Cour d'Appel de Montpellier

Arrêt du 13 décembre 2022 n° 22/04312

13/12/2022

Non renvoi

Grosse + copie

 

délivrées le

 

à

 

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

 

Chambre commerciale

 

ARRET DU 13 DECEMBRE 2022

 

Numéro d'inscription au répertoire général :

 

N° RG 22/04312 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PQWT

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du 28 JUIN 2022

 

TRIBUNAL DE COMMERCE DE NARBONNE

 

N° RG 2020001787

 

DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE :

 

Monsieur [X] [I]

 

né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 4] (31)

 

de nationalité Française

 

[Adresse 2]

 

[Localité 1]

 

Représenté par Me Virginie LAVIELLE, avocat au barreau de NARBONNE substituant Me Bruno BLANQUER de la SCP BLANQUER//CROIZIER/CHARPY, avocat au barreau de NARBONNE

 

DEFENDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE :

 

S.A. BANQUE COURTOIS

 

[Adresse 5]

 

[Adresse 5]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Nicolas DOMENECH, avocat au barreau de CARCASSONNE substituant Me Karine JAULIN-BARTOLINI de la SCP PECH DE LACLAUSE-JAULIN-EL HAZMI, avocat au barreau de NARBONNE, avocat postulant non plaidant

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 NOVEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

 

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

 

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

 

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO

 

Ministère public :

 

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.

 

ARRET :

 

- contradictoire

 

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

 

- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

 

*

 

* *

 

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:

 

La SARL JB exploitait à [Localité 1] (Aude) un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie.

 

Par acte sous-seing privé du 29 novembre 2011, la banque Courtois lui a consenti un prêt de 100 000 euros à 4,67 % sur cinq ans ; [X] [I], gérant de la société JB, s'est rendu caution solidaire du remboursement de ce prêt à hauteur de 65 000 euros pour une durée de 84 mois et dans la limite de 50 % de l'encours.

 

Par jugement du 8 avril 2014, le tribunal de commerce de Narbonne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société JB ; la banque Courtois a, le 21 mai 2014, déclaré sa créance au titre du solde du prêt pour un montant de 58 258,95 euros à titre privilégié entre les mains de M. [S] désigné en qualité de liquidateur ; la procédure collective a été clôturée pour insuffisance d'actif par un jugement du 1er juillet 2020.

 

Entre-temps, par lettre recommandée du 31 mai 2014, la banque Courtois a mis M. [I] en demeure de lui régler la somme de 29 129,47 euros en sa qualité de caution.

 

Elle l'a ensuite fait assigner en paiement de la somme due, par exploit du 4 septembre 2020, devant le tribunal de commerce de Narbonne.

 

Le tribunal, par jugement du 28 juin 2022, a notamment condamné M. [I] à payer, avec exécution provisoire, à la banque Courtois la somme de 29 129,47 euros, outre les intérêts au taux de 7,67 % à compter du 21 mai 2014, capitalisés.

 

M. [I] a relevé appel, le 8 août 2022, de ce jugement.

 

Le 9 août 2022, en cours de procédure, il a déposé, par le RPVA, une requête demandant à la cour de transmettre à la Cour de cassation les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

 

- les dispositions de l'article L. 622-25-1 du code de commerce qui interrompent le cours de la prescription jusqu'à la clôture des opérations de liquidation judiciaire, sans prévoir une exception pour les coobligés à partir du moment où les créanciers recouvrent la possibilité d'engager des poursuites à leur encontre, sont-elles de nature à porter atteinte à l'égalité de tous devant la loi au regard de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par là, contraires à la constitution '

 

- ces dispositions sont-elles de nature à porter atteinte à la sécurité juridique, due à la caution en violation des articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que la durée de la prescription n'étant pas corrélée à celle dont bénéficie le créancier pour lancer son action est totalement aléatoire car dépendant du temps qui sera nécessaire pour clôturer les opérations de liquidation judiciaire et par là, contraires à la constitution '

 

Il soutient que les dispositions de l'article L. 622-25-1 en ce qu'elles prévoient l'interruption du délai de prescription puis sa suspension jusqu'à la clôture de la procédure, sans prévoir corrélativement la suspension de la possibilité d'engager des poursuites, placent le créancier de la caution d'un débiteur sous le coup d'une liquidation judiciaire dans une situation bien meilleure que celle de la totalité des créanciers d'autres débiteurs ou cautions, créent une rupture d'égalité des citoyens devant la loi ; il indique également que les dispositions en cause créent une atteinte à la sécurité juridique, dès lors que la caution du débiteur sous le coup d'une procédure collective se trouve exposé aux poursuites du créancier pendant une durée incertaine, la reprise du cours de la prescription dépendant, en effet, de la clôture de la procédure qui est susceptible d'intervenir dans un délai déraisonnable.

 

La banque Courtois, dans les conclusions qu'elle a déposées le 3 novembre 2022 via le RPVA, demande à la cour de refuser de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. [I] à la Cour de cassation en vue de la saisine du conseil Constitutionnel ; après avoir rappelé que les questions posées par l'intéressé ont déjà fait l'objet d'un refus de transmission par le tribunal de commerce de Narbonne suivant jugement rendu le 21 septembre 2021, elle soutient que celles-ci ne présentent pas un caractère sérieux au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, alors que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes et que l'interruption de la prescription à l'égard de la caution n'a pas pour effet de menacer celle-ci d'une durée de prescription excessive au regard des intérêts en cause.

 

Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier, auquel le dossier de l'affaire a été communiqué, est d'avis de ne pas transmettre à la Cour de cassation les questions prioritaires de constitutionnalité posées par M. [I], dépourvues, selon lui, de caractère sérieux.

 

MOTIFS de la DECISION :

 

L'article 126-2 du code de procédure civile énonce qu'à peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé ; en l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité soutenue par M. [I], appelant du jugement rendu le 28 juin 2022 par le tribunal de commerce de Narbonne, l'a bien été dans un écrit motivé et distinct des conclusions au fond prises dans le cadre de la procédure d'appel du jugement et concerne une disposition législative, dont il est prétendu qu'elle serait contraire aux articles 2, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soit en l'occurrence l'article L. 622-25 du code de commerce qui dispose que la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure et qu'elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuite, sachant que la Cour de cassation a jugé, notamment par référence à l'article 2246 du code civil, que la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur interrompt également la prescription à l'égard de la caution.

 

Selon l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (portant loi organique sur le Conseil constitutionnel), crée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

En l'occurrence, la disposition contestée est applicable au litige puisqu'elle est invoquée par la banque Courtois pour affirmer que son action en paiement dirigée contre M. [I] en sa qualité de caution de la société JB, engagée par exploit du 4 septembre 2020, n'est pas atteinte par la prescription quinquennale, tenant la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société JB, intervenue le 1er juillet 2020 constituant le point de départ de la prescription ; elle n'a pas, non plus, été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et la Cour de cassation n'est pas actuellement saisie d'une question la mettant en cause par des moyens identiques.

 

Pour autant, la disposition contestée n'est pas de nature à porter atteinte au principe de l'égalité devant la loi énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dans la mesure où ce principe ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il y déroge pour des motifs d'intérêt général pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement soit en rapport avec les objectifs de la loi ; tel est le cas en l'occurrence puisque l'un des objectifs de la législation sur les entreprises en difficulté est l'apurement du passif du débiteur, qui justifie la prolongation de la procédure collective en vue du désintéressement des créanciers dans le cadre soit de l'adoption d'un plan, soit de la réalisation des actifs en cas de liquidation judiciaire, l'effet interruptif de la prescription découlant de la déclaration de créance jusqu'à la clôture de la procédure collective à l'égard de la caution du débiteur sous le coup d'une telle procédure ne portant pas ainsi une atteinte disproportionnée à l'intérêt particulier de celle-ci dès lors que son engagement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ; la caution d'un débiteur sous le coup d'une procédure collective, qui bénéficie, comme celui-ci, de l'arrêt des poursuites individuelles jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire et qui peut se prévaloir, en cas d'adoption d'un plan, des dispositions arrêtées en faveur du débiteur dans ses rapports avec le créancier, se trouve dans une situation certes différente de la caution d'un débiteur in bonis, mais cette différence de traitement se justifie pleinement au regard de l'objectif d'intérêt général de la procédure collective que constitue l'apurement du passif.

 

Il ne peut, non plus, être considéré que l'article L. 622-25-1 selon lequel la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure porte atteinte au principe de sécurité juridique, tel qu'il résulterait des articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au prétexte que la caution du débiteur sous le coup d'une procédure collective se trouve exposée aux poursuites du créancier pendant une durée incertaine ; en effet, la loi a prévu un terme aux procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, dont la prolongation jusqu'à la résolution du plan ou la clôture de la liquidation judiciaire n'est destinée qu'à permettre l'apurement du passif ; plus particulièrement, en matière de liquidation judiciaire, l'article L. 643-9 du code de commerce impose au tribunal de fixer, dans son jugement, le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée et, dans le cas où la clôture ne peut être prononcée au terme de ce délai, d'en prévoir la prorogation par une décision motivée ; en outre, toute personne intéressée peut porter à la connaissance du tribunal les faits de nature à justifier la saisine d'office de celui-ci aux fins de clôture de la procédure.

 

Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. [I] ne présentent pas le caractère sérieux nécessaire à leur transmission à la Cour de cassation aux fins de saisine du Conseil constitutionnel.

 

Les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance principale.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour,

 

Statuant publiquement et contradictoirement,

 

Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par [X] [I] dans le cadre de la procédure d'appel du jugement rendu le 28 juin 2022 par le tribunal de commerce de Narbonne,

 

Dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance principale,

 

le greffier, le président,