Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 15 décembre 2022 n° 2213457

15/12/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 juin 2022, la société HSBC leasing, représentée par Me Blanluet, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été appliquée sur le fondement du a. du I de l'article 1763 du code général des impôts pour un montant de 981 255 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 22 juin 2022, la société HSBC leasing, représentée par Me Blanluet, demande au Tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du a. du I de l'article 1763 du code général des impôts.

Elle soutient que :

-ces dispositions sont applicables au litige ;

-elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

-le moyen revêt un caractère sérieux : en effet, ces dispositions qui instaurent une sanction calculée proportionnellement, à taux fixe et sans plafonnement et s'appliquant en toutes circonstances, qu'une imposition ait ou non été éludée, alors, au demeurant que les éléments en cause qui seraient non déclarés portent sur des informations dont l'administration a par ailleurs connaissance et qui ne sont pas nécessaires à l'établissement de l'impôt, méconnaissent ainsi le principe de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; cette sanction est manifestement disproportionnée au regard de la gravité du manquement constaté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2022, l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales conclut à la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

Vu :

-la délégation du président du tribunal accordé en application de l'article R. 771-7 du code de justice administrative,

-les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1,

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789,

- le code général des impôts,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. la société HSBC leasing demande au Tribunal de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du a. du I de l'article 1763 du code général des impôts.

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 53 A du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 302 septies A bis, les contribuables, autres que ceux soumis au régime défini à l'article 50-0 (1), sont tenus de souscrire chaque année, dans les conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration permettant de déterminer et de contrôler le résultat imposable de l'année ou de l'exercice précédent. Un décret fixe le contenu de cette déclaration ainsi que la liste des documents qui doivent y être joints. Ce décret édicte des définitions et des règles d'évaluation auxquelles les entreprises sont tenues de se conformer. () ". Aux termes du II de l'article 38 de l'annexe III au code général des impôts : " - Les contribuables visés à l'article 53 A du code général des impôts sont tenus de joindre à la déclaration et aux annexes visées au I, le bilan, le compte de résultat, le tableau des immobilisations, le tableau des amortissements, le tableau des provisions et l'état des échéances des créances et des dettes. () ".

4. Aux termes du I de l'article 1763 du code général des impôts : " - Entraîne l'application d'une amende égale à 5 % des sommes omises le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet des documents suivants : a. Tableau des provisions prévu en application des dispositions de l'article 53 A ;() Pour les documents mentionnés aux a, b et c, l'amende s'applique au seul exercice au titre duquel l'infraction est mise en évidence et le taux est ramené à 1 % lorsque les sommes correspondantes sont réellement déductibles. L'amende n'est pas applicable, en cas de première infraction commise au cours de l'année civile en cours et des trois années précédentes, lorsque les intéressés ont réparé leur omission soit spontanément, soit à la première demande de l'administration avant la fin de l'année qui suit celle au cours de laquelle le document devait être présenté. ".

5. La société HSBC leasing soutient que les dispositions du a. du I de l'article 1763 du code général des impôts qui instaurent une sanction calculée proportionnellement, à taux fixe et sans plafonnement et s'appliquant en toutes circonstances, qu'une imposition ait ou non été éludée, alors, au demeurant, que les éléments en cause qui seraient non déclarés portent sur des informations dont l'administration a par ailleurs connaissance et qui ne sont pas nécessaires à l'établissement de l'impôt, méconnaissent le principe de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.

7. En fixant l'amende en proportion des sommes omises pour sanctionner le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet du Tableau des provisions prévu en application des dispositions de l'article 53 A, les dispositions attaquées instituent une sanction dont la nature est directement liée à celle du manquement réprimé. En retenant une telle assiette, en ramenant le taux prévu de 5 % à 1 % lorsque ces sommes sont réellement déductibles et en prévoyant que l'amende ne s'applique qu'au seul exercice au titre duquel l'infraction est mise en évidence, la loi a elle-même assuré, par des taux non disproportionnés, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés, appréciée à raison de l'importance des sommes non déclarées et des conséquences qui peuvent en résulter au regard des impôts à acquitter par le contribuable. En outre, les obligations déclaratives dont le manquement est sanctionné ont pour but de mettre l'administration fiscale à même de contrôler et de suivre les provisions déduites par les entreprises de leurs résultats imposables. Elles poursuivent ainsi un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Enfin, pour chaque sanction prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en dispenser le contribuable si ce dernier n'a pas manqué à l'obligation de déclaration. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaissent les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines doit être écarté. Dès lors, la question soulevée, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société HSBC leasing.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société HSBC leasing et à l'administrateur général des finances publiques, chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.

Fait à Paris, le 15 décembre 2022.

La présidente de la 2ème section,

J. EVGENAS