Tribunal administratif de Versailles

Jugement du 1er décembre 2022 n° 2103257

01/12/2022

Irrecevabilité

Vu les procédures suivantes :

I - Par une requête enregistrée le 19 avril 2021 sous le n°2103257, la société civile immobilière (SCI) Les allées, représentée par Me Vidal et Me Choley, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2020 à raison du bien immobilier situé 18, avenue Carnot à Corbeil-Essonnes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision rejetant sa réclamation a été signée par une autorité incompétente ;

- l'article 1382 C bis du code général des impôts est inconstitutionnel et inconventionnel en ce qu'il méconnaît le principe d'égalité reconnu par les stipulations de l'article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; en effet, la société interprofessionnelle de soins ambulatoires " Les allées " constitue une maison de santé au sens de l'article L. 6323-3 du code de la santé publique et occupe à titre onéreux les locaux lui appartenant et à raison desquels elle est imposée à la taxe foncière et elle-même ne peut pourtant pas bénéficier de l'exonération prévue par l'article 1382 C bis du code général des impôts, dans la mesure où elle est une personne privée et non une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, ce qui entraîne une rupture d'égalité et des distorsions de concurrence avec les autres établissements de santé analogues appartenant à des collectivités ou établissements publics.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2021, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1382 C bis du code général des impôts est irrecevable, faute d'avoir été soulevé à l'appui d'un mémoire distinct et motivé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité " conformément à l'article R 771-3 du code de justice administrative ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

II - Par une requête enregistrée le 19 avril 2021 sous le n°2103258, la SCI Les allées, représentée par Me Vidal et Me Choley, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 18 février 2021 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de l'Essonne a rejeté sa demande tendant à la remise gracieuse de la taxe foncière à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2020 ;

2°) d'enjoindre au directeur départemental des finances publiques de l'Essonne de prononcer la remise gracieuse de cette imposition ou, à défaut, de réexaminer sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation : la maison de santé " Les allées " répond à un besoin local en matière d'offre de soins ; elle-même n'est pas en mesure d'honorer le paiement de la taxe foncière qui lui est réclamée en raison de la pandémie de covid-19 et de la mise en place du confinement ordonné par le gouvernement qui l'ont contrainte à mettre fin au recouvrement des loyers des professionnels de santé occupant ses locaux pendant la période de confinement, ces derniers n'ayant eux-mêmes plus la capacité de faire face à leurs charges.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2021, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable car tardive ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal administratif de Versailles a désigné Mme A pour statuer sur les litiges mentionnés à l'article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mathé, magistrate désignée,

- et les conclusions de M. Armand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Les allées a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'année 2020, d'un montant de 10 322 euros, à raison d'un bien immobilier sis 18 avenue Carnot à Corbeil-Essonnes dont elle est propriétaire et qui est exploité par des sociétés tierces et des professionnels de santé dans le cadre d'une maison de santé pluridisciplinaire. Par deux courriers du 7 décembre 2020, la SCI Les allées a respectivement présenté une réclamation et une demande de remise gracieuse concernant cette imposition, qui ont été rejetées par une décision du 18 février 2021. Par ces deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul jugement dès lors qu'elles présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune, la SCI Les allées demande la décharge de cette imposition et l'annulation de la décision rejetant sa demande de remise gracieuse.

Sur la requête n° 2103257 :

2. En premier lieu, les vices qui peuvent entacher la décision par laquelle l'administration fiscale rejette la réclamation dont elle est saisie par un contribuable et, notamment, l'incompétence de son signataire, sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé des impositions contestées. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision rejetant la réclamation de la SCI Les allées est ainsi inopérant.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ".

4. Le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1382 C bis du code général des impôts ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, ce moyen est irrecevable, comme le fait d'ailleurs valoir l'administration fiscale.

5. En dernier lieu, aux termes de l'article 1382 C bis du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " I. - Les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues à l'article 1639 A bis, exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties les locaux qui appartiennent à une collectivité territoriale ou à un établissement public de coopération intercommunale et qui sont occupés à titre onéreux par une maison de santé mentionnée à l'article L. 6323-3 du code de la santé publique () ".

6. Il résulte de l'instruction que la SCI Les allées n'a pas été imposée à la taxe foncière sur les propriétés bâties en litige en application des dispositions de l'article 1382 C bis du code général des impôts. Par suite, le moyen tiré de leur inconventionnalité est inopérant. En tout état de cause, comme le fait valoir l'administration fiscale, aucune délibération n'a été prise, en l'espèce, sur le fondement de ces dispositions, de sorte que les personnes publiques ne peuvent pas davantage bénéficier de l'exonération prévue par ces dispositions que les personnes privées, et que les personnes publiques sont tenues, pour bénéficier de cette exonération, de limiter le montant des loyers perçus par les locataires de la maison de santé aux dépenses payées à raison du fonctionnement des locaux et de l'annuité d'amortissement de ceux-ci, de sorte qu'elles sont placées dans une situation différente que celle des personnes privées auxquelles cette limitation ne s'applique pas.

7. Il résulte de ce qui précède que la SCI Les allées n'est pas fondée à demander la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2020 à raison du bien immobilier situé 18, avenue Carnot à Corbeil-Essonnes dont elle est propriétaire. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 2103258 :

8. Aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : " L'administration peut accorder sur la demande du contribuable ; / 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence () ". Si la décision de l'administration refusant une remise gracieuse sur le fondement de ces dispositions peut être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir, cette décision ne peut être annulée que si elle est entachée d'incompétence, d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou encore si elle est révélatrice d'un détournement de pouvoir.

9. En premier lieu, par un arrêté n°2020-DDFIP-067 du 31 août 2020, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Essonne n°130 du 3 septembre 2020, le signataire de la décision attaquée, inspecteur divisionnaire des finances publiques, a reçu délégation à l'effet de signer, notamment, les décisions portant remise, modération ou rejet des demandes de remise gracieuse en matière fiscale. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque ainsi en fait.

10. En second lieu, en se bornant à produire des courriers de députés et sénateurs de l'Essonne datés de septembre et octobre 2019 portant sur le principe de l'assujettissement des maisons de santé à la taxe foncière et deux articles de presse, la société requérante n'établit pas qu'elle serait dans l'impossibilité de payer, par suite de gêne ou d'indigence, la cotisation de taxe foncière à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2020, pour un montant de 10 322 euros, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle possède un patrimoine immobilier comptabilisé pour un montant net de 1 093 344 euros au 31 décembre 2020 et de disponibilités pour un montant de 130 655 euros à cette date. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la société requérante s'est acquittée de la totalité du montant de sa dette par un chèque du 6 septembre 2021. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SCI Les allées n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision rejetant sa demande de remise gracieuse. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E:

Article 1er : Les deux requêtes de la SCI Les allées sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Les allées et au directeur départemental des finances publiques des Yvelines.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La magistrate désignée,

signé

C. A

La greffière,

signé

A. Gateau La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous les commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 2103257, 2103258