Tribunal administratif de Marseille

Jugement du 6 décembre 2022 n° 2009939

06/12/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2020, la SAS Auto Distribution Provence, représentée par Me Lagneaux, demande au tribunal :

1°) à titre principal, la décharge de la cotisation de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel, se soit prononcé sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa premier de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés méconnaissent l'article 34 de la Constitution, le législateur n'ayant pas précisé de façon suffisamment claire les catégories de professionnels assujettis à la taxe sur les surfaces commerciales ;

- le pouvoir réglementaire a institué une catégorie de contribuables en dehors du cadre fixé par l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ne précise pas le champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales ;

- l'administration n'était pas compétente pour préciser, dans son instruction publiée sous la référence BOI-TFP-TSC, aux paragraphes n° 30 à 280, le champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales ;

- la documentation administrative ne reprend pas, pour déterminer les surfaces à comptabiliser pour établir l'imposition en litige, le double critère cumulatif d'espace à la fois clos et couvert, en méconnaissances des dispositions de l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- l'incompétence négative du législateur se traduit par la violation du principe de consentement à l'impôt garanti par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, du principe d'égalité devant les charges publiques et de la liberté d'entreprendre ;

- la loi du 13 juillet 1972 et le décret du 26 janvier 1995 portent atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime car leurs dispositions créent une ambiguïté à l'égard des concessionnaires en raisons des notions vagues de " magasin de commerce de détail " ou concernant la désignation de la surface à prendre en compte pour la détermination de la base imposable ;

- les opérateurs du secteur ont adapté leur comportement en raison de l'espérance légitime de ne pas être dans le champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales, certains n'ayant pas déposé de déclaration de taxe sur les surfaces commerciales.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2021, la directrice régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Auto Distribution Provence ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 21 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment l'article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pouliquen, rapporteure,

- les conclusions de Mme Caselles, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Auto Distribution Provence a été assujettie à une cotisation de taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2018, à raison d'une concession automobile qu'elle exploite, située au 11, traverse de la Montre à Marseille. Elle demande, à titre principal, la décharge de ces cotisations, et à titre subsidiaire que le tribunal sursoie à statuer le temps que le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité du premier alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés.

Sur les conclusions principales aux fins de décharge :

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dans sa version applicable au litige : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. () / La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe, et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente./ La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins. () / Si ces établissements, à l'exception de ceux dont l'activité principale est la vente ou la réparation de véhicules automobiles, ont également une activité de vente au détail de carburants, l'assiette de la taxe comprend en outre une surface calculée forfaitairement en fonction du nombre de position de ravitaillement dans la limite de 70 mètres carrés par position de ravitaillement. () / A l'exclusion des établissements qui ont pour activité principale la vente ou la réparation de véhicules automobiles, les taux mentionnés à l'alinéa précédent sont respectivement portés à 8, 32 € ou 35,70 € () Un décret prévoira, par rapport aux taux ci-dessus, des réductions pour les professions dont l'exercice à titre principal requiert des superficies de vente anormalement élevées ou, en fonction de leur chiffre d'affaires au mètre carré, pour les établissements dont la surface des locaux de vente destinés à la vente au détail est comprise entre 400 et 600 mètres carrés. () ". Aux termes de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe sur les surfaces commerciales : " A.- La réduction de taux prévue au dix-huitième alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 susvisée en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées est fixée à 30 % en ce qui concerne la vente à titre principal des marchandises énumérées ci-après : () - véhicules automobiles ".

3. En premier lieu, il résulte de la lettre même des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972, qui prévoient notamment des dispositions propres à ces établissements, que les établissements dont l'activité principale est la vente de véhicules automobiles, qu'ils soient neufs ou d'occasion, sont inclus dans le champ d'application de cet impôt. Le décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe sur les surfaces commerciales précise à son article premier le champ d'application de cette taxe, en donnant la définition de la notion " d'établissement " et en précisant que les prestations de services sont exclues de la vente au détail. Il ressort également des termes de son article 3 que la vente de véhicules automobiles est inclue dans le champ des assujettis à la taxe sur les surfaces commerciales, dispositions qui n'étendent pas ce champ défini par le législateur. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret du 26 janvier 1995 et la documentation administrative, qui explicite et interprète ces dispositions, auraient, en méconnaissance de la répartition des pouvoirs prévue à l'article 34 de la Constitution, ajouté les concessionnaires automobiles dans le champ de la taxe sur les surfaces commerciales, manquent en fait. Doivent également être écartés comme manquant en fait les moyens tirés de ce que le décret précité ne précise pas le champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales et ne permet pas de savoir si les concessionnaires automobiles entrent dans ce champ.

4. En deuxième lieu, aux termes du dix-huitième alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés : " Un décret prévoira, par rapport aux taux ci-dessus, des réductions pour les professions dont l'exercice à titre principal requiert des superficies de vente anormalement élevées ou, en fonction de leur chiffre d'affaires au mètre carré, pour les établissements dont la surface des locaux de vente destinés à la vente au détail est comprise entre 400 et 600 mètres carrés ". Ainsi, la réduction de l'imposition prévue pour les établissements ayant une surface de vente comprise entre 400 et 600 mètres carrés a été prévue par le législateur et n'a pas été instaurée par le B de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe sur les surfaces commerciales. Par son argumentation, la requérante critique, au regard du principe d'égalité devant les charges publiques, la différence de traitement instaurée entre les établissements selon leur surface de vente. Or, une telle critique ne saurait être portée devant le juge administratif en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes du quatrième alinéa de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés : " La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins ". En tout état de cause, le paragraphe n° 250 de la documentation administrative publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts le 5 avril 2017 sous la référence BOI-TFP-TSC dispose que : " La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins ". Ainsi, le moyen tiré de ce que l'administration n'aurait pas repris, dans la documentation administrative précitée, les critères d'une surface close et couverte pour déterminer les surfaces à prendre en compte pour le calcul de la taxe manque en fait.

6. En quatrième et dernier lieu, d'une part, la taxe sur les surfaces commerciales n'est pas régie par le droit de l'Union européenne. Par suite, la société requérante ne peut utilement invoquer le principe de confiance légitime. D'autre part, tant les dispositions de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés que celles du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe sur les surfaces commerciales sont suffisamment claires et précises pour comprendre le champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales. La circonstance que de nombreux opérateurs n'auraient pas déposé leur déclaration relative à cette taxe, circonstance qui, au demeurant, n'est pas établie n'est pas de nature à démontrer que l'absence d'assujettissement des concessionnaires automobiles pendant une certaine période, à le supposer même établi, aurait fait naître chez eux une espérance légitime de ne pas être dans le champ de la taxe. Par suite les moyens tirés de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne sont pas fondés.

7. Il résulte de ce qui précède que la SAS Auto Distribution Provence n'est pas fondée à demander la décharge de la cotisation de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018.

Sur les conclusions subsidiaires portant sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". La SAS Auto Distribution Provence n'a pas présenté dans un mémoire distinct les moyens tirés de ce que le premier alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Les moyens tirés de l'incompétence négative du législateur, de la méconnaissance du principe de consentement à l'impôt, du principe d'égalité devant les charges publiques et de la liberté d'entreprendre ne sont, par suite, pas recevables et ne peuvent qu'être écartés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la SAS Auto Distribution Provence doit être rejetée dans toutes ses conclusions, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

 

Article 1er : La requête de la SAS Auto Distribution Provence est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Auto Distribution Provence et à la directrice régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Menasseyre, présidente,

M. Zarrella, premier conseiller,

Mme Pouliquen, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.

La rapporteure,

signé

G. Pouliquen

La présidente,

signé

A. MenasseyreLa greffière,

signé

A. Vidal

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

Code publication

C