Tribunal administratif de Clermont-Ferrand

Ordonnance du 9 décembre 2022 n° 2202606

09/12/2022

Non-lieu à statuer

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022, M. B A, représenté par Me Hachet, demande au juge des référés :

1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté n°2022/10/1706 du 13 octobre 2022 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a suspendu la validité de son permis de conduire pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

S'agissant de l'urgence :

- la condition d'urgence est caractérisée dès lors que l'exécution de l'arrêté en litige l'empêche d'exercer son activité professionnelle, entrainant des conséquences graves sur sa situation financière ;

- la décision en litige porte une atteinte grave à son droit d'aller et venir, à son droit de travailler et à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

S'agissant du doute sérieux quant à la légalité de la décision :

- les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route sont inconstitutionnelles ;

- l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route est illégal par voie d'exception ; les taux qu'il retient ne respectent pas la définition du cannabis en tant que stupéfiant telle qu'elle ressort de l'article R. 5132-86-1 du code de la santé publique et de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

- l'arrêté en litige lui a été notifié après le délai légal prévu par l'article L. 224-2 du code de la route.

Par un mémoire enregistré le 7 décembre 2022, M. A, représenté par Me Hachet, demande au juge des référés, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la suspension de la décision du 13 octobre 2022, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'alinéa 1er de l'article L. 235-1 du code de la route.

Il soutient que les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision du Conseil constitutionnel à la suite du changement intervenu dans les définitions des substances ou plantes classées comme stupéfiants, et notamment le cannabis ; la nouvelle définition des termes " cannabis " et " substances ou plantes classées comme stupéfiants " constitue un changement des circonstances de droit et permet de réinterroger la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route telles qu'interprétées de façon constante par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux dès lors que les taux retenus par l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route, ne respectent pas la définition du cannabis en tant que stupéfiant telle qu'elle ressort de l'article R. 5132-86-1 du code de la santé publique et de l'arrêté du 30 décembre 2021, partiellement suspendu, portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique, mais aussi de la convention unique sur les stupéfiants du 31 mars 1961 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; le législateur, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir ces seuils, n'a pas épuisé sa compétence faute de ne pas avoir exclu expressément le cannabis légal de l'incrimination de conduite après avoir fait usage de stupéfiant, et a par conséquent manqué aux obligations qui lui incombent aux termes de l'article 34 de la Constitution ; l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir, composante de la liberté individuelle, que constitue l'incrimination de conduite après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est manifestement disproportionnée au regard de l'objectif de prévention d'atteinte à l'ordre public, notamment d'atteintes à l'intégrité physique des personnes, fixé par le législateur.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête enregistrée le 7 décembre 2022 sous le numéro 2202577 par laquelle M. A demande l'annulation de l'arrêté en litige.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". Selon l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1. ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'un acte administratif, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. La condition d'urgence s'apprécie objectivement et globalement au regard de l'intérêt du demandeur mais aussi de l'intérêt public et notamment, s'agissant d'un arrêté de suspension de la validité d'un permis de conduire, des exigences liées à la protection de la sécurité routière.

3. M. A, pour démontrer l'urgence qu'il y aurait à suspendre l'exécution de la décision attaquée, soutient que son permis de conduire lui est nécessaire pour exercer non seulement son activité d'auto-entrepreneur dès lors qu'il exerce de façon ambulante, mais également une activité salariée. Toutefois, à l'appui de ses allégations, le requérant se borne à produire un extrait d'immatriculation de sa société créée en janvier 2022, sans apporter aucun élément précis et concret sur les conditions d'exercice de cette activité et sur les revenus qu'elle lui procure. A cet égard, il ressort de l'examen de l'extrait d'immatriculation auprès de la chambre des métiers et de l'Artisanat que si l'intéressé a déclaré une activité de " désinfection, désinsectisation et dératisation permanente - ambulante ", il a également déclaré la " fabrication d'objets et accessoires annexes et la préparation de plats cuisinés à emporter ". Aucun élément versé au dossier ne permet d'apprécier en quoi la détention de son permis de conduire lui serait nécessaire pour l'exercice de cette seconde activité. Par ailleurs, si M. A se prévaut d'une proposition d'emploi pour un poste de poissonnier en grande surface alimentaire, précisant que les horaires sont peu compatibles avec l'usage des transports en commun, il n'établit pas pour autant qu'il lui serait impossible de recourir à des modes de transport alternatifs, notamment en utilisant un véhicule ne nécessitant pas la détention du permis de conduire pendant la durée de la suspension de son permis ou même en se faisant véhiculer par des tiers. Enfin, il résulte de l'instruction que l'intéressé s'est vu suspendre son permis de conduire pour usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. Dans ces conditions, alors même que la suspension de son permis de conduire occasionne une gêne pour M. A pendant un temps limité le contraignant à se réorganiser, la condition d'urgence, qui doit s'apprécier objectivement et globalement, ne peut être regardée comme remplie.

4. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux, les conclusions à fin de suspension ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Il résulte de la combinaison des dispositions de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code. Toutefois, le juge des référés peut, en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour irrecevabilité ou pour défaut d'urgence. S'il rejette les conclusions aux fins de suspension pour l'un de ces motifs, il n'y a pas lieu, pour le juge des référés de statuer sur la demande de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. En l'espèce, ainsi qu'il est dit ci-dessus, la condition d'urgence n'étant pas satisfaite, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative et de rejeter la requête de M. A en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A.

Fait à Clermont-Ferrand, le 9 décembre 2022.

La présidente du tribunal,

juge des référés

S. BADER-KOZA

La République mande et ordonne au préfet du Puy-de-Dôme, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

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