Tribunal administratif de Mayotte

Ordonnance du 8 décembre 2022 n° 2205231

08/12/2022

Renvoi

Vu la procédure suivante :

I Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 18 octobre et 23 novembre 2022 sous le n° 2205231, Mme H A, M. D B et La Ligue des Droits de l'Homme, représentés par Me Ghaem, avocate, demandent au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'arrêté n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou ;

2°) de condamner l'Etat à verser à Mme A et M. B la somme de 1.500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner l'Etat à verser La Ligue des Droits de l'Homme la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les parties requérantes soutiennent que :

- elles ont intérêt à agir contre la décision attaquée soit en leur qualité d'occupants des parcelles visées par l'arrêté, soit à raison de l'objet statutaire de l'association ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et immédiate au droit au logement en ordonnant une évacuation sans solution effective de relogement et d'hébergement ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation au regard des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision préfectorale est entachée d'un vice de procédure compte tenu de l'impossibilité de déterminer la réalité des offres d'hébergements et de logements et leurs caractéristiques ;

- l'arrêté ne permet pas d'identifier le périmètre exact des mesures d'évacuation ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs de droit dès lors qu'il ne vise pas un ensemble homogène au sens de la loi ELAN et qu'il ne comporte pas de proposition d'hébergement ou de relogement adaptée à chaque situation annexée à l'arrêté méconnaissant ainsi la circulaire du 26 août 2012 relative à l'anticipation et à l'accompagnement des opérations d'évacuation des campements illicites et l'instruction du gouvernement du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles;

- il a été pris à la suite d'une procédure irrégulière en l'absence d'un diagnostic social effectif permettant une appréciation précise des situations individuelles des habitants et des offres de relogement ;

- il est entaché d'erreurs matérielles s'agissant des risques et désordres justifiant la mesure d'évacuation et de destruction ;

- enfin il méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2022, le préfet de Mayotte, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- La ligue des droits de l'homme ne justifie pas d'un intérêt à agir ;

- Les moyens soulevés par les requérants sont infondés, et au surplus les requérants sont injoignables malgré les nombreuses tentatives de prise de contact.

Vu la requête enregistrée le 18 octobre 2022 sous le n°2205230 par laquelle les requérants demandent au tribunal d'annuler l'arrêté litigieux.

Par un mémoire enregistré le 23 novembre 2022, Mme H A, M. D B et La Ligue des Droits de l'Homme, représentés par Me Ghaem, avocate, demande au juge des référés, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la suspension l'arrêté n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022 de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018.

Ils soutiennent que les dispositions de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision du Conseil constitutionnel puisqu'il ne s'est pas prononcé sur cette disposition et n'a pas été saisi depuis l'entrée en vigueur de ce texte ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En effet, en ce que les dispositions critiquées s'abstiennent, d'une part, de définir le terme " ensemble homogène " qui conditionne la compétence attribuée au préfet par la loi " et, d'autre part, de définir celle de " proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant " tout comme de préciser les obligations à la charge des autorités administratives en la matière, elles sont entachées d'une incompétence négative portant atteinte au droit à la vie privée et familiale, au droit à la propriété, au droit à la sûreté et l'intérêt supérieur des enfants des familles concernées par ces opérations de démolition ; cet article porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée en ce qu'il prévoit une procédure minimaliste en matière d'évacuation et de démolition des habitats informels ; ces dispositions portent atteinte au principe constitutionnel de fraternité et à la sauvegarde de la dignité humaine en ce qu'elles autorisent l'évacuation d'un logement informel à la seule condition que soit proposé un hébergement d'urgence ; elles portent également atteinte à ces deux mêmes deux derniers principe et droit tout comme au droit à la vie privée en ce qu'elles ne conditionnent pas l'obligation d'évacuer les lieux au respect de proposer à chaque occupant une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence.

Le mémoire a été communiqué au préfet de Mayotte qui n'a pas produit d'écritures en défense.

II Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 19 octobre et 23 novembre 2022 sous le n° 2205236, Mme E et La Ligue des Droits de l'Homme (LDH), représentés par Me Ghaem, avocate, demandent au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'arrêté n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou ;

2°) de condamner l'Etat à verser à Mme E la somme de 1.500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner l'Etat à verser à La Ligue des Droits de l'Homme la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles ont intérêt à agir contre la décision attaquée soit en leur qualité d'occupants des parcelles visées par l'arrêté, soit à raison de l'objet statutaire de l'association ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et immédiate au droit au logement en ordonnant une évacuation sans solution effective de relogement et d'hébergement ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation au regard des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision préfectorale est entachée d'un vice de procédure compte tenu de l'impossibilité de déterminer la réalité des offres d'hébergements et de logements et leurs caractéristiques ;

- l'arrêté ne permet pas d'identifier le périmètre exact des mesures d'évacuation ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs de droit dès lors qu'il ne vise pas un ensemble homogène au sens de la loi ELAN et qu'il ne comporte pas de proposition d'hébergement ou de relogement adaptée à chaque situation annexée à l'arrêté méconnaissant ainsi la circulaire du 26 août 2012 relative à l'anticipation et à l'accompagnement des opérations d'évacuation des campements illicites et l'instruction du gouvernement du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles;

- il a été pris à la suite d'une procédure irrégulière en l'absence d'un diagnostic social effectif permettant une appréciation précise des situations individuelles des habitants et des offres de relogement ;

- il est entaché d'erreurs matérielles s'agissant des risques et désordres justifiant la mesure d'évacuation et de destruction ;

- enfin il méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2022, le préfet de Mayotte, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- La ligue des droits de l'homme ne justifie pas d'un intérêt à agir ;

- Les moyens soulevés par les requérants sont infondés, et au surplus les requérants sont injoignables malgré les nombreuses tentatives de prise de contact.

Vu la requête enregistrée le 19 octobre 2022 sous le n°2205232 par laquelle les requérants demandent au tribunal d'annuler l'arrêté litigieux.

III Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement les 22 octobre et 23 novembre 2022 sous le n° 2205345, Mmes G et F et La Ligue des Droits de l'Homme (LDH), représentés par Me Ghaem, avocate, demandent au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'arrêté n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou ;

2°) de condamner l'Etat à verser à Mme A et M. B la somme de 1.500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner l'Etat à verser La Ligue des Droits de l'Homme la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les parties requérantes soutiennent que :

- elles ont intérêt à agir contre la décision attaquée soit en leur qualité d'occupants des parcelles visées par l'arrêté, soit à raison de l'objet statutaire de l'association ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et immédiate au droit au logement en ordonnant une évacuation sans solution effective de relogement et d'hébergement ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation au regard des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision préfectorale est entachée d'un vice de procédure compte tenu de l'impossibilité de déterminer la réalité des offres d'hébergements et de logements et leurs caractéristiques ;

- l'arrêté ne permet pas d'identifier le périmètre exact des mesures d'évacuation ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs de droit dès lors qu'il ne vise pas un ensemble homogène au sens de la loi ELAN et qu'il ne comporte pas de proposition d'hébergement ou de relogement adaptée à chaque situation annexée à l'arrêté méconnaissant ainsi la circulaire du 26 août 2012 relative à l'anticipation et à l'accompagnement des opérations d'évacuation des campements illicites et l'instruction du gouvernement du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles;

- il a été pris à la suite d'une procédure irrégulière en l'absence d'un diagnostic social effectif permettant une appréciation précise des situations individuelles des habitants et des offres de relogement ;

- il est entaché d'erreurs matérielles s'agissant des risques et désordres justifiant la mesure d'évacuation et de destruction ;

- enfin il méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2022, le préfet de Mayotte, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- La ligue des droits de l'homme ne justifie pas d'un intérêt à agir ;

- Les moyens soulevés par les requérants sont infondés, et au surplus les requérants sont injoignables malgré les nombreuses tentatives de prise de contact.

Vu la requête enregistrée le 22 octobre 2022 sous le n°2205344 par laquelle les requérants demandent au tribunal d'annuler l'arrêté litigieux.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- - la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique et notamment son article 197 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 24 novembre 2022 à 9 heures 30, en présence de Mme Thoral, greffière d'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- Les observations de Me Ghaem, pour les requérants

- et celles de Mmes C et Moine-Picard représentant le préfet de Mayotte.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Le préfet a produit deux mémoires en communication de pièces les 25 novembre et 1er décembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue et n'ont donc pas été communiqués.

Considérant ce qui suit :

1. Dans chacun des dossiers, les parties requérantes demandent de façon identique au juge des référés, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, sur le fondement des dispositions de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 et portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou sur les 3 parcelles occupées par les requérants.

2. Les 3 requêtes enregistrées sous les n° 2205231, 2205236 et 2205345, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a dès lors lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposé par le préfet de Mayotte :

3. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

 

4. L'association " Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ", (ci-après " Ligue des droits de l'Homme "), a notamment pour objet statutaire de combattre " l'injustice, l'illégalité, l'arbitraire, l'intolérance, toute forme de racisme et de discrimination () et plus généralement toute atteinte au principe fondamental d'égalité entre les êtres humains ". Il en résulte que les objectifs statutaires de l'association requérante portent sur la défense des droits affectés par toute mesure arbitraire ou restrictive d'une liberté publique. Cette association possède un champ d'action national, en dépit d'une organisation comportant des représentations régionales et départementales.

5. Les effets de l'arrêté du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, pris sur le fondement des dispositions de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 et portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou sur les parcelles occupées par les requérants, doivent être regardés comme strictement cantonnés à la situation très particulière de Mayotte, au demeurant cet article 197 ne concerne que le territoire de Mayotte et le département de la Guyane, il ressort des propos mêmes tenus par l'avocat des requérants que ces dispositions ne sont d'ailleurs pas mises en œuvre en Guyane. Dès lors, dans la mesure où cet arrêté ne répond donc pas à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes hors du territoire de Mayotte, il ne peut être regardé comme soulevant des questions excédant les seules circonstances locales. Dans ces conditions, l'association " la Ligue des droits de l'Homme " ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander la suspension de cette décision préfectorale. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée à cet égard par le préfet de Mayotte doit être regardé comme fondée. Il s'ensuit que la présente demande en référé doit être rejetée, en toutes ses conclusions, en tant qu'elle est présentée par cette association.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

6. Aux termes de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Après l'article 11 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, il est inséré un article 11-1 ainsi rédigé : / " Art. 11-1.-I.-A Mayotte et en Guyane, lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l'article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique, le représentant de l'Etat dans le département peut, par arrêté, ordonner aux occupants de ces locaux et installations d'évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l'issue de l'évacuation. L'arrêté prescrit toutes mesures nécessaires pour empêcher l'accès et l'usage de cet ensemble de locaux et installations au fur et à mesure de leur évacuation. / Un rapport motivé établi par les services chargés de l'hygiène et de la sécurité placés sous l'autorité du représentant de l'Etat dans le département et une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant sont annexés à l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent I. / Le même arrêté précise le délai accordé pour évacuer et démolir les locaux et installations mentionnés au même premier alinéa, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la notification de l'arrêté et de ses annexes aux occupants et aux propriétaires. Lorsque le propriétaire est non occupant, le délai accordé pour procéder à la démolition est allongé de huit jours à compter de l'évacuation volontaire des lieux. / A défaut de pouvoir identifier les propriétaires, notamment en l'absence de mention au fichier immobilier ou au livre foncier, la notification les concernant est valablement effectuée par affichage à la mairie de la commune et sur la façade des locaux et installations concernés. () / III.- L'obligation d'évacuer les lieux et l'obligation de les démolir résultant des arrêtés mentionnés aux I et II ne peuvent faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration des délais accordés pour y procéder volontairement, ni avant que le tribunal administratif n'ait statué, s'il a été saisi, par le propriétaire ou l'occupant concerné, dans les délais d'exécution volontaire, d'un recours dirigé contre ces décisions sur le fondement des articles L. 521-1 à L. 521-3 du code de justice administrative. L'Etat supporte les frais liés à l'exécution d'office des mesures prescrites. ".

7. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance visée ci-dessus du 7 novembre 1958 que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ". Il résulte de la combinaison des dispositions de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code.

8. Mme H A et M. D B demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

9. Les demandeurs de la requête n° 2205231 soutiennent, en premier lieu, que cet article 197 de la loi du 23 novembre 2018 en ce que le législateur s'est abstenu, d'une part, de d'y définir le terme " ensemble homogène " qui conditionne la compétence attribuée au préfet par la loi " et, d'autre part, d'y définir celle de " proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant " tout comme d'y préciser les obligations à la charge des autorités administratives en la matière, est entaché d'une incompétence négative portant atteinte au droit à la vie privée et familiale, au droit à la propriété, au droit à la sûreté et l'intérêt supérieur de l'enfant. En deuxième lieu, les requérants font valoir que cet article porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée en ce qu'il ne prévoit qu'une procédure minimaliste en matière d'évacuation et de démolition des habitats informels qui ne permet pas de mettre en balance les exigences de l'ordre public et les droits et libertés constitutionnelles des droits des personnes concernées. En troisième lieu, Mme H A et M. D B soutiennent les dispositions de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portent atteinte au principe constitutionnel de fraternité et à la sauvegarde de la dignité humaine en ce qu'elles autorisent l'évacuation d'un logement informel à la seule condition que soit proposé un hébergement d'urgence. En quatrième lieu, les intéressés indiquent que ces dispositions portent également atteinte à ces deux mêmes deux derniers principe et droit tout comme au droit à la vie privée en ce qu'elles ne conditionnent pas l'obligation d'évacuer les lieux au respect de proposer à chaque occupant une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence.

10. Les dispositions de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Les moyens tirés de ce qu'en ne définissant pas les notions d' " ensemble homogène " et de " proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant " et en s'abstenant de préciser les obligations à la charge des autorités administratives en la matière, le législateur a méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, dont le droit à la vie privée et familiale, le droit à la propriété, le droit à la sûreté et l'intérêt supérieur des enfants des familles concernées par ces opérations de démolition, posent une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

12. Pour en demander la suspension, les requérants arguent de ce qu'en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, l'arrêté litigieux ne comporte pas d'annexe portant proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à leurs situations et qu'aucune proposition de relogement adaptée ne leur a ensuite été faite. Outre que les noms des requérants ne figurent pas sur l'annexe 3 dudit arrêté portant attestation de proposition d'hébergement après enquête sociale, et que la défense fait valoir que les requérants ont refusé des propositions de relogement qui leur auraient été faites alors qu'ils auraient tous fait l'objet d'une enquête sociale les 17 et 21 juin antérieurement à la date de l'arrêté préfectoral du 19 septembre 2022, d'une part il résulte des propres écritures du préfet qu'au jour de l'audience aucune proposition concrète sur les offres d'hébergement n'a été adressée aux requérants avant la notification de l'arrêté litigieux et, d'autre part, en l'état du dossier, aucune pièce ne permet de connaitre la consistance des propositions d'hébergement dont se prévaut la défense, ne permettant pas ainsi au juge d'exercer son contrôle sur la réalité et le caractère adapté desdites propositions contestées par les requérants. Par suite, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué a été pris sans que les requérants aient reçus de véritables propositions d'hébergement ou de relogement adaptées à leur situation, est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

13. Il résulte de ce qui précède, qu'en ce qui concerne la situation de Mme H A, de M. D B, de Mme E, de Mmes G, de Mme F, il y a lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2022-SG-1158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens () ". Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par la Ligue des droits de l'Homme sur le fondement de ces dispositions. Par contre, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à chacun des requérants, soit à Mme H A, à M. D B, à Mme E, à Mme G et à Mme F, d'une somme de

1 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté n° 2022-SGA-11158 du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022, est suspendue en tant qu'il concerne Mme H A, M. D B, Mme E, Mme G et Mme F.

Article 3 : Les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'Homme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à chacun des requérants soit à Mme H A, à M. D B, à Mme E, à Mme G et à Mme F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme H A, à M. D B, à Mme E à Mmes G, à Mme F, à La Ligue des Droits de l'Homme et au ministre de l'intérieur.

Copie pour information au préfet de Mayotte et au maire de Mamoudzou.

Fait à Mamoudzou, le 8 décembre 2022.

Le juge des référés

 

G. CORNEVAUX

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C