qui n'a été enregistrée au greffe de la cour que le 18 novembre 2020, est tardive et, par suite, entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être accueillie.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B, qui est tardive, est manifestement irrecevable et doit être rejetée en application des dispositions, citées au point 2, de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dans l'ensemble de ses conclusions, y compris, en tout état de cause, la demande tendant à ce que soient mis à la charge de l'Etat les dépens de l'instance, ainsi que la demande tendant à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er :La requête de M. B est rejetée.

Article 2 :La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Fait à Douai, le 21 décembre 2022.

Le premier vice-président de la cour,

Signé : Christian Heu

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

N°20DA01814

Code publication

D