Conseil constitutionnel

Décision n° 2022-1026 QPC du 25 novembre 2022

25/11/2022

Conformité

 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 septembre 2022 par le Conseil d'État (décision n° 452256 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association France horizon par la SCP Hélène Didier et François Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1026 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 520–1 et L. 520–6 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2015–1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code général des impôts ;

– le code de l'urbanisme ;

– la loi n° 2015–1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Hélène Didier et François Pinet, enregistrées le 12 octobre 2022 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me François Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 16 novembre 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 520–1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« En région d'Île-de-France, une taxe est perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement des locaux à usage de bureaux, des locaux commerciaux et des locaux de stockage définis, respectivement, aux 1°, 2° et 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts ».

 

2. L'article L. 520–6 du même code, dans la même rédaction, prévoit :

« Sont exonérés de la taxe prévue à l'article L. 520-1 :

« 1° Les locaux à usage de bureaux qui font partie d'un local d'habitation à usage d'habitation principale ;

« 2° Les locaux affectés au service public et appartenant ou destinés à appartenir à l'État, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial ;

« 3° Les locaux utilisés par des organismes de sécurité sociale ou d'allocations familiales et appartenant ou destinés à appartenir à ces organismes ou à des sociétés civiles constituées exclusivement entre ces organismes ;

« 4° Dans les établissements industriels, les locaux à usage de bureaux qui sont soit dépendants de locaux de production, soit d'une superficie inférieure à 1 000 mètres carrés ;

« 5° Les locaux spécialement aménagés pour l'exercice d'activités de recherche ;

« 6° Les bureaux utilisés par les membres des professions libérales et les officiers ministériels ;

« 7° Les locaux affectés aux associations constituées dans les formes prévues à l'article 10 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;

« 8° Les locaux mentionnés au 1° du V de l'article 231 ter du code général des impôts ».

 

3. L'association requérante reproche à ces dispositions de soumettre à la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, de commerce ou de stockage en Île-de-France ceux utilisés par les associations non reconnues d'utilité publique pour l'exercice d'activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel alors qu'en sont exonérés, d'une part, les locaux affectés au service public et appartenant à l'État, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant par un caractère industriel ou commercial, ainsi que, d'autre part, les locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel dans les immeubles soumis à la taxe. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par l'article L. 520–1 du code de l'urbanisme, d'une part, aux mots « ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif » figurant au 1° du paragraphe III de l'article 231 ter du code général des impôts et, d'autre part, aux mots « prestations de services » figurant au 2° de ce même paragraphe. Elle porte également sur le 2° de l'article L. 520–6 du code de l'urbanisme.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. L'article L. 520-1 du code de l'urbanisme instaure une taxe perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement, en région d'Île-de-France, de locaux à usage de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage. En application des dispositions contestées de cet article, les locaux utilisés par des associations sont soumis à cette taxe.

8. Les dispositions contestées de l'article L. 520–6 du même code exonèrent de cette taxe les locaux affectés au service public et appartenant ou destinés à appartenir à l'État, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial.

9. En premier lieu, il ressort des travaux parlementaires que, en instaurant cette taxe, le législateur a entendu, à des fins d'aménagement du territoire et de décentralisation, dissuader les implantations d'activités tertiaires en Île-de-France.

10. Au regard de cet objectif, il était loisible au législateur d'inclure dans le champ de cette taxe les locaux utilisés pour leurs activités par des associations, y compris lorsqu'elles exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel.

11. En second lieu, d'une part, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques n'imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux personnes morales de droit public. Ainsi, en prévoyant une exonération bénéficiant aux locaux affectés au service public qui appartiennent à certaines personnes publiques, sans étendre cette exonération à ceux utilisés par des associations, y compris celles qui exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, les dispositions contestées traitent différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels.

12. D'autre part, l'exclusion de l'assiette de cette taxe des locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel dans les immeubles qui y sont soumis ne résulte pas, en tout état de cause, des dispositions contestées mais de l'article L. 520–7 du code de l'urbanisme, dont le Conseil constitutionnel n'est pas saisi.

13. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

14. Il en résulte que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Sont conformes à la Constitution :

– le renvoi opéré par l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015–1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, aux mots « ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif » figurant au 1° du paragraphe III de l'article 231 ter du code général des impôts et aux mots « prestations de services » figurant au 2° du même paragraphe ;

– le 2° de l'article L. 520-6 du code de l'urbanisme, dans la même rédaction.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 novembre 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 25 novembre 2022.

 

Abstracts

5.1.4.8

Droit fiscal

Les dispositions contestées soumettent à une taxe certains locaux, dont ceux utilisés par des associations privées pour leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, tandis que d’autres locaux en sont exonérés. En premier lieu, il ressort des travaux parlementaires que, en instaurant cette taxe, le législateur a entendu, à des fins d'aménagement du territoire et de décentralisation, dissuader les implantations d'activités tertiaires en Île-de-France. Au regard de cet objectif, il était loisible au législateur d'inclure dans le champ de cette taxe les locaux utilisés pour leurs activités par des associations, y compris lorsqu'elles exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel. En second lieu, d'une part, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques n'imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux personnes morales de droit public. Ainsi, en prévoyant une exonération bénéficiant aux locaux affectés au service public qui appartiennent à certaines personnes publiques, sans étendre cette exonération à ceux utilisés par des associations, y compris celles qui exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, les dispositions contestées traitent différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels. D'autre part, l'exclusion de l'assiette de cette taxe des locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel dans les immeubles qui y sont soumis ne résulte pas, en tout état de cause, des dispositions contestées mais de l'article L. 520–7 du code de l'urbanisme, dont le Conseil constitutionnel n'est pas saisi. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

2022-1026 QPC, 25 novembre 2022, paragr. 9 10 11 12 13

5.4.4.1

Adéquation des dispositions législatives

Les dispositions contestées soumettent à une taxe certains locaux, dont ceux utilisés par des associations privées pour leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, tandis que d’autres locaux en sont exonérés. En premier lieu, il ressort des travaux parlementaires que, en instaurant cette taxe, le législateur a entendu, à des fins d'aménagement du territoire et de décentralisation, dissuader les implantations d'activités tertiaires en Île-de-France. Au regard de cet objectif, il était loisible au législateur d'inclure dans le champ de cette taxe les locaux utilisés pour leurs activités par des associations, y compris lorsqu'elles exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel. En second lieu, d'une part, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques n'imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux personnes morales de droit public. Ainsi, en prévoyant une exonération bénéficiant aux locaux affectés au service public qui appartiennent à certaines personnes publiques, sans étendre cette exonération à ceux utilisés par des associations, y compris celles qui exercent une activité à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, les dispositions contestées traitent différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels. D'autre part, l'exclusion de l'assiette de cette taxe des locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel dans les immeubles qui y sont soumis ne résulte pas, en tout état de cause, des dispositions contestées mais de l'article L. 520–7 du code de l'urbanisme, dont le Conseil constitutionnel n'est pas saisi. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

2022-1026 QPC, 25 novembre 2022, paragr. 9 10 11 12 13

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Saisi, notamment, de l'article L. 520–6 du code de l'urbanisme, qui énumère certains locaux qui sont exonérés de la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, de commerce ou de stockage en Île-de-France, le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

2022-1026 QPC, 25 novembre 2022, paragr. 4

11.6.3.5.1.1

Délimitation visant le renvoi à une autre disposition législative opéré par la disposition soumise au Conseil

Saisi, notamment, de l'article L. 520–1 du code de l'urbanisme, qui instaure une taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, de commerce ou de stockage en Île-de-France « définis, respectivement, aux 1°, 2° et 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts », le Conseil constitutionnel juge, au regard des griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par l'article L. 520–1 du code de l'urbanisme, d'une part, aux mots « ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif » figurant au 1° du paragraphe III de l'article 231 ter du code général des impôts et, d'autre part, aux mots « prestations de services » figurant au 2° de ce même paragraphe.

2022-1026 QPC, 25 novembre 2022, paragr. 4

11.6.3.8

Grief mal dirigé

L'exclusion de l'assiette de la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, de commerce ou de stockage en Île-de-France des locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel dans les immeubles qui y sont soumis ne résulte pas, en tout état de cause, des dispositions contestées mais de l'article L. 520–7 du code de l'urbanisme, dont le Conseil constitutionnel n'est pas saisi.

2022-1026 QPC, 25 novembre 2022, paragr. 12