Tribunal administratif de Grenoble

Jugement du 25 novembre 2022 n° 2108626

25/11/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 décembre 2021 et 3 mai 2022, M. B A, représenté par Me Huard, demande au tribunal :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler la décision du 6 décembre 2021 par laquelle le préfet de l'Isère a implicitement refusé d'abroger l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre par un arrêté du 13 mars 2019 pour une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère d'abroger cette interdiction de retour ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'irrecevabilité de sa requête se heurte au droit au recours effectif ;

- la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'évolution de sa situation juridique et personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre n'étant plus exécutoire, l'interdiction de retour ne peut plus subsister ;

- il justifie d'une présence habituelle et continue sur le territoire français depuis plus de dix ans ;

- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire distinct enregistré le 2 mai 2022, M. A demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Il soutient que :

- la disposition législative contestée s'applique au litige ;

- l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question présente un caractère sérieux ;

- la restriction de la possibilité de solliciter l'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaît le droit au recours effectif consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- le délai prévu par l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour contester l'interdiction de retour est très court ;

- le caractère automatique de l'interdiction de retour prononcée à la suite d'une obligation de quitter le territoire français sans délai méconnaît le droit à un recours effectif ;

- l'impossibilité de solliciter l'abrogation d'une interdiction de retour en cas de changement de circonstances de droit ou de fait lorsque l'étranger s'est maintenu sur le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au recours effectif ;

- la restriction du droit au recours consacrée dans l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général et méconnaît les dispositions de la directive dite " retour " ;

- l'obligation de transposition en droit interne est méconnue ;

- l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaît les dispositions de l'article 88-1 de la Constitution.

Le préfet de l'Isère a produit un mémoire, enregistré le 7 novembre 2022, après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

M. A a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bardad, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A, ressortissant algérien né le 31 décembre 1966, serait entré en France le 19 novembre 2006, sous couvert d'un visa de court séjour valable trente jours. Il a fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement. M. A a présenté, en dernier lieu, une demande de titre de séjour, le 28 novembre 2016, sur le fondement des 1) et 5) de l'articles 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par arrêté du 13 mars 2019, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par un jugement du 11 avril 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 13 mars 2019 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par un jugement du 14 juin 2019, la formation collégiale du tribunal administratif de Grenoble a également rejeté les conclusions de M. A aux fins d'annulation du refus de titre de séjour. M. A a sollicité, le 6 octobre 2021, l'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans prononcée à son encontre par l'arrêté du 13 mars 2019. Cette demande a donné lieu à une décision implicite de rejet née le 6 décembre 2021. Par une décision expresse du 24 juin 2022, qui s'est substituée à la décision implicite, le préfet a rejeté la demande d'abrogation présentée par M. A. Celui-ci doit être regardé comme demandant l'annulation de cette dernière décision.

Sur les conclusions aux fins d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. A a obtenu l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 8 mars 2022. Dans ces conditions, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conformes à la Constitution les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles " lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France ", lesquelles ont été reprises à l'identique à l'article 613-7 du même code. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. / Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. () ".

6. Un étranger est recevable à demander l'annulation d'une décision refusant d'abroger une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, une décision obligeant à quitter le territoire français ou une décision fixant le pays de renvoi sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'obligation de quitter le territoire français est assortie d'une interdiction de retour sur ce territoire. En revanche, un étranger n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger une interdiction de retour sur le territoire français s'il ne justifie pas résider hors de France à la date où il saisit le juge administratif.

7. M. A soutient qu'il vit en France de manière continue depuis 2006. Il n'apporte pas la preuve qui lui incombe ni même n'allègue qu'il résidait hors de France à la date d'enregistrement de sa demande. Dans ces conditions, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de l'Isère a refusé d'abroger la décision portant interdiction de retour prononcée à son encontre le 13 mars 2019 ne sont pas recevables et ne peuvent qu'être rejetées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de M. A doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire de M. A.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, à Me Huard et au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. L'Hôte, président,

Mme Bardad, première conseillère,

Mme d'Elbreil, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2022.

La rapporteure,Le président,

N. BARDADV. L'HÔTE

 

La greffière,

L. ROUYER

 

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C