Tribunal administratif de Nantes

Jugement du 21 décembre 2022 n° 1910731

21/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er octobre 2019 et 1er juin 2021,

M. A C, M. B E et l'association Bretagne Réunie, représentés par Me Guillou, demandent au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a refusé d'inscrire à l'ordre du jour du conseil départemental la demande formulée par une pétition de 105 000 électeurs tendant à l'organisation d'une consultation des électeurs du département sur la délibération à prendre visant à la modification des limites régionales, en incluant le département de la Loire-Atlantique dans le territoire de la région Bretagne ;

2°) de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de

2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des articles L. 1112-15 et

L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales ;

- la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir ;

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 novembre 2020, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Maudet conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de

2 500 euros soit mise à la charge de M. C et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable ;

- il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation ;

- aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.

Par un mémoire distinct enregistré le 1er juin 2021, M. C et autres ont demandé au tribunal, sur le fondement de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 3121-9 et L. 3121-10 du code général des collectivités territoriales.

Ils soutiennent que ces dispositions méconnaissent le droit de pétition reconnu à l'article 72-1 de la Constitution.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D,

- les conclusions de M. Dias, rapporteur public,

- et les observations de Me Guillou, représentant M. C et autres, et de Me Le Rouzic, substituant Me Maudet, avocat du département de la Loire-Atlantique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 27 novembre 2018, M. C, M. E et l'association Bretagne Réunie ont déposé à l'hôtel du département de la Loire-Atlantique une pétition sollicitant l'inscription à l'ordre du jour du conseil départemental de la Loire-Atlantique de l'organisation d'une consultation des électeurs de ce département sur la délibération à prendre par cette assemblée visant à la modification des limites régionales, en incluant le département de la Loire-Atlantique dans le territoire de la région Bretagne. Par courrier du 19 décembre 2018, M. C, ès qualités de président de l'association Bretagne Réunie a renouvelé cette demande auprès du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique. Par leur requête, M. C et autres demandent au tribunal d'annuler la décision par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a implicitement rejeté leur demande tendant à l'inscription de cette question à l'ordre du jour du conseil départemental.

Sur le non-lieu à statuer :

2. Aux termes de l'article L. 1112-15 du CGCT dans sa version en vigueur : " Les électeurs d'une collectivité territoriale peuvent être consultés sur les décisions que les autorités de cette collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci. La consultation peut être limitée aux électeurs d'une partie du ressort de la collectivité, pour les affaires intéressant spécialement cette partie de la collectivité. ". Aux termes de l'article

L. 1112-16 du même code : " Dans une commune, un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales et, dans les autres collectivités territoriales, un dixième des électeurs, peuvent demander à ce que soit inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée. () La décision d'organiser la consultation appartient à l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale. ".

3. Aux termes de l'article L. 4122-1-1 du même code : " I. - Un département et deux régions contiguës peuvent demander, par délibérations concordantes de leurs assemblées délibérantes, adoptées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, une modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire d'une région qui lui est limitrophe. La demande de modification est inscrite à l'ordre du jour du conseil départemental, par dérogation aux articles L. 3121-9 et L. 3121-10, et du conseil régional, par dérogation aux articles

L. 4132-8 et L. 4132-9, à l'initiative d'au moins 10 % de leurs membres. / II. - (abrogé) / III. - La modification des limites territoriales des régions concernées est décidée par décret en Conseil d'Etat. ".

4. Si le département de la Loire-Atlantique fait valoir que, par rapport du 3 décembre 2018, le président du conseil départemental a saisi cette assemblée pour qu'elle délibère sur la faculté de demander une modification des limites régionales sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales, ce qu'elle a décidé de ne pas faire par délibération du 17 décembre 2018, cette circonstance n'a toutefois pas eu pour effet de revenir sur la décision de ce président de ne pas inscrire à l'ordre du jour du conseil départemental la demande issue d'une pétition de 105 000 électeurs tendant à l'organisation d'une consultation des électeurs du département pour se prononcer sur l'usage de cette faculté par le département. Les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée conservant ainsi leur objet, il y a lieu d'écarter l'exception de non-lieu invoquée par le département.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense :

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants :

5. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ".

6. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

7. Aux termes de l'article 72-1 de la Constitution : " La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence. () La modification des limites des collectivités territoriales peut () donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi ".

8. Aux termes de l'article L. 3121-9 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil départemental se réunit à l'initiative de son président, au moins une fois par trimestre, dans un lieu du département choisi par la commission permanente. / Pour les années où a lieu le renouvellement général des conseils départementaux, la première réunion se tient de plein droit le second jeudi qui suit le premier tour de scrutin. / Lors de la première réunion du conseil départemental, immédiatement après l'élection du président, des vice-présidents et des autres membres de la commission permanente, le président donne lecture de la charte de l'élu local prévue à l'article L. 1111-1-1. Le président remet aux conseillers départementaux une copie de la charte de l'élu local et du chapitre III du présent titre. ". Aux termes de l'article L. 3121-10 du même code : " Le conseil départemental est également réuni à la demande : / - de la commission permanente ; /- ou du tiers des membres du conseil départemental sur un ordre du jour déterminé, pour une durée qui ne peut excéder deux jours. Un même conseiller départemental ne peut présenter plus d'une demande de réunion par semestre. /En cas de circonstances exceptionnelles, les conseils départementaux peuvent être réunis par décret. ".

9. Les requérants soutiennent qu'en ce qu'elles ne prévoient pas la possibilité pour un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales d'un département d'obtenir l'inscription à l'ordre du jour d'une question relevant de la décision de ce département, les dispositions des articles L. 3121-9 et L. 3121-10 du code général des collectivités territoriales sont contraires à l'article 72-1 de la Constitution du 4 octobre 1958. Il résulte toutefois des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 dont sont issues les dispositions de l'article 72-1 de la Constitution, que le législateur constitutionnel a entendu limiter l'exercice du droit de pétition en instaurant la faculté pour les électeurs d'une collectivité territoriale de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité territoriale d'une question relevant de sa décision, sans pour autant instaurer un droit à obtenir une telle inscription. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants doit être regardée comme ne présentant pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité sur la question de la conformité de ces dispositions à la Constitution.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête :

10. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales citées au point 2, lesquelles organisent les conditions dans lesquelles s'exercent le droit de pétition prévu à l'article 72-1 de la Constitution, que si une proportion des électeurs d'une collectivité territoriale a la faculté de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité de l'organisation d'une consultation sur une affaire relevant de sa décision, elle ne lui confère toutefois pas un droit à obtenir cette inscription. Ainsi, lorsque les conditions prévues par ces dispositions législatives sont réunies, il appartient au président de l'assemblée délibérante saisi d'une telle demande, d'apprécier, en vertu d'un pouvoir qui lui est propre, l'opportunité d'inscrire cette question à l'ordre du jour de cette assemblée. Le cas échéant, le choix d'organiser une telle consultation relève de la décision ultérieure de l'assemblée délibérante.

11. Il est constant que la demande d'inscription à l'ordre du jour du conseil départemental de la Loire-Atlantique de l'organisation d'une consultation des électeurs du département relative à l'usage de la faculté prévue à l'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales à l'effet de rattacher le département de la Loire-Atlantique à la région Bretagne, relevait de la décision de ce conseil départemental en application de ces dernières dispositions alors en vigueur, et que cette demande était issue d'une pétition d'au moins 100 000 signatures, soit un nombre représentant plus d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales de ce département . Toutefois, en vertu de son pouvoir d'appréciation, le président du département de la Loire-Atlantique a pu, sans commettre ni vice de procédure ni erreur de droit, refuser d'inscrire cette question à l'ordre du jour du conseil départemental de la Loire-Atlantique.

12. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un rapport du 3 décembre 2018, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a inscrit à l'ordre du jour de la séance de l'assemblée délibérante la faculté de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales alors en vigueur, à l'effet de rattacher le département de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Et, par une délibération du 17 décembre 2018, cette assemblée délibérante s'est prononcée négativement sur la faculté de faire usage de la faculté prévue par les dispositions de l'article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales. Dans ces conditions, et au vu de l'ensemble des pièces du dossier, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

13. Il résulte de ce qui précède que M. C et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C, à M. E, à l'Association Bretagne réunie et au département de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Loirat, présidente,

M. Gauthier, premier conseiller,

M. Simon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2022

Le rapporteur,

P-E. D

La présidente,

C. LOIRAT

La greffière,

P. LABOUREL

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

Code publication

C+