Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 16 décembre 2022 n° 22PA02059

16/12/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A C a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 22 mars 2021 par laquelle le Conseil national des barreaux a refusé de lui accorder une aide financière sur critères sociaux, d'autre part, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité des dispositions du 2° de l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire au principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la réserve de compétence de la juridiction administrative.

Par un jugement n° 2107700 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Paris après avoir refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat, a rejeté la demande de M. C.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 5 mai 2022, M. A C, représenté par Me Lebrun, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 22 mars 2021 du Conseil national des barreaux ;

3°) d'enjoindre au Conseil national des barreaux de lui verser une somme de 1 009 euros, assortie des intérêts moratoires, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de dix euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge du Conseil national des barreaux une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont décliné la compétence de la juridiction administrative ;

- la décision contestée du 22 mars 2021 n'est pas signée par son auteur ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2022, le Conseil national des barreaux, représenté par Me Piau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête de M. C est portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

- elle est irrecevable en ce que la décision contestée n'est pas produite et en ce qu'il s'agit d'une mesure purement gracieuse ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

II. Par un mémoire distinct, enregistré le 5 mai 2022, M. C, représenté par Me Lebrun, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris en ce qu'il a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire ;

2°) de transmettre cette question au Conseil d'Etat ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national des barreaux une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la compétence réservée du juge administratif est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ;

- la question de la conformité des dispositions du 2° de l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire aux droits et libertés que la Constitution garantit n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2022, le Conseil national des barreaux, représenté par Me Piau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent être écartés ;

- le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la réserve de compétence du juge administratif ne constitue pas un droit ou une liberté garanti par la Constitution ;

- la question est dépourvue de caractère sérieux.

Par une décision du 11 mai 2022, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de M. C tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lebrun, représentant M. C, et de Me Piau, représentant le Conseil national des barreaux.

Considérant ce qui suit :

1. M. C, inscrit en tant qu'élève-avocat à l'école des avocats du Sud-Est (EDASE) pour l'année 2020-2021, a sollicité le 28 décembre 2020, par l'intermédiaire de son école, une aide financière sur critères sociaux de la part du Conseil national des barreaux. Par une décision révélée par un courrier de l'EDASE du 22 mars 2021, le Conseil national des barreaux a rejeté sa demande. M. C fait appel du jugement du 11 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article

L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire et a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision du 22 mars 2021.

2. En premier lieu, en précisant que la décision attaquée constituait une décision individuelle et en se référant à l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire, le jugement attaqué a suffisamment exposé le motif pour lequel il a estimé que la juridiction administrative était incompétente pour connaître de la demande de M. C. Par ailleurs, en indiquant que le principe fondamental reconnu par les lois de la République tiré de la compétence exclusive de la juridiction administrative pour l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique est relatif à l'organisation des pouvoirs publics et n'est pas en tant que tel au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution, le tribunal a suffisamment motivé son jugement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement, lequel statue à la fois sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant et sur les autres moyens et conclusions de la requête de M. C, a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. La circonstance que l'expédition de ce jugement ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, qui manque en fait, doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (). Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".

5. L'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, qui confie au Conseil national des barreaux plusieurs missions de service public administratif, dispose en son alinéa 4 : " Le Conseil national des barreaux est, en outre, chargé de définir les principes d'organisation de la formation et d'en harmoniser les programmes. Il coordonne et contrôle les actions de formation des centres régionaux de formation professionnelle et exerce en matière de financement de la formation professionnelle les attributions qui lui sont dévolues à l'article 14-1. Il détermine les conditions générales d'obtention des mentions de spécialisation, dresse la liste nationale des membres du jury prévu au premier alinéa de l'article 12-1 ainsi que la liste nationale des avocats titulaires de mentions de spécialisation ". Aux termes de l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire : " Une cour d'appel spécialement désignée connaît : () 2° Des recours contre les décisions individuelles prises par le Conseil national des barreaux ".

6. Il ne résulte ni des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971, ni d'aucune autre disposition que le Conseil national des barreaux se soit vu confier une mission relative au versement d'une aide sociale aux élèves avocats et que la profession d'avocat ait à sa charge le financement d'une telle aide. Le Conseil national des barreaux fait d'ailleurs valoir que le système d'aides sur critères sociaux destinées aux élèves avocats est né de la seule volonté de la profession.

7. Il s'ensuit d'une part que l'article L. 311-14 du code de l'organisation judiciaire ne peut être regardé comme applicable au litige et qu'ainsi M. C ne peut utilement se prévaloir de ce que cet article méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la compétence réservée du juge administratif et d'autre part que la décision attaquée, prise par un organisme de droit privé en dehors de l'exercice de prérogatives de puissance publique, relève de la compétence du juge judiciaire.

8. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. C doit être rejetée.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national des barreaux, qui n'est pas partie perdante en la présente instance, la somme que M. C demande sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C une somme de 800 euros au titre des frais exposés par le Conseil national des barreaux et non compris dans les dépens.

 

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : M. C versera une somme de 800 euros au Conseil national des barreaux en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A C et au Conseil national des barreaux.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

Mme Briançon, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

M. D

La présidente,

M. B

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C