Conseil d'Etat

Décision du 21 décembre 2022 n° 465669

21/12/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

M. et Mme B A ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2013. Par un jugement n° 1702191 du 19 novembre 2019, le tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19BX04959 du 10 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. et Mme A contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet et 11 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. et Mme A demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;

- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. et Mme A ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 : " Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 D et déterminés dans les conditions du même article retirés des cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts sont réduits d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième lorsque les conditions prévues au II sont remplies () ". L'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, dispose que : " I. L'abattement prévu à l'article 150-0 D bis, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, s'applique dans les mêmes conditions, à l'exception de celles prévues au V du même article, aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, si les conditions suivantes sont remplies : / () 2° Le cédant doit : / a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions mentionnées à ce même 1° ; / () ". Le 1° de l'article 885 O bis du même code, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que sont concernées par les dispositions de cet article les personnes qui sont : " () soit gérant nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, soit associé en nom d'une société de personnes, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions. / Les fonctions énumérées ci-dessus doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale () ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, qui doivent être interprétées strictement, que le bénéfice de l'avantage fiscal prévu par l'article 150-0 D ter du code général des impôts est réservé, s'agissant des cessionnaires de parts sociales de sociétés à responsabilité limitée, aux gérants nommés conformément aux statuts de ces sociétés, à l'exclusion, notamment, des personnes qui en auraient exercé la gérance de fait et de celles qui auraient été chargées d'une délégation de pouvoirs de la part du gérant statutaire.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. M. et Mme A soutiennent qu'en ce qu'elles excluent du bénéfice de l'abattement de la plus-value imposable de cession de titres, prévu par l'article 150-0 D bis du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, les cessionnaires qui auraient exercé, soit de fait, soit en vertu d'une délégation générale de pouvoirs, des fonctions de gestion ou de direction au sein de la société à responsabilité limitée dont les parts sont cédées, les dispositions du a) du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts renvoyant au 1° de l'article 885 O bis du même code auraient pour effet de soumettre des contribuables placés dans une situation identique à une différence de traitement constitutive d'une rupture d'égalité devant la loi fiscale.

6. Il résulte toutefois des dispositions de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 qui a instauré ce régime fiscal de faveur, que le législateur a entendu, afin de favoriser la stabilité de l'actionnariat individuel des entrepreneurs et la transmission des entreprises qui ont été créées et ont assuré leur croissance sous cette forme d'actionnariat, étendre le bénéfice de l'abattement d'assiette pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D bis du même code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 aux personnes ayant disposé, en qualité de mandataires sociaux, depuis plus de cinq ans, des responsabilités les plus élevées au sein de petites ou moyennes entreprises et cédant, lorsqu'elles font valoir leurs droits à la retraite, l'intégralité des participations qu'elles y détiennent.

7. Alors que les gérants d'une société à responsabilité limitée nommés conformément aux statuts sont, ainsi que le prévoient les articles L. 223-18 et L. 223-22 du code de commerce, investis des pouvoirs les plus étendus dans les rapports avec les tiers, que leurs actes engagent cette société et qu'ils supportent personnellement la responsabilité, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables à ce type de sociétés, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion, les gérants de fait de telles sociétés, qui n'ont pas été régulièrement nommés et ne peuvent dès lors être regardés comme porteurs des intérêts sociaux de la personne morale, peuvent seulement être tenus responsables des préjudices causés par leur immixtion autonome dans la conduite des affaires de ces sociétés. Et, pour leur part, les personnes disposant de délégations les autorisant à agir au nom du gérant de la société ne bénéficient que d'une capacité limitée, compte tenu du caractère révocable de tels mandats, exercés sous le contrôle du gérant et ne pouvant jamais avoir pour effet de transférer l'intégralité de la responsabilité sociale attachée au dirigeant de droit. Ainsi, seuls les gérants nommés conformément aux statuts assument de manière à la fois licite et entière les responsabilités de direction de la société. Par suite, en réservant à ces derniers l'octroi de l'avantage fiscal en cause, le législateur a institué une différence de traitement qui répond à une différence objective de situation et qui est en rapport direct avec l'objet des dispositions en litige.

8. Il en résulte que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur l'autre moyen du pourvoi :

9. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

10. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, M. et Mme A soutiennent, en outre, que la cour administrative d'appel de Bordeaux entaché sa décision d'erreur de droit en faisant une application littérale des dispositions du 1° de l'article 885 O bis du code général des impôts et en refusant d'assimiler, pour l'application des dispositions de l'article 150-0 D ter du même code renvoyant à ces dernières, les cessionnaires ayant exercé en tant que gérants de fait ou en vertu d'une délégation générale de pouvoirs à ceux ayant exercé des fonctions de gérants de sociétés nommés conformément aux statuts.

11. Ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A.

Article 2 : Le pourvoi de M. et Mme A n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 décembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Ophélie Champeaux

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C