Tribunal administratif de Caen

Ordonnance du 21 décembre 2022 n° 2002424

21/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 10 octobre 2022, la commune de la Ferté Macé, représentée par la SELARL Symchowicz Wiessberg et associés, demande au tribunal, à l'appui de sa requête enregistrée sous le même numéro et tendant à l'annulation de la décision du 7 octobre 2020 par laquelle la préfète de l'Orne a rejeté sa demande de retrait de la communauté d'agglomération de Flers Agglo et d'adhésion à la communauté de communes d'Andaines-Passais, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, au regard de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 72 de la Constitution.

Elle soutient que :

- les dispositions législatives contestées méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales en ce qu'elles n'ont pas prévu de dérogation spécifique aux communautés d'agglomérations issues de la transformation de communautés de villes, rendant ainsi impossible pour les communes appartenant à ces communautés d'agglomérations d'en demander le bénéfice sans méconnaître les seuils fixés à l'article L. 5216-1 du code général des collectivités territoriales ;

- en prévoyant l'application d'une norme similaire aux communes faisant partie d'une communauté d'agglomération de droit commun et celles faisant partie des communautés d'agglomérations issues de communautés de villes, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant la loi.

Le mémoire portant question prioritaire de constitutionnalité a été communiqué au préfet de l'Orne qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale dite " loi Chevènement " ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La commune nouvelle de la Ferté Macé a été créée par un arrêté préfectoral du 12 juin 2016. La préfète de l'Orne, par un arrêté du 13 octobre 2016, a élargi le périmètre de l'établissement public de coopération intercommunale Flers Agglo à cette commune nouvelle en application de l'article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales et du II de l'article 35 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015. Les nouveaux élus siégeant au conseil municipal de la Ferté Macé ont, sur le fondement de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, demandé le 21 septembre 2020 à la préfète de l'Orne de prononcer le retrait de la commune de cette communauté d'agglomération dans le but d'intégrer la communauté de communes voisine d'Andaines-Passais. Par une lettre du 7 octobre 2020, la préfète de l'Orne a rejeté cette demande au motif que, lorsque le retrait demandé a pour effet de méconnaître les seuils fixés par l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, l'autorité préfectorale est tenue d'opposer un refus.

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu des dispositions de l'article R. 771-7 du code de justice administrative, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

3. Aux termes de l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales : " Par dérogation à l'article L. 5211-19, une commune peut être autorisée, par le représentant de l'Etat dans le département après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale réunie dans la formation prévue au second alinéa de l'article L. 5211-45, à se retirer d'une communauté de communes pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le conseil communautaire a accepté la demande d'adhésion. () ". L'article L. 5211-19 du même code dispose : " Une commune peut se retirer de l'établissement public de coopération intercommunale, sauf s'il s'agit d'une communauté urbaine ou d'une métropole, dans les conditions prévues à l'article L. 5211-25-1, avec le consentement de l'organe délibérant de l'établissement. () / Le retrait est subordonné à l'accord des conseils municipaux exprimé dans les conditions de majorité requises pour la création de l'établissement. Le conseil municipal de chaque commune membre dispose d'un délai de trois mois à compter de la notification de la délibération de l'organe délibérant au maire pour se prononcer sur le retrait envisagé. A défaut de délibération dans ce délai, sa décision est réputée défavorable. () ". L'article L. 5216-1 de ce code prévoit : " La communauté d'agglomération est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes formant, à la date de sa création, un ensemble de plus de 50 000 habitants d'un seul tenant et sans enclave, autour d'une ou plusieurs communes centre de plus de 15 000 habitants. () ".

4. Aux termes des dispositions contestées du second alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 : " () Ce retrait s'effectue dans les conditions fixées à l'article L. 5211-25-1 et ne peut avoir pour conséquence de faire passer la population de la communauté d'agglomération en-dessous des seuils mentionnés à l'article L. 5216-1. Il vaut réduction du périmètre des syndicats mixtes dont la communauté d'agglomération est membre dans les conditions fixées au troisième alinéa de l'article L. 5211-19 ". Il ressort des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de ces dispositions que le législateur a entendu étendre la procédure dérogatoire prévue à l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales aux communes membres de communautés d'agglomérations.

5. Pour contester la constitutionnalité des dispositions du second alinéa de l'article L. 5216-11 précité, la commune soutient qu'en soumettant l'ensemble des communes membres de communautés d'agglomérations aux mêmes conditions de retrait, sans tenir compte du cas particulier de celles intégrées à une communauté d'agglomération sous le régime prévu par l'article 56 de la loi du 12 juillet 1999, ces dispositions législatives méconnaissent les principes de libre administration des collectivités territoriales et d'égalité devant la loi.

6. En premier lieu, il résulte d'une décision n° 2013-304 QPC du 26 avril 2013 du Conseil constitutionnel que le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt général. En assujettissant la décision du préfet de département autorisant le retrait d'une commune de son établissement public de coopération intercommunale au respect des seuils fixés à l'article L. 5216-1 du code général des collectivités territoriales, le législateur, s'il a assoupli les règles encadrant la procédure de retrait prévue à l'article L. 5211-19 du même code, a également entendu éviter que ce retrait ne compromette le fonctionnement et la stabilité d'un tel établissement ainsi que la cohérence des coopérations intercommunales. Ainsi le législateur a pu, dans ces buts d'intérêt général, apporter des limitations à la libre administration des collectivités territoriales. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas des dispositions contestées que le mode de création de l'établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre ait pour effet de la priver indéfiniment de la possibilité d'un retrait, eu égard à la faculté offerte par l'article L. 5211-19 du code général des collectivités territoriales. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales doit être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Dès lors, la commune ne saurait utilement soutenir qu'en ne distinguant pas la situation dans laquelle se trouvent les communes membres des communautés d'agglomérations créées selon les conditions de l'article 56 de la loi n °99-586, de celle des autres communes membres, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de ce tout qui précède, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, que la commune de la Ferté Macé n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du second alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de la Ferté Macé.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de la Ferté Macé, à la communauté d'agglomération Flers Agglo et au préfet de l'Orne.

Le président de la 1ère chambre,

Signé F. CHEYLAN

La République mande et ordonne au préfet de l'Orne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

la greffière,

C. Bénis

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C