Cour d'Appel de Caen

Arrêt du 1 décembre 2022 n° 21/02730

01/12/2022

Non renvoi

AFFAIRE : N° RG 21/02730

 

N° Portalis DBVC-V-B7F-G3AD

 

 Code Aff. :

 

ARRET N°

 

C.P

 

ORIGINE : Décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAINT LO en date du 28 Décembre 2018 - RG n° 21600548

 

SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALIT2

 

COUR D'APPEL DE CAEN

 

Chambre sociale section 3

 

ARRET DU 01 DECEMBRE 2022

 

APPELANTE :

 

Madame [O] [R]

 

[Adresse 1]

 

[Adresse 1]

 

Non comparante ni représentée

 

INTIMEE :

 

URSSAF DE NORMANDIE

 

[Adresse 2]

 

[Adresse 2]

 

[Adresse 2]

 

Représentée par Mme [E], mandatée

 

PARTIE INTERVENANTE :

 

Ministère Public : régulièrement avisé par le greffe le 6 octobre 2021 et ayant déposé son avis le 22 novembre 2021

 

DEBATS : A l'audience publique du 19 septembre 2022, tenue par M. GANCE, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

 

GREFFIER : Mme GOULARD

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

 

Mme CHAUX, Présidente de Chambre,

 

M. LE BOURVELLEC, Conseiller

 

M. GANCE, Conseiller,

 

ARRET prononcé publiquement le 01 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

 

FAITS ET PROCEDURE

 

Mme [R] est affiliée depuis le 26 mars 2011 au régime social des indépendants (RSI) transféré par la loi du 30 décembre 2017 à l'Urssaf, au titre d'une activité de restauration rapide.

 

Le RSI a adressé à Mme [R] une mise en demeure du 8 juin 2016 pour un montant de 2726 euros en principal et majorations au titre des cotisations sociales du 2ème trimestre 2016 ainsi qu'une mise en demeure du 8 décembre 2016 de 11900 euros en principal et majorations au titre des cotisations sociales du 4ème trimestre 2016 et d'une régularisation des années 2015 et 2016.

 

Mme [R] a contesté ces mises en demeure devant la commission de recours amiable, puis contesté les décisions de rejet de cette commission devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche.

 

Ces recours ont été enrôlés séparément, sous le n° 21600548 pour la mise en demeure du 8 juin 2016 et sous le n° 21700197 pour la mise en demeure du 8 décembre 2016.

 

Par jugement du 28 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche a:

 

- ordonné la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 21600548 et 21700197

 

- déclaré recevables les recours de Mme [R]

 

- débouté Mme [R] de ses demandes

 

- constaté que Mme [R] exerçant une activité indépendante, est affiliée au régime légal de sécurité sociale des travailleurs indépendants et qu'à ce titre, elle est redevable de cotisations

 

- confirmé le bien fondé de :

 

*la mise en demeure du 8 juin 2016 pour un montant de 2698 euros ( recours n° 21600548)

 

*la mise en demeure du 8 décembre 2016 pour un montant de 11900 euros (recours n° 21700197)

 

soit un total de 14598 euros

 

- condamné Mme [R] à payer à la Caisse du RSI Basse-Normandie devenue caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

 

- débouté la Caisse du RSI de sa demande au titre de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale

 

- ordonné l'exécution provisoire.

 

Suivant déclaration du 7 février 2019, Mme [R] a formé appel de ce jugement. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 19/454.

 

Aux termes d'une lettre recommandée avec accusé de réception reçue au greffe le 21 février 2019, Mme [R] a déposé un mémoire écrit aux termes duquel elle demande à la cour de :

 

'-vu l'article 34 de la Constitution, transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portée par le présent mémoire au regard de l'ordonnance 2005-804 qui a modifié l'article L 611-2 du code de la sécurité sociale sans valeur législative créant une situation statutaire illégale du régime social des indépendants instituée par l'ordonnance n° 2005-1528 en tant que l'ensemble de ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution;

 

- surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision du conseil constitutionnel.'

 

Ce mémoire a été enrôlé distinctement sous le numéro 21 / 2730.

 

Il a été transmis au ministère public pour avis le 6 octobre 2021.

 

Par conclusions reçues le 22 novembre 2021, ce dernier a conclu à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Suivant acte d'huissier du 29 août 2022 remis à personne, l'Urssaf Normandie venant aux droits de l'Urssaf de Basse-Normandie elle-même venant aux droits de l'Urssaf Sécurité sociale indépendants, auquel a été transféré le régime social des indépendants par la loi du 30 décembre 2017, a fait signifier à Mme [R] une citation d'avoir à comparaître devant la chambre sociale de la cour d'appel de Caen le 19 septembre 2022 à 14 heures dans le dossier n° 21-2730, les conclusions du ministère public ainsi que ses propres écritures du 8 août 2022 aux termes desquelles, l'Urssaf demande à la cour de :

 

- constater que la question prioritaire de constitutionnalité ne satisfait pas au critère de nouveauté posé par l'article 23-2-2° de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la constitution

 

- rejeter la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

À l'audience, seule l'Urssaf s'est présentée, sollicitant le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

MOTIFS

 

Aux termes des articles 23-1 et 23-2 de la loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la constitution modifiant l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :

 

'Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel.

 

' La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.'

 

Une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle au seul motif que la disposition contestée n'a jamais été soumise au Conseil constitutionnel. En effet, le législateur organique a entendu imposer que le Conseil soit saisi de l'interprétation de toute disposition dont il n'avait pas encore eu à faire application.

 

L'article 126-4 du code de procédure civile dispose que le juge statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, le ministère public avisé et les parties entendues ou appelées.

 

En la forme, la question prioritaire de constitutionnalité de Mme [R] soulevée dans un mémoire distinct et motivé est recevable.

 

Mme [R] soutient dans son mémoire que l'ordonnance n° 2005-804 du 18 juillet 2005 ayant modifié l'article L 611-2 du code de la sécurité sociale n'est pas conforme à la Constitution aux motifs que cette ordonnance qui a été prise sur le fondement d'une loi d'habilitation n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 publiée le 10 décembre 2004, n'a pas fait l'objet d'une ratification par le parlement dans le délai de trois mois qui suit la publication de l'ordonnance comme le prévoit la loi d'habilitation.

 

Elle précise sur ce point que l'ordonnance a été publiée le 19 juillet 2005 de telle sorte que le gouvernement avait jusqu'au 19 octobre 2005 pour déposer un projet de loi de ratification.

 

Elle rappelle que s'il existe un projet de loi pris dans le délai imparti, ce projet de loi n'a jamais été présenté aux votes, et que l'ordonnance n° 2005-804 n'a finalement été ratifiée que par une loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 qui résulte d'une proposition de loi d'un député et non d'un projet de loi comme l'exige la loi d'habilitation.

 

Toutefois, le juge constitutionnel dans une décision n° 2020-843 § 11 a décidé que lorsqu'un projet de loi de ratification d'une ordonnance a été déposé dans le délai fixé par la loi d'habilitation et que le parlement ne s'est pas prononcé sur cette ratification, l'ordonnance non ratifiée bénéficie rétroactivement d'une valeur législative.

 

Ainsi, statuant sur la question qui lui était soumise se rapportant à une ordonnance du 5 août 2013 prise sur le fondement d'une loi d'habilitation du 27 décembre 2012, le conseil constitutionnel a statué en ces termes : 'si un projet de loi de ratification de l'ordonnance du 5 août 2013 a été déposé dans le délai fixé par l'article 12 de la loi du 27 décembre 2012, le parlement ne s'est jamais prononcé sur cette ratification. Toutefois, conformément au dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution, à l'expiration du délai d'habilitation fixé par le même article 12, c'est à dire au 1er septembre 2013, les dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. Dés lors, à compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives.'

 

Il en résulte que le Conseil constitutionnel a déjà tranché la question de la valeur d'une ordonnance qui a fait l'objet d'un projet de loi de ratification déposé dans les délais prévus par la loi d'habilitation mais qui n'a pas été voté par le parlement.

 

La question posée par Mme [R] porte sur l'interprétation d'une disposition dont le Conseil constitutionnel a déjà fait application dans sa décision 2020-843 QPC, 28 mai 2020, JORF n°0130 du 29 mai 2020, texte n° 58.

 

Mme [R] ne rapporte pas la preuve d'un changement de circonstances depuis cette décision justifiant que le Conseil constitutionnel examine à nouveau la question de la valeur d'une ordonnance prise dans les conditions ci-avant rappelées

 

Compte tenu de ces observations, il sera dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

PAR CES MOTIFS,

 

La cour,

 

Dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soumise par Mme [R] :

 

'-vu l'article 34 de la Constitution, transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portée par le présent mémoire au regard de l'ordonnance 2005-804 qui a modifié l'article L 611-2 du code de la sécurité sociale sans valeur législative créant une situation statutaire illégale du régime social des indépendants instituée par l'ordonnance n° 2005-1528 en tant que l'ensemble de ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution;

 

Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer sur le recours introduit dans l'instance n° 19/454 opposant Mme [R] à l'Urssaf Normandie.

 

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 

E. GOULARD C. CHAUX